Ce n'est plus un fait inédit, mais l'événement de l'année, qui pourrait même devenir une page de l'histoire récente du pays, si rien n'est fait pour le circonscrire au stade événementiel. C'est la première fois depuis l'indépendance de l'Algérie que nous assistons à un mouvement de protestation dans les rangs de la Police nationale, qui plus est, fait tâche. L'élément déclencheur est vraisemblablement cette manifestation, lundi dernier à Ghardaïa, qui a vu plus d'un millier d'éléments des Unités républicaines de sûreté (URS) marcher sur le siège de la sûreté de wilaya où ils tiendront un sit-in. Les manifestants revendiquent tout simplement plus de considération pour leurs personnes et pour leurs vies. Ils demandent l'application du système de rotation, la majorité d'entre eux étant «fixée» à Ghardaïa depuis plus de 10 mois, avec seulement quelques permissions de temps à autre. Ils demandent aussi à bien manger et bien dormir. Et surtout, à avoir droit à la légitime défense ! Car, il est interdit à ces policiers d'utiliser la force «pour se défendre» face aux émeutiers qui les attaquent avec des cocktails Molotov et autres projectiles contondants. Ils ne veulent plus être les victimes sacrificielles qu'on envoie au casse-pipe en leur interdisant de répliquer à la violence anarchique par la violence de la loi pour ne pas devoir «gérer» des situations épineuses et explosives qu'on n'arrive pas à désamorcer avec ces solutions «politiques et pacifiques». Refusant de dialoguer avec leurs responsables hiérarchiques -on a même vu un policier avec une pancarte demandant le départ du Directeur général de la sûreté nationale (Dgsn)-, les manifestants ont demandé le ministre de l'Intérieur himself. Ils auront le Dgsn, Abdelghani Hamel. On ne peut accorder de but en blanc à des manifestants tout ce qu'ils demandent. Comme on ne peut admettre que ceux qui ont pour mission d'assurer l'ordre et la sécurité, qui ont prêté serment de le faire - et le font, même si ce n'est pas toujours de la meilleure manière-, en arrivent à s'exprimer en bravant l'interdiction faite à leur corps de manifester et/ou de faire grève. Il est évident que, en application du règlement, ceux qui ont bravé l'interdit devront rendre des comptes. Mais il faut aussi prendre en considération les circonstances qui ont poussé un millier de représentants de l'ordre à tourner le dos à leurs engagements. «La lame a atteint l'os», dit un proverbe populaire. Elle a tranché dans le vif jusqu'à n'en plus pouvoir. Cette situation a un responsable qui doit, lui aussi, d'abord, rendre des comptes. Et ce n'est pas en étouffant une affaire aussi grosse et importante qu'on la fera disparaître. Or, c'est à cet exercice que s'est essayée la Dgsn en pratiquant une communication où la désinformation a pris la place de l'information. Un premier communiqué annonçant la marche des policiers et le déplacement de M. Hamel pour examiner la situation sera annulé et remplacé dans les secondes qui suivront sa diffusion par un deuxième texte «nettoyé» qui transformera le déplacement en urgence du Dgsn en une simple visite routinière qu'il mettra à profit pour rencontrer des policiers et s'enquérir de leurs revendications. Plus un mot sur la marche imposante qu'on passe à la trappe, avec l'espoir qu'elle y restera, comme toutes les affaires qui l'y avaient précédé. Pas cette fois répliqueront les policiers qui ont organisé, hier, une nouvelle marche à Ghardaïa, avec les mêmes revendications. La situation s'aggrave. Les policiers de Ghardaïa sont rejoints par leurs collègues d'Alger qui ont également marché, hier, de leur caserne à El Hamiz jusqu'au Palais du gouvernement où ils devaient être reçus par le Premier ministre. Le ministre de l'Intérieur, Tayeb Belaïz, aurait été, lui, dépêché à Ghardaïa pour rencontrer les manifestants. L'usage du conditionnel est rendu nécessaire à cause justement de cette communication qui n'en est pas une. L'information du déplacement de M. Belaïz à Ghardaïa, comme d'autres aussi, ou même plus importantes, ne suivent pas les canaux habituels de diffusion, mais sont «fuitées» vers des sites d'informations et quelques titres. Comment peut-on traiter un événement de cette importance dont l'impact et les conséquences ne touchent plus seulement un corps, un responsable ou un ministre, mais tout le pays et tout le peuple, avec une telle légèreté ? Espérons que les solutions, réponses et remèdes que les pouvoirs publics apporteront à ce mouvement de protestation de la police ne seront pas de cette teneur et qu'ils permettront à ce corps, et tous ceux qui, comme lui, sont soumis à des règlements interdisant grèves et manifestations, de se doter d'instances représentatives pour pouvoir exprimer leurs attentes sans devoir piétiner l'ordre. H. G.