«L'eau ne peut arriver aux lèvres d'un homme qui se contenterait de tendre ses paumes vers elle.» Driss Chraïbi Un événement d'importance a eu lieu en Mauritanie lors de la tenue d'élections dimanche 18 juillet 2009. L'ancien général putschiste avait accepté auparavant la tenue d'élections après le tollé provoqué justement par le putsch du 6 août 2008. Ce pas avait été cité en exemple car pour la première fois en 2007 les élections furent «propres et honnêtes». Le président fut renversé au bout d'une année. Pour la militante des droits de l'homme, Irabiha Abdel Wedoud «le 6 août 2008, la Mauritanie a connu un événement inconcevable dans le monde occidental démocratique: un coup d'Etat... Le président, élu un peu plus d'un an plus tôt, a été démis de ses fonctions... La réaction internationale ne s'est pas fait attendre: un déluge de condamnations s'est abattu sur nous, de la part de la France, des Etats- Unis, de l'Union africaine, des pays amis...Vu de l'extérieur, on pourrait aisément condamner, compatir à la situation du "pauvre" président déchu, que le Général Mohamed Ould Abdel Aziz aurait démis de sang froid, en violation des règles immuables de la démocratie...(...) Mais ce serait ignorer la tragédie, l'effroyable drame vécu par le peuple mauritanien, dans toutes ses composantes, en particulier les femmes et les enfants, qui ont été appauvris par quinze mois de gabegie, de corruption systémique, de braquage délibéré des deniers publics, de concussion, de pantouflage, de copinage...Tout le répertoire de délinquance financière sous le triste règne de notre Maestro du peuple, notre mal-aimé président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Son épouse, Khattou Bint El Boukhary, présidente de la Fondation KB du même nom, a fait l'objet d'une longue partie de ping-pong avec les parlementaires qui l'ont soupçonnée de détournements de biens publics. Sa fondation KB s'est enrichie de façon vertigineuse en l'espace d'une année».(1) Cinq présidents consommés Petite présentation: la Mauritanie est un pays d'Afrique de l'Ouest qui a une superficie de plus de 1 million de km². Elle possède une côte de 600 km donnant sur l'océan Atlantique s'étirant de Ndiago au sud jusqu'à Nouadhibou au nord. Au nord, elle est limitrophe de l'Algérie, du Sahara occidental du Mali à l'est, et du Sénégal au sud. La Mauritanie constitue un point de passage entre l'Afrique du Nord et l'Afrique noire. Elle est peuplée de Maures arabo-berbères originaires du nord du continent (Blancs Bidanes ou Noirs Haratines), de Peuls, Wolofs, Soninkés. Les «Haratines» sont des descendants d'esclaves noirs venant de différents pays d'Afrique subsaharienne. De nombreuses peintures pariétales ou gravures rupestres, au fond de grottes ou sur des falaises, témoignent de présence humaine préhistorique sur l'actuel territoire mauritanien. (...) Au début du néolithique, l'Atérien disparaît avec l'arrivée de population du nord de l'Afrique. La présence humaine est attestée au néolithique par des habitats structurés pendant deux millénaires dans la région du Dhar Tichitt. Des pointes de flèches ont été retrouvées également. Des populations noires du Bafour, en partie sédentaires, se sont établies en Mauritanie, plus particulièrement dans la région de l'Atar. L'empire du Ghana peuplé de Noirs (probablement Soninkés) et ethnies vassalisées avait pour capitale Koumbi Saleh (dans le Hodh charghi). Le mouvement religieux musulman de rite malékite almoravide formé par des tribus berbères Sanhadja (nomadisant entre le Nord l'actuel Sénégal, l'actuelle Mauritanie et le Sud de l'actuel Maroc) est né sur les rives du fleuve Zenaga (fleuve Sénégal) ou sur les rivages de l'Atlantique. Ce mouvement religieux a donné un empire almoravide contemporain et rival de l'empire du Ghana.