Et voilà maintenant les pompiers et, dit-on aussi, les douaniers et les matons ! Les manifestations de protestation, la grève de zèle des policiers des Unités républicaines de sécurité (URS) et la prise en compte de toutes leurs revendications, sauf deux exigences à caractère politique, semblent avoir créé un effet d'aubaine. Doublé d'un appel d'air, c'est-à-dire un tirage qui semble avoir favorisé une combustion corporatiste. Car ça chauffe aussi sous les casques des agents du feu qui revendiquent, à deux choses près, les mêmes choses que les policiers des URS. Tenez-vous bien, outre les revendications socio-professionnelles, les soldats de la Protection civile demandent, à l'instar des policiers, la tête de leur commandant suprême, l'inamovible et antédiluvien colonel Mustapha Lehbiri ! Là aussi, il va falloir que Abdelmalek Sellal joue éventuellement au pompier pour éteindre un incendie qui risque d'éclater début novembre, selon les menaces de l'Union nationale des agents de la Protection civile, syndicat autonome affilié à l'actif Snapap et soutenu par ce syndicat national de l'Administration publique, non reconnu. Les pompiers avaient interprété comme il se doit l'extrême célérité avec laquelle l'Exécutif avait répondu aux exigences des policiers. A savoir, que les pouvoirs publics estimaient qu'il y avait le feu dans la maison Dgsn et qu'il pouvait même y avoir péril en la demeure. Ils savaient aussi qu'ils ont cédé sur l'essentiel des revendications, à l'exception du limogeage du chef de la Dgsn et la création d'un syndicat policier. Ils n'ignoraient donc pas que la réponse, globalement positive du gouvernement, avec l'assentiment du chef de l'Etat lui-même, était pour eux un formidable encouragement à revendiquer, protester et ruer même dans les brancards ! Quitte à exprimer un chapelet de demandes, les unes acceptables, d'autres irréalistes ou surréalistes même ! Les pompiers tout comme les policiers, et avant eux les gardes communaux, ont donc conscience que le pouvoir algérien, quand il ne peut pas user de la manière forte, n'étant pas alors en mesure de se montrer, sort le chéquier aussi rapidement que s'il avait fait dégainer la matraque des mêmes URS face à des manifestants. Le gourdin ou le chèque, voilà depuis un certain temps l'équation politique caractérisant la gestion des crises sociales en Algérie. Pour peu que des intérêts catégoriels organisés parviennent à créer un rapport de force réel, et voilà que l'Exécutif se montre soudainement réceptif, respectueux même, qui écoute patiemment et arrive même à entendre les doléances et les messages des catégories protestataires. Seuls ne sont pas entendus les groupes sociaux ou politiques qui ne sont pas en mesure de créer un rapport de force favorable. Et ce rapport de force, on le crée, de plus en plus, dans la rue. Et voilà donc la rue qui devient l'arbitre politique entre l'Etat et la société, entre l'Etat et les politiques de l'opposition, et désormais entre l'Etat et ses propres agents, y compris avec ceux qui sont chargés de la sécurité de l'Etat et de... la rue ! Le pouvoir, et c'est valable depuis longtemps, aurait pu ne pas se mettre dans cette situation de gestion que résume l'équation «la matraque, sinon le chéquier». Car, entre les deux termes de l'équation, il pouvait, s'il l'avait voulu, mettre une table de négociation. Or, il semble que c'est l'inexistence même des espaces de dialogue, concertation, médiation, arbitrage et participation qui sont à l'origine de la sortie dans la rue des URS. Et, demain, peut-être, des pompiers, des douaniers, des gardiens de prisons et bien d'autres catégories. Sinon, comment expliquer qu'une police de proximité en soit réduite à violer la loi en faisant une grève illégale, préjudiciable pour la sécurité des biens et des personnes, pour l'image de l'Etat et du pays ? Mais, comme on dit, le vin, c'est-à-dire le chéquier, a été tiré et il faut alors le boire. Il faut donc trouver l'argent supplémentaire pour les protestataires sous forme de primes et autres indemnités. Cette politique de gestion du mécontentement social par un surcroît d'argent non prévu par les budgets initiaux, a des limites. Des barrières et surtout, à un moment donné, des lignes rouges, des frontières indépassables. Cette manière de voir les choses et de faire sera d'autant plus insoutenable pour les deniers publics que l'on favoriserait, ici ou là, des appels d'air et ce pernicieux effet d'aubaine qui comporte des effets pervers. Et il y a bien d'autres manières de faire de la politique de redistribution et de gestion sociale de la rente pétrolière. Plutôt que de réagir, surtout après coup, Il faut surtout agir pour mieux prévenir. Régler les problèmes en amont et éviter le pourrissement comme ce fut dans le cas des URS. Par conséquent, instaurer le dialogue social et créer des canaux de communication et de concertation au sein des entreprises et de l'Administration. Favoriser partout la participation des agents de l'Etat et des salariés à ces structures de dialogue et de concertation, notamment lorsqu'il s'agit des conditions de travail et des salaires. Et, lorsqu'on sort généreusement le chéquier, il faut savoir aussi être dans l'exigence républicaine et citoyenne. Comme de faire en sorte à ce que, par exemple, la police devienne citoyenne. Et que mieux que la fameuse «peur du gendarme», elle fasse respecter l'ordre citoyen pour être elle-même plus respectée que jamais N. K.