«Julio César sauve le Brésil», écrit O Dia, «Saint Julio César» clame O Globo. Au lendemain de la qualification de la Seleçao pour les quarts de finales, après accouchement par césarienne, les Unes de la presse brésilienne ne sont que métaphores religieuses pour louer le rôle de messie joué par son gardien dans le passage au palier supérieur de la compétition. Extralucide, Jules César répond qu'il espérait que «de nouveaux miracles ne seraient pas nécessaires pour que le Brésil triomphe dans cette Coupe du Monde». Vœu pieu ? En parcourant les quotidiens brésiliens en vue, on comprend mieux ce recours au surnaturel. Un éditorialiste sportif de Hoje em dia veut lui rester optimiste mais il n'est pas dupe lorsqu'il estime que l'équipe de Felipe Scolari joue au «futebolzinho», autrement dit un petit football, un foot riquiqui qui inquiète. Samedi dernier, le Chili aurait mérité la victoire, soulignaient nombre de commentateurs. Et le confrère de Hoje em dia d'y aller lui aussi de sa parabole religieuse : «Le tir sur la transversale du but brésilien à la fin de la prolongation a été une décision des dieux.» Concernant le quart de finale du 4 juillet, il suppute pour mieux conjurer les démons d'une éventuelle élimination : «Le Brésil peut passer. Mais les Cafeteros, les cafetiers colombiens ne vont pas le respecter. Ils croient aussi en leurs chances.» Versant dans la psychologie de réconfort, le quotidien populaire Super Noticias met quant à lui l'accent sur les larmes des joueurs, de l'étoile polaire Neymar pendant l'hymne national, ceux de Thiago Silva et David Luiz après les tirs hitchcockiens au but. Le journaliste met au compte du machisme typiquement brésilien les critiques du manque de maîtrise des émotions de l'équipe auriverde. Il préfère voir dans leur attitude l'énormissime pression qui pèse sur les épaules des joueurs. Et il relève que quand Neymar n'est pas super brillant, le Brésil est une équipe moyenne. Mais tant que la Seleção restera dans la course, la presse brésilienne demeurera partagée entre le manque d'enthousiasme pour le jeu de son équipe et la réserve sur coach «Felipão», d'un côté, et, de l'autre, son espoir un peu irraisonné d'une victoire pour «SON» Mondial. Mais si elle venait à chuter face à la virevoltante Colombie, alors-là mes aïeux, gare aux vaincus ! La déception, telle l'onde choc d'un tsunami, submergerait le pays-continent. Peut-être comme en 1950. Car une Coupe du Monde au Brésil est une comète que l'on ne verra pas de sitôt. La dernière remonte à 1950, année où football et nation brésiliens connurent leur premier et immense drame. Pour la première fois, tout un peuple a pleuré pour du football. Un truc de fou pour un pays qui n'a pas inventé le football mais enfanté le footballeur samba. Aujourd'hui, et c'est même pire qu'en 1950, l'espoir de tout le Brésil est représenté par une émeraude de 22 ans. Neymar porte sur ses épaules les espoirs fous de tout un peuple qui se considère toujours comme «sali» du fameux choc national du 16 juillet 1950. Ce jour-là, dans un stade Maracaña rempli de 200 000 supporteurs, le keeper Moacir Barbosa Nascimento, d'une banale erreur de main, attira sur lui les foudres d'un peuple devenu volcan en éruption. Une Coupe du Monde perdue à la maison et une injustice ressentie comme une blessure narcissique. Elles seront payées chèrement par ce pauvre gardien, une punition à la hauteur de la dimension d'une inconsolable déception. C'est cet héritage, celui d'un rendez-vous manqué avec l'histoire qui pèse aujourd'hui sur les épaules d'une équipe qui ne parvient pas à se libérer, joue petits bras et avec le feu. Jusqu'à hier, on se demandait si cette sélection avait les épaules assez larges pour répondre aux immenses attentes du pays ? Reste alors ce Brésil méconnaissable, décevant et miraculé, donné favori et favorisé par les arbitres et la chance qui pourrait lui sourire de nouveau, qui sait ? Et depuis le match d'ouverture contre la Croatie, on s'est demandé si cette équipe avait finalement les moyens techniques et les ressources psychologiques d'une tactique misant sur le bloc défensif ? Et de penser aux sélections galactiques de Mario Zagalo (1970) et de Télé Santana (1982), même si l'équipe de Zico, Falcao et Socrates n'avait pas gagné la Coupe du Monde. A l'époque, en Espagne, Johan Cruyff disait : «La coupe est brésilienne même si le Brésil ne remporte pas la coupe.» La première fois, en 1970, l'Italie avait fait les frais du système de jeu animé par Pelé, Tostao et Gerson, et la seconde, la Squadra Azzura avait pris une revanche contre le cours du jeu même. Au Brésil, en 2014, on sentait donc, malgré les matchs gagnés au forceps, que le Brésil n'était pas tout à fait à point pour son système de jeu défensif, faute de virtuoses de la technique de balle, capables, comme Neymar, de réussir les constructions géniales du football d'improvisation et de rupture. Ah, il y a bien l'astre des astres Neymar, considéré comme l'un des dix joueurs légendaires du Brésil. Mais une étoile ne fait pas la galaxie pas plus qu'une hirondelle ne fait le printemps. C'est d'ailleurs ce qu'a souligné la légende du siècle Pelé lorsqu'il a prévenu que le Brésil manque d'attaque et n'est pas tout à fait d'attaque, ne comptant que sur le seul Neymar, à l'image de l'Argentine qui a son Messi. On en a eu la preuve au premier match nul du Brésil qui fut nul sur toute la ligne. Et ça s'est confirmé en huitième de finale face à un impressionnant Chili qui a mal négocié les tirs au but et raté la qualification à cause d'une maudite barre transversale. Ce pourquoi, même si le Brésil restait encore jusqu'à vendredi un favori pour le sacre final, on pourrait déjà détourner la phrase de Johan Cruyff de 1982. Pour dire que le Brésil n'est plus finalement le Brazil et que la coupe ne serait pas brésilienne même si le Brésil remporterait la coupe, grâce à son futebolzinho ! N. K.