Tous les prétextes sont bons pour les racistes algériens qui existent et qui sont nombreux, à n'en pas douter. Surtout dans la presse où ce racisme est bilingue car il s'exprime dans les deux langues d'expression officielles, l'arabe et le français. De manière encore plus ignominieuse dans une certaine presse arabophone à grand tirage. En l'occurrence, leur meilleur alibi est le football qui joue ici le rôle de révélateur de la bête immonde qui sommeille chez nombre d'Algériens. Monstre raciste qui s'exprime avec une déconcertante facilité dans des journaux arabophones à large audience. Le ballon rond devient alors le révélateur par excellence de la stigmatisation, la discrimination, la xénophobie, l'injure, la ségrégation ethnique et l'ethnocentrisme même. Dernier exemple en date, le match retour Mali-Algérie comptant pour la qualification à la 30e CAN mais qui comptait pour du beurre pour les Fennecs déjà qualifiés. Le ballon d'or de l'ignominie et l'oscar de l'indignité et de l'avilissement reviennent sans conteste et sans concurrent, au quotidien Echourouk qui a titré le jour du match : «Vous n'êtes pas les bienvenus, le Sida est derrière vous et Ebola devant vous !». En clair, ce langage raciste est prêté aux Maliens qui, dans l'esprit malade du titreur du journal, allaient accueillir ainsi la sélection algérienne en la menaçant de ces deux fléaux sanitaires ! On lit encore sous la plume du secrétaire de rédaction, au sujet des mêmes Maliens : «L'émigration vers l'Algérie est leur but suprême et la mendicité, leur métier ». Et, sous la plume de l'envoyé spécial à Bamako, on lit aussi, entre autres expressions de la noirceur raciste que «le Mali, à l'instar de nombre de pays d'Afrique noire qui ont raté le train de la civilisation, est une des républiques de l'arriération et de la misère, qui patauge dans le marécage de l'ignorance, de la misère et des épidémies». Et on en arrête là l'inventaire d'un racisme suprématiste qui relève du darwinisme social et qui avait constitué la sève du nazisme. Même un Jean-Marie Le Pen, dans ses meilleurs jours de saillies racistes, n'aurait pas osé s'aventurer sur le terrain marécageux dans lequel s'est embourbé ce journal algérien ! Cela étant dit, le quotidien en question, qui est en la matière un raciste multirécidiviste, ayant écrit moult fois que l'Algérie est «envahie» par des ressortissants subsahariens porteurs, selon lui, de calamités sanitaires, a le mérite de poser, sans le vouloir, le problème du rapport des Algériens à l'altérité noire africaine. De même pose-t-il également la question de savoir s'ils sont, peu ou prou, racistes tout en étant généralement hospitaliers. Même si l'Algérie n'est pas encore un pays d'immigration établie mais plutôt une terre de transit et d'immigration clandestine et peu importante. Tolérée jusqu'ici tant par les pouvoirs publics que par la population. En 2011, l'Algérie faisait encore partie des pays à surveiller pour le trafic d'êtres humains, selon un rapport sur la traite des personnes du Département d'Etat américain. Elle était dans le club des 23 Etats recensés pour n'avoir pas atteint alors «le niveau minimum de protection» contre l'esclavagisme. Y sont pointés son présumé manque de bonne volonté, son laxisme ou encore sa passive complicité. C'est ainsi que l'Etat algérien «ne se conforme pas pleinement» et «ne fait pas d'efforts significatifs» en matière de prostitution de femmes et d'enfants, d'exploitation des travailleurs noirs et de mineurs. Le compte-rendu l'y invite donc à promulguer une loi anti-traite, alors même que l'article 5 du code pénal algérien interdit toute forme de trafic humain. Le rapport ne dit pas si l'Algérie doit mieux faire, mais suggère -ce qui est plus grave- qu'elle ne fait pas ce qu'il faut à ce sujet. A ce propos, Farouk Ksentini, le chargé de mission du pouvoir pour les droits de l'Homme, avait beau pousser des cris d'orfraie en jugeant «infondé» le rapport, le constat accusatoire n'en est pas moins sérieux. Fondé ou pas, il interpelle les Algériens et leur offre l'opportunité d'un autre regard sur eux-mêmes. Au moment même où l'Algérie, naguère territoire de transit d'immigrants clandestins vers l'Europe, est désormais un pays d'immigration stable en devenir. Immigration essentiellement en provenance du Sahel et, à des degrés moindres, du Nigéria. L'Algérie a en effet un rapport historique particulier