Les rares témoins encore en vie de la bataille livrée par l'Armée de libération nationale (ALN) à T'baboucht, dans la forêt de Kimel, au cœur du massif des Aurès (Batna), ne se souviennent pas du jour exact où elle a été livrée. Tous soutiennent, néanmoins, qu'elle a eu lieu «fin novembre début décembre 1954». Cette première grande bataille provoqua une véritable hécatombe dans les rangs des forces françaises qui perdirent plusieurs centaines de soldats. Les vieux moudjahidine Djoudi Kiour, Mohamed Djarmoune, Mohamed Benamor Bayouche, Cherif Boudjenifa et Lakhdar Oucif, âgés aujourd'hui entre 86 et 91 ans, se souviennent qu'au cours de cet engagement, la «baraka» était du côté des patriotes, insuffisamment armés, qui n'ont eu à déplorer que la perte de sept moudjahidine, tombés au champ d'honneur. Des témoins civils se rappellent qu'il avait fallu quatre jours à l'armée coloniale pour transporter, à bord de camions, les cadavres des soldats tués. «Entre Kimel et Arris, l'asphalte de la route était rougi par les traînées de sang coulant des plateaux des camions», raconte le moudjahid Amor Boussedjada, qui avait 17 ans à cette époque. Hommes et animaux tués en représailles «Ce fut un évènement incroyable, je ne crois pas exagérer en avançant le chiffre de mille tués, une véritable hécatombe dans les rangs d'un ennemi devenu si furieux qu'il commit de terribles représailles contre les civils, tuant tous ceux qu'ils rencontraient sur chemin, hommes ou animaux», dit-il. Le moudjahid Lakhdar Oucif explique que l'unité de l'ALN ne voulait pas, en fait, engager le combat en raison de sa faiblesse numérique. Le regard au loin, plissant les yeux comme pour mieux se souvenir, il soutient que l'unité des combattants algériens fut encerclée dans une position accidentée qui lui était «avantageuse». Seulement voilà, poursuit-il, «lorsque des renforts ennemis sont arrivés, la confusion était telle que les soldats de l'armée coloniale se sont mis à se tirer dessus, ce qui explique leurs pertes élevées». Il y avait, du côté de l'ALN dans ce combat, trois groupes de Khenchela rattachés à Abbas Laghrour, un groupe d'Oued Abdi et le groupe de Kimel, qui comptait 50 djounoud dirigés par Messaoud Zahaf. Parmi eux, Lakhdar Oucif, Cherif Boudjenifa, Bachir Ouartane dit Sidi Hani, Djoudi Kiour et Bayouche. Les moudjahidine devaient se regrouper dans cette zone en vue d'une réorganisation des unités. Il faisait nuit lorsque les moudjahidine ont été informés par Salem Boubakeur, l'infirmier de Abbas Laghrour, que les positions des moudjahidine ont été repérées par l'ennemi. Les combattants de l'ALN se positionnèrent aussitôt sur les crêtes rocheuses et boisées de Sfah Louz, où les combats commencèrent le lendemain matin, vers 8h30. De nombreux combattants ont pu sortir de l'encerclement, mais 34 furent pris au piège, affirment les témoins. Une victoire retentissante Les renforts arrivés pour tenter de nous déloger des crêtes ombragées de Sfah Louz tiraient sans visibilité. Lorsque les tirs cessèrent, les djounoud restèrent sur leurs positions, le doigt sur la gâchette, croyant que cette accalmie pouvait être une ruse destinée à les amener à sortir en toute confiance, expliquent les vieux moudjahidine auréssiens. Revenus sur les lieux de la bataille, 60 ans après, les derniers héros de T'baboucht se souviennent que cette victoire fut retentissante, mais la région devint jusqu'à l'indépendance une zone interdite. Quiconque s'y aventurait s'exposait à des bombardements de l'aviation ou a des tirs de l'artillerie. Mohamed Djarmoune se souvient que le premier chahid tombé à T'baboucht fut Mohamed Sbaihi, qui participa à l'attaque des gorges de Tighanimine, le premier novembre 1954. Son fils Fateh Sbaihi est là, à T'baboucht, entourés des vieux témoins qui retrouvent, après six décennies, ce lieu où son père est tombé en chahid. L'histoire de la bataille de T'baboucht, Fateh a dû l'entendre des dizaines de fois. Mais il boit les paroles de ses aînés comme s'il les entendait pour la première fois. APS