(2) Au XVe siècle, l'arrivée des Arabes Beni Hassane (ou tribu des Hassanes) venus de Haute-Egypte se fixent dans le Nord et combattent les tribus sanhajas. Ils vont modifier la structure sociale et la composition ethnique de la société mauritanienne. Au XVIIe siècle, les tribus Maghfras et zouaya vont constituer un nouvel Etat mauritanien. D'autres empires à domination musulmane vont s'établir dans le sud tels que l'empire peul du Fouta-Toro ou l'empire du Oualo. Ces empires seront souvent en guerre avec les émirats du nord. La brève colonisation de la Mauritanie a commencé en 1902. En 1920: la Mauritanie est décrétée colonie française. En 1934: fin de la résistance armée. En 1958: autonome, la République islamique est proclamée le 28 novembre. En 1960: le 28 novembre, l'indépendance nationale est octroyée en vertu des accords franco-mauritaniens de restitution de souveraineté.(2) Pays très pauvre, en 2005 la Mauritanie se situe au 137e rang sur 177 pays de l'indicateur du développement humain. Le Produit intérieur brut par habitant est de 406 dollars en PPA (estimation 2004). Une nouvelle fiscalité a été développée afin de favoriser les investisseurs étrangers. Le Fonds monétaire international (FMI) a imposé des mesures et des réformes afin de résoudre le problème de la dette. La découverte de pétrole à 80 km au large n'a pu se traduire en une exploitation de ces gisements. Cinq présidents se sont succédé depuis l'indépendance. Le premier, Mokhtar Ould Daddah (1960-1978), devra s'imposer face aux dissensions internes et l'influence de ses voisins tels que le Maroc ou l'Algérie qui l'a soutenu financièrement avant le retournement d'alliance et l'aventure du Sahara occidental. Le partage du Sahara occidental entre le Maroc et la Mauritanie va générer de graves crises pour le pays. Le conflit avec le Front Polisario malgré le soutien de l'armée française basée à Dakar en décembre 1977, plonge la Mauritanie dans une misère noire. Les militaires mauritaniens déposent le président Mokhtar Ould Daddah. Le 10 juillet 1978, le lieutenant-colonel Moustapha Ould Mohamed Saleck accède au pouvoir. Le Comité militaire de redressement national signe un cessez-le-feu avec le Front Polisario. Ce fut ensuite Moustapha Ould Mohamed Saleck, Ahmed Ould Bouceif et Mohamed Khouna Ould Haïdalla (1978-1984). Le 12 décembre 1984, le colonel Maaouiya Ould Sid'Ahmed Taya, (1984-2005) chef d'état-major des armées -Premier ministre (1981-1984) et ministre de la Défense - accède au pouvoir par un coup d'Etat. Le 3 août 2005, l'armée le renverse. Le nouvel homme fort du pays, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, (2005-2007) a été l'un des plus fidèles compagnons de route du président déchu. En effet, responsable de la Sûreté nationale (police mauritanienne) pendant 18 ans, il était à la base de toutes les politiques de répression successives. Conformément à ses engagements formulés lors de sa prise de pouvoir, Ely Ould Mohamed Vall ne s'est pas présenté à l'élection présidentielle de mars 2007. Aucun des candidats en lice n'avait pu obtenir 50% des suffrages lors du premier tour. Un second tour a eu lieu le 25 mars 2007. Le président de la République élu lors de ces élections est Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. (2007-2008) Il prête serment le 19 avril 2007. C'est le premier civil, depuis près de 30 ans, élu démocratiquement sans fraude depuis l'indépendance de la Mauritanie. Un vent d'espoir souffle sur le pays: les médias sont plus libres et de nouvelles organisations politiques sont acceptées dont un parti islamiste. Pourtant des reproches lui seront faits Les anciens membres du gouvernement qui semblaient être source de conflit entre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et les militaires