avec l'altérité noire africaine. L'irruption brutale de l'immigration négro-africaine reformule désormais cette question, celle d'une altérité nouvelle mais ô combien déjà ancienne. Le Noir subsaharien a une place préalablement forgée et assignée. La traite esclavagiste, noire ou blanche, pratiquée au Maghreb et plus de dix siècles de commerce transsaharien ont structuré une représentation du Noir construite sur le sentiment de supériorité et d'inégalité foncières. Aujourd'hui encore agissent les mêmes constructions mentales, historiquement sédimentées, qui déterminent les attitudes et expliquent l'existence de certains aspects de domesticité. Expression d'un esclavagisme moderne qui refuse de dire son nom. Ou encore de travail au noir s'apparentant également à des formes d'esclavagisme. Qu'il s'agisse de travail ou de résidence, les lieux d'accueil des Noirs sont des espaces de relégation. Dans le Grand Sud algérien, ils sont exilés dans les confins désertiques ou aux marges des villes, comme à Tamanrasset. Les migrants noirs sont soumis à l'aléatoire, à l'arbitraire et à des conditions de séjour assez précaires. Aux tracasseries policières et au chantage des employeurs, s'ajoute le racisme au quotidien qui a parfois de violentes tonalités. Sans oublier la xénophobie et l'intolérance ordinaires ainsi que l'absence de protection, sous toutes formes, de la part des autorités. Ils sont reconduits parfois sans ménagement aux frontières où on les laisse livrés à eux-mêmes. Chassez l'atavisme esclavagiste, il reviendra au galop ! Reconnaissons-le sans ambages et sans ambiguïté, l'africanité, surtout quand elle a les traits négroïdes, est une dimension stratifiée dans la culture algérienne. Elle a aussi ses mots propres mais qui sont sales à proprement dire, et qui sont autant de marqueurs d'une certaine mentalité raciste et racialiste même : «kahlouche», «khal érrémma» (face de nègre), «khal émsawwad» (Noir noirci), «nigrou», «nigrou batata», «bambara», «bamboula», «babaye», «saligani», «‘abd»(esclave) et «hartani», de haratines, exonyme à connotation négative désignant les Maures noirs, descendants d'esclaves au Maghreb. Pourtant, l'Algérie, avant même d'être arabe et musulmane, est berbère et africaine. Par déterminisme géographique, le déterminisme culturel ayant fait d'elle ensuite, et en même temps, une nation arabo-musulmane. Et même si la participation des Maghrébins à la traite négrière est une évidence historique, et tout racisme mis à part, les Algériens sont globalement accueillants quand bien même l'Algérie ne soit pas encore vraiment une terre d'immigration de travail. Même s'il y a de plus en plus de migrants sahéliens visibles dans l'espace public dans tout le nord du pays. Mais leur nombre reste insignifiant dans l'absolu et doit être relativisé par rapport aux données de la géographie et de l'économie. Aujourd'hui, les ressortissants subsahariens ne menacent pas l'emploi en Algérie. Ils n'y viennent pas pour chiper aux Algériens leurs emplois. Ils sont essentiellement là pour occuper des emplois que les Algériens refusent d'occuper ou pour lesquels ils ne sont pas ou plus qualifiés. Notamment dans l'agriculture et le BTP. Sans compter un nombre indéfini de personnes employées dans des postes de domesticité et de servitude. De manière clandestine ou semi-clandestine, mais de toute façon toujours tolérées. Protégées par une omerta qui arrange bien du monde et surtout le beau linge ! Cette immigration qu'il faudra bien un jour légaliser, encadrer et protéger, est même une chance pour l'Algérie. Un pays qui aura besoin demain d'une main-d'œuvre qualifiée qu'il a désappris à former depuis longtemps chez lui. De plus, pays pétrolier riche, l'Algérie a un devoir de solidarité avec ses voisins sahéliens pauvres et sans ressources énergétiques. C'est cela même le sens de la diplomatie du bon voisinage. De la politique africaine et de la dimension de même nature du pays. A ce propos, le président Abdelaziz Bouteflika, africaniste par excellence, avait dit un jour à un ami qu'il est le plus noir des Africains blancs. Les Algériens, discriminés eux-mêmes ailleurs, sont en effet, en quelque sorte, des nègres blancs. Ils portent en eux une part de négritude, même si nombre d'entre eux ont l'âme un peu noire, prompte à verser dans un racisme anti-noir. Celui de la bêtise humaine qui focalise sur la pigmentation. N. K.