À Alger et Oran, acquisitions illégales de réserves foncières, puis blanchiment des actes de propriété par ventes successives : la technique de la mafia du foncier est bien rodée et encore mieux huilée cette dernière décennie. Mais il arrive que cette camarilla rattachée à des réseaux d'intérêts transversaux en lien avec les administrations départementales et locales, soit mise en échec. Comme en 2011 à Alger, au Bois des Pins de Hydra, en 2012 au bois de Canastel, écrin sylvicole oranais de 180 hectares, et, aujourd'hui, au quartier algérois des Sources, la mobilisation écolo-citoyenne a empêché des barons de l'immobilier de faire main basse sur des terrains constituant de rares poumons verts dans des métropoles étouffées par la voiture et enlaidies par le béton. Ce sursaut citoyen a dévoilé les méthodes d'une pègre du bêton assez influente pour s'accaparer des terrains du domaine public destinés aux espaces verts. Aux Sources, quartier de toutes les convoitises immobilières, les résidents en avaient même appelé au président de la République afin d'empêcher encore une fois les margoulins du bulldozer d'usurper le bien commun et nuire à la collectivité. Ils ont également saisi la Justice dont un jugement doit être rendu aujourd'hui après une plainte en référé. Les habitants de la Cité des Sources contestent le permis de construire d'une tour de 14 étages, collée à leurs immeubles et située sur le seul espace vert de la cité. Sans enquête de commodo et incommodo et sans la moindre évaluation d'impact environnemental et social, un beau jour, «ils» ont abattu des pins centenaires qui «étaient l'âme de la Cité», selon des témoignages locaux. Forfait commis sous l'œil vigilant de policiers et de gros bras dépêchés sur les lieux dans le but d'empêcher toute mobilisation contre l'entreprise de mainmise sur l'assiette foncière par le promoteur immobilier. On se souvient, non sans sentiment de satisfaction, que les résidents de la cité du Bois des Pins s'étaient battus avec opiniâtreté pour sauver leur cadre de verdure. Vainement, en une première phase qui a vu bulldozers, excavatrices et pelleteuses venir à bout d'essences rares et multi-centenaires. Pour, dans une seconde phase, obtenir, après une harassante guérilla juridique, un jugement admettant en 2012 que l'entreprise en charge de la construction d'un vaste parking ne possédait pas de titre de propriété légal alors même que les permis de construire avaient été frauduleusement délivrés par la mairie de Hydra. Sans doute instruits par l'expérience de Hydra, les animateurs de l'association ARC des riverains du bois de Canastel ont réussi à obtenir à leur tour un jugement du tribunal administratif d'Oran invalidant les autorisations accordées à des promoteurs indélicats qui avaient commencé eux aussi à raser des arbres. A Hydra, à Canastel et aux Sources, il faut y lire l'expression d'un mouvement d'écologie résistante. De même que les traductions urbanistiques d'un aménagement du territoire autoritaire et népotique, ainsi que la manifestation d'une politique bureaucratique de la ville, frappée du sceau de la déshumanisation des espaces urbains. Fait réjouissant et rare, des Algériens revendiquent fort un droit fondamental, celui de préserver leur environnement et de sauvegarder leur cadre de vie. Ils s'opposent ainsi à une administration qui méprise les locataires-citoyens en dédaignant les enquêtes d'utilité publique préalables. Dans les trois cas de figure cités, l'Administration a piétiné au bulldozer ce principe de consultation qui est le degré zéro de la démocratie participative. Pis encore, incapable d'envisager et de comprendre la ville, l'Administration, au mépris même de la loi, notamment du fameux POS, le Plan d'occupation des sols, s'est mise à distribuer, avec prodigalité, des lots à lotir et à bâtir. Se mettant ainsi en porte-à-faux par rapport au programme même du chef de l'Etat en matière d'urbanisme. Déjà, à la veille d'être réélu pour un troisième mandat, il s'était montré convaincu que «la politique d'aménagement du territoire, contribuera à l'amélioration des conditions du cadre de vie de la population (...), à une meilleure occupation de l'espace». Philosophie totalement à l'opposé de la politique du bulldozer de la mafia foncière. Aux péchés véniels du clientélisme et de la complicité de blanchiment du foncier, l'Administration ajoute le crime écologique. Celui de priver des villes en décrépitude, surpeuplées et hyperpolluées, de rares bronches d'aération. Une bureaucratie qui permet à la nouvelle bourgeoisie compradore d'aménager ses propres espaces de spéculation. Il faut donc voir dans l'indue appropriation d'éco-poumons urbains une question d'aménagement autoritaire et affairiste de la ville. On peut distinguer aussi dans le combat écolo-citoyen l'expression d'une certaine lutte de classes qui commence à dire son nom. Combat social qui oppose déjà des échantillons représentatifs d'une classe de salariés prolétarisés et des classes moyennes paupérisées à une nouvelle bourgeoisie qui avance à visage masqué, à coups de bulldozer et sous couvert de projet d'«embellissement» des grandes villes. A Alger et à Oran, et peut-être demain ailleurs, des locataires soucieux de leur bien-être et d'esthétique urbaine, rêvent leur cités dortoirs en écoquartiers et en écopoumons. A Canastel, à titre d'illustration, les habitants du quartier El Minzah se sont révoltés de manière pacifique et écologique. Leur réponse ? Une action collective de reboisement des hectares déboisés, sous l'égide d'associations civiles. L'action de cette main verte collective, organisée en green-commandos, a eu un effet dissuasif : le wali a alors stoppé net les travaux. Aujourd'hui, certains de nos concitoyens ont la révolte civique et la main verte. Et, cerise bio sur le gâteau écologique, bénéficient parfois de la main ferme d'une Justice qui tient bien le glaive du droit. Bien mal acquis ne profite pas toujours. N. K.