ont été écartés afin de permettre le retour à un apaisement, mais les membres inconnus du public semblent susciter encore des interrogations. Lors du coup d'Etat militaire du 6 août 2008, le président de la République et le Premier ministre sont arrêtés et déposés. Ce fut un tollé mondial. Mis au ban de la communauté internationale, le général Aziz accepte le retour à la légalité constitutionnelle. Ce furent les Accords de Dakar. Le Groupe de contact international (GCI) sur la Mauritanie sous la férule du Sénégal a eu gain de cause après d'âpres négociations: une entente de la classe politique mauritanienne. La présidentielle dans ce pays initialement prévue le 6 juin prochain est repoussée ainsi jusqu'au 18 juillet pour le premier tour. C'est là le principal résultat de la médiation dakaroise. Des accords paraphés mardi 2 juin devant le chef de l'Etat sénégalais. A l'usure, le Groupe de contact international (GCI) sur la Mauritanie qu'il préside a eu finalement raison des réticences et des louvoiements des différents protagonistes de la crise mauritanienne. L'Accord de Dakar prévoit également la mise en place «d'un gouvernement consensuel de transition». Les négociations entre les différents acteurs politiques mauritaniens ont eu lieu en présence du GCI au complet, composé de l'Union africaine (UA), de la Ligue arabe, de l'Union européenne (UE), de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et de l'Organisation des Nations unies (ONU). Ultime recours dans cette crise à rebondissements, les membres du «Groupe de contact international» sont arrivés à Nouakchott le 25 juin pour sauver l'Accord de Dakar. Le lendemain dans l'après-midi, ils étaient déjà parvenus à fixer le sort du Haut Conseil d'Etat (HCE), la junte formée le 6 août 2008. Comme le préconisait l'opposition, il sera placé sous l'autorité du futur gouvernement de transition. Les élections eurent lieu. Le 18 juillet, le général Mohammed Ould Abdel Aziz fut proclamé président. L'opposition a dénoncé une fraude. La revanche du Général. Mohamed Ould Abdel Aziz, l'ex-général putschiste de 2008, vient de remporter l'élection présidentielle en Mauritanie, avec plus de 52%. Malgré les protestations de l'opposition qui dénonce une fraude massive. L'ancien président burundais, Pierre Buyoya, l'observateur en chef de l'Organisation internationale de la Francophonie, déclare que le processus s'est normalement déroulé et que «rien n'est susceptible de remettre en cause le sérieux des résultats, même si des irrégularités mineures peuvent être relevées», selon un des membres de sa mission. Lemine Ould M.Salem écrit à propos du nouvel homme fort et de son itinéraire fulgurant: «Connu pour son habilité à réussir ou à mettre en échec les coups d'Etat, le général Mohammed Ould Abdel Aziz (53 ans), le nouveau président mauritanien, élu samedi dernier avec le soutien discret de l'entourage de Nicolas Sarkozy pour sa fermeté face au terroriste d'Al Qaîda, est aussi un fin politique. Jeune capitaine, rentrant de stage en Algérie, l'ancien élève de l'Académie militaire royale de Mekhnès, au Maroc, y est convoqué par le chef de l'Etat, le colonel Maâouiya Ould Taya, qui lui confie sa sécurité personnelle. Dans ce pays saharien à forte culture tribale, où la confiance est souvent déterminée par le degré de parenté, Ould Taya avait, a priori, bien vu. Durant deux décennies, ce président arrivé par un coup d'Etat en 1984 avant de se faire élire plusieurs fois lors de scrutins contestés, régnera sans partage. A lui seul, Aziz mettra en échec plusieurs coups d'Etat, dont un qui avait presque réussi»(3) Le retour à la légalité constitutionnelle «Le 3 août 2005, en compagnie de son vieil ami de promotion, le colonel Mohamed Ould Ghazouani, chef du bataillon des blindés, un autre