En chinois, le mot «crise» (wei ji) se compose de deux caractères, relève l'économiste sénégalais Moustapha Kassé. Le premier veut dire «danger», le deuxième «opportunité». Dans leur réaction à la crise économique mondiale actuelle, les gouvernements africains ont accordé trop d'importance, selon lui, au premier sens du terme. «Pourtant, c'est le second sens qui est capital, car toute crise est porteuse d'une opportunité, d'une chance de changer, de s'adapter», dit-il. Bien qu'un seul pays africain (l'Afrique du Sud) ait été invité à participer au sommet d'urgence du Groupe des 20 (G20), tenu le 15 novembre 2008 à Washington, un certain nombre de présidents et de Premiers ministres africains ont participé deux semaines plus tard à une conférence internationale sur «le financement pour le développement» à Doha (Qatar). Des sièges supplémentaires Le fait que le sommet de Washington ait eu lieu sous cette forme constitue une nouveauté. Auparavant, la plupart des négociations importantes sur l'économie mondiale ne réunissait que les membres du Groupe des sept pays industrialisés riches (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni), auquel se joignait parfois la Russie (pour constituer le G8). Dans les pays en développement, de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer les défaillances des principales institutions financières internationales, comme la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI). Selon ces critiques, les intérêts des pays en développement ne sont pas suffisamment pris en compte. De plus, les pays pauvres sont trop souvent contraints d'engager des réformes économiques douloureuses pour pouvoir prétendre à une aide financière alors que les politiques appliquées par les pays riches ne sont que très rarement examinées. Pour un «nouveau multilatéralisme» Trois jours seulement avant la réunion du G20, les ministres des Finances et de la Planification et les gouverneurs des banques centrales de l'Afrique se sont réunis à Tunis pour définir une position commune sur la crise mondiale. Ils ont également prié l'Afrique du Sud de les représenter auprès des membres du G20. Le président sud-africain Kgalema Motlanthe a plaidé pour «une bien meilleure représentation qu'à l'heure actuelle des pays africains dans les institutions financières internationales». Les ministres réunis à Tunis ont insisté sur ce point, affirmant qu'«un nouvel accord mondial doit être ouvert à tous et qu'il faut tenir compte des intérêts de tous lors des négociations et du processus de décision. Nous appelons de nos vœux un “nouveau multilatéralisme” qui tienne pleinement compte des réalités actuelles». Réévaluer les politiques… Le sommet du G20 a établi des groupes de travail chargés d'examiner des propositions concernant 47 questions. Ces propositions concernent des sujets variés comme la réforme du FMI et de la Banque mondiale et les mesures à adopter pour une réglementation et un contrôle plus efficaces des opérations financières et des investissements. Les membres du G20 ont également invité les bailleurs de fonds à continuer leurs programmes d'aide extérieure aux pays pauvres et encouragé les gouvernements à redoubler d'efforts pour financer la reprise économique par l'investissement public. …et les doctrines Pour de nombreux observateurs africains, l'importance accordée désormais à l'intervention de l'Etat pour remédier aux carences des marchés semble marquer un nouveau recul des doctrines du FMI, de la Banque mondiale et des bailleurs de fonds. Au cours des dernières décennies, ces institutions ont contraint de nombreux gouvernements africains à libéraliser leurs marchés et à opérer des coupes sombres dans les dépenses publiques. L'éminent économiste international Joseph Stiglitz juge que les conséquences de ces politiques ont été le plus souvent catastrophiques. Dans les pays en développement, «la libéralisation des capitaux et des marchés financiers n'a que rarement débouché sur la hausse de la croissance escomptée, mais a au contraire aggravé l'instabilité», a-t-il affirmé fin octobre. M. Stiglitz a estimé que la crise actuelle devrait constituer une occasion de réévaluer «la doctrine économique en vigueur». L'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, l'ancien directeur général du FMI, Michel Camdessus, et l'ancien secrétaire d'Etat américain au Trésor, Robert Rubin, qui sont membres d'Africa Progress Panel, un groupe de défense des intérêts de l'Afrique, affirment qu'il est essentiel de ne pas ignorer les préoccupations particulières des pays africains pauvres, quelles que soient les politiques et institutions qui émergeront des négociations en cours. Des idées analogues avaient été présentées dans les années 1990 après les crises financières du Mexique et de l'Asie, ont-ils précisé dans une déclaration commune publiée en octobre. «Nous avons manqué l'occasion de mettre en place à ce moment-là un mécanisme de contrôle solide à l'échelle mondiale. Il ne faut pas laisser passer cette occasion cette fois-ci», ont-ils déclaré. E. H. In Afrique Renouveau, un magazine de l'ONU