C'étaient des artistes. Des Brésiliens africains. Des magiciens du ballon sur tuf, sur tartan ou sur gazon. Des virtuoses du football. Des étoiles anonymes à une époque où la télé était à l'âge de pierre de la technologie. Eux, ce sont les anciens des temps où la mondialisation et l'arrêt Bosman étaient des paradigmes que même le génial Isaac Asimov n'avait pas encore imaginés. C'étaient les Fennecs séniors, des footeux qui étaient foutus de bien jouer au foot ! Ils sont les glorieux aînés de nos renards du désert qui portent nos couleurs au pays du roi Pelé. A la veille d'une rencontre contre la Russie, qui pourrait envoyer les Verts sur la lune du bonheur, l'occasion est belle pour convoquer le doux souvenir et les mânes réconfortants des noms brillants du passé. En Algérie, le football est intimement lié au Mouvement national pour l'Indépendance. Et le premier président de l'Algérie indépendante est un ancien milieu de l'Olympique de Marseille. Avant le plaisir, on a d'abord joué au football contre l'ancienne puissance coloniale. Ce fut le cas pour les Clubs dont les sigles comportaient toujours une lettre qui renvoyait à l'identité nationale. Ce fut encore plus manifeste avec la grande «Equipe du FLN» dont les arabesques des joueurs sur les terrains du monde, en 83 matchs disputés, avaient fait autant de dégâts à la colonisation que les batailles dans les djebels ou les travées de l'ONU ! On ne saura jamais rendre hommage à cette équipe du FLN combattant, une sorte de Harlem Globe Trotters composée d'une constellation d'artistes venus de France. Pour avoir eu la chance inouïe de voir évoluer en Algérie certains d'entre eux, le chroniqueur ne trouvera jamais les bons mots pour décrire la magie de leur football et le bonheur subséquent ! Les noms de Bentifour, Mekhloufi, Zitouni, Boubekeur, Rouaï, Kermali, Arribi, Soukane, Maouche, Amara, Kerroum, Ouadjani, Bouchache, Bekhloufi et Zouba sont des repères lumineux et des brillantes références. Vedettes dans de grands clubs français comme Monaco, Nice, Toulouse ou Lyon, ils furent pour la Révolution des porte-drapeaux et des porteurs de valeurs. Une partie de ces moudjahids-footballeurs constituera après 1962 l'ossature de l'Equipe nationale. Et c'est sous la direction d'un Français, Lucien Leduc, une école de football de charme à lui tout seul, que les Verts de l'époque disputèrent leurs premières qualifications à une phase finale de Coupe du Monde. C'était en 1970, date à laquelle des diables rouges Tunisiens leur barrèrent la route du Mexique. Affiliée à la FIFA et à la CAF en 1964, l'Algérie n'avait pu participer aux éliminatoires pour le Mondial anglais en raison du forfait des sélections africaines. Dans une belle unanimité, les fédérations africaines protestaient alors contre la décision humiliante de la FIFA de n'offrir qu'une place en partage entre l'Asie et l'Afrique ! Terre de foot ensoleillée, l'Algérie des années soixante et soixante-dix avait pourtant connu des cuvées exceptionnelles de joueurs du cru et des millésimes de pros venus de France et de Navarre ! Ces footballeurs étaient des poèmes sur tuf et sur gazon. Entendez bien alors, comme une musique, les noms de Lalmas, Kalem, Achour, Selmi, Salhi, Attoui, Bentahar, Hadefi, Krimo, Koussim, Fréha, Zefzef, Haoues, Hachouf. Guittoun, Meziani, Aouedj. Et ne pas oublier, ce qui serait un saint sacrilège, Gamouh, Draoui, Fendi, El Kolli, Keramène, Derdar, Dali. Encore moins, Melaksou, Bourouba, Bentahar, Bakou, Ait Chegou, Bousdira, Benbatouche, Zerga, Seridi, Matem, Hanchi, Amirouche. Si ces générations n'ont pu faire de belles vendanges malgré la qualité des cépages footballistiques, elles ont cependant préparé le terrain à l'éclosion de la génération des Belloumi-Assad-Madjer-Dahleb-Merezkane-Kouici-Korichi (actuel adjoint de Vahid Halilhodzic). En 1982, en Espagne, et en 1986 au Mexique, les cuvées de Fennecs furent exceptionnelles. Fennecs certes bien en vue mais sans gloire, les footeux des années 1980 n'ont jamais pu, dans l'échelle de l'estime du chroniqueur-footeux, surclasser les deux générations des Fennecs des années 1960 et 1970. Fennecs éblouissants mais Fennecs sans lauriers. N. K.