corps d'élite, il se rend chez l'un des doyens les plus respectés de l'armée: le colonel Ely Ould Mohamed Vall, celui-là même qui avait initialement recommandé Aziz à Ould Taya. Les jeunes colonels lui proposent un coup d'Etat. Le doyen accepte et le trio installe une junte dont le colonel Vall prend la présidence. Dans la foulée, une transition est organisée et ses résultats sont applaudis dans le monde entier: pour la première fois dans un pays arabe, des putschistes remettent le pouvoir à un président "démocratiquement" élu: Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, un ancien ministre tombé depuis longtemps dans l'anonymat, mais que ces militaires avaient discrètement sorti de sa retraite et soutenu. (...) En août 2006, en réaction à une fronde parlementaire dont Aziz était le cerveau, Abdallahi tente de limoger le général. En vain. Ce dernier prend lui-même le pouvoir et s'installe à la tête d'un Haut Conseil d'Etat, qu'il ne quittera plus jusqu'en avril dernier, pour pouvoir se présenter à une nouvelle présidentielle dont la communauté internationale exigeait la tenue. Durant ces huit mois d'exercice du pouvoir, ce militaire austère et réservé se révélera aussi un politicien rusé et calculateur».(3) «Tournant le dos aux clans, tribus, partis et milieux d'affaires, qui dominent depuis toujours la vie politique et les richesses du pays, il courtise les populations des bidonvilles, des quartiers populaires et les paysans, c'est-à-dire la grande majorité des électeurs dans ce pays parmi les plus démunis de la planète. (...) C'est d'ailleurs sous la double étiquette de "candidat des Pauvres" et de "favori des Occidentaux", dont la France, qui lui a apporté un soutien discret par le biais de proches de Nicolas Sarkozy, que ce putschiste multirécidiviste est allé aux urnes samedi dernier. Avec 52% des voix, il a officiellement été déclaré élu dès le premier tour. De ses huit rivaux, dont quatre ont contesté cette victoire, aucun n'a dépassé la barre symbolique de 20%. Parmi eux, son ex-mentor, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, qui n'a guère recueilli plus de 4%. Autant dire leur déception. Les deux officiers sont cousins germains».(3) Singularité de cette élection, et comme le rapporte Edgar C.Mbanza, «c'est surtout une élection qui n'aura pas permis de renouveler la culture politique dans un pays où les alliances claniques et les réseaux d'allégeance surplombent la pratique démocratique. Saviez-vous par exemple que les trois hommes-clés depuis le début des années 2000, sont des parents proches? Ely Ould Mohamed Vall, le colonel qui a pris le pouvoir en 2005 avant de le remettre à un civil en 2008, est le cousin du général vainqueur de l'élection de ce week-end, Mohamed Oould Abdel Aziz. Le civil en question, le président élu démocratiquement en 2007, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, n'est autre que l'époux de la cousine des deux officiers. Une histoire familiale, ainsi donc, faite d'alliances et de mésalliances au sein du clan».(4) Il n'empêche, la Mauritanie est le seul pays africain - exception faite pour l'Afrique du Sud - où un début d'alternance se met tout de même en place. Cette démocratie fragile doit servir d'exemple à suivre aux potentats et aux dynasties républicaines Il reste aux dirigeants à propulser la Mauritanie qui a des richesses notamment pétrolières vers un futur meilleur, car la démocratie ne suffit pas quand on a faim. (*) Ecole nationale polytechnique 1.Irabiha Abdel Wedoud: Le coup d'Etat, un espoir pour nous, Rue 89 17/08/2008 2.Mauritanie: Wikipédia, l'encyclopédie libre. 3.Lemine Ould M.Salem. En Mauritanie, un «champion des pauvres» Rue 89 25/07/2009 4.Edgar C.Mbanza: Election en Mauritanie: une affaire de famille Chemk'Africa 21/07/2009