«Il y a eu des étapes décisives dans les relations entre les deux pays durant la présidence de Mohamed Marzouki. Il fut le premier chef d'Etat tunisien à avoir hissé le drapeau algérien au palais de Carthage, à l'occasion de la commémoration de la révolution du Premier novembre 1954.» Le responsable qui dit ça, en confidence à un journaliste algérien, est un proche du chef de l'Etat sortant, qui conserve intactes ses chances de se succéder à lui-même en décembre prochain. Et le même collaborateur de rappeler, à bon escient, les «cinq libertés» accordées par le président Marzouki aux Algériens, à savoir circuler sans visa et sans passeport, résider, travailler et investir sans conditions en Tunisie. Un autre responsable tunisien, proche de Béji Caïd Essebsi, le candidat le mieux placé à l'issue du premier tour du récent scrutin présidentiel, considère pour sa part qu'«Alger est la profondeur stratégique de la Tunisie». Ces deux dirigeants de la Tunisie nouvelle qui se dessine depuis trois ans et qui aura un nouveau visage dans quelques semaines, ont résumé, à leur façon, la nature et la qualité des relations denses et exceptionnelles entre l'Algérie et son voisin de l'Est. Entre l'Algérie et la Tunisie, les relations sont en effet au beau fixe, et c'est même là un euphémisme. Elles tendent vers la réalisation d'un partenariat d'exception, dont la voie est balisée par une multitude d'accords-cadres et de conventions bilatérales dans tous les domaines d'activité. Avec, comme cadre d'impulsion et d'orientation, une Haute commission mixte de travail, présidée par les deux Premiers ministres respectifs. Illustration parfaite en est aujourd'hui la coopération en matière de défense, de lutte antiterroriste et de sécurisation de 965 km de frontières communes. Coopération fraternelle et intelligente qui confirme l'excellence de ces relations de bon voisinage définies et renforcées par la géopolitique. Le chaos persistant en Libye frontalière des deux pays et le terrorisme déterminent en même temps la coopération militaire et la consolident. L'Algérie et la Tunisie sont désormais unies par le géoterrorisme qui s'exprime notamment dans une sorte d'hinterland formé par le gouvernorat de Kasserine et les wilayas limitrophes de Tébessa et Souk Ahras. Les deux pays ne sont certes pas liés par un traité de défense en bonne et due forme, mais coopèrent étroitement en la matière depuis la signature en 2001 d'une convention de défense. Cependant, dans les entourages des candidats à la présidence de la République, Marzouki et Essebsi, on considère que les relations bilatérales constituent la «priorité des priorités» du futur président tunisien. On est même favorable à la signature d'un traité de sécurité approfondi. En attendant, depuis mai dernier, Alger et Tunis sont désormais attachés par un accord de lutte antiterroriste et de sécurité frontalière, appuyé en juin par un nouvel arrangement militaire. Aujourd'hui, c'est le géoterrorisme qui dicte le contenu, le rythme et les moyens de la lutte contre un djihadisme violent qui s'est implanté depuis le «printemps de jasmin» dans la région frontalière du Djebel Chaambi. Abcès de fixation terroriste qui menace la sécurité des deux pays dont les autorités ont décidé de combiner leurs efforts pour éradiquer les groupes criminels, établissant alors des plans opérationnels coordonnés de sécurité. Programme prévoyant la création d'un comité conjoint spécifique pour le partage de renseignements sur les groupes armés et les réseaux de la criminalité. D'un point de vue purement opérationnel, depuis mai 2013, 80 points de contrôle ont été installés le long de la frontière commune. Et de la part de la seule Algérie, 20 zones militaires fermées ont été créées et 60 000 hommes ont été déployés depuis mai 2013 le long des frontières avec la Tunisie, la Libye, le Niger et le Mali voisins. Et, plus récemment encore, une task-force mobile, commune cette fois-ci, de 8 000 soldats algériens et 6 000 militaires tunisiens, a été également créée. L'Algérie a également installé une salle d'opération pour coordonner les actions entre officiers algériens et leurs homologues étrangers du renseignement, dont, au premier plan, les Tunisiens. Enfin, le pays est en voie de se doter d'un système de surveillance électronique équipé de radars et de systèmes d'alarme capables de détecter les tentatives d'infiltration du territoire par les véhicules ou les personnes. Outre ce dispositif de maillage et de contrôle, il y a déjà une surveillance aérienne intensive en appui. Et les patrouilles au sol sont épaulées par des troupes spéciales du contre-terrorisme déjà présentes dans les zones concernées, y compris à la frontière tunisienne et dans la zone ultra-sensible limitrophe du gouvernorat de Kasserine. La coopération entre les deux pays est appelée à se renforcer du fait même de l'aggravation de la situation dans la région de Kasserine, en particulier depuis juillet dernier, date de l'attaque simultanée de deux postes de surveillance de l'armée par deux groupes de terroristes munis de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes russes RPG-7. Quinze soldats sont tués et vingt blessés, selon le ministère de la Défense qui déclare alors qu'«il s'agit du bilan le plus lourd à être enregistré par l'armée depuis l'indépendance en 1956». La zone crisogène de Chaambi est devenue un point de fixation terroriste par excellence : 23 attaques terrodjihadistes en 2013 et 8 en 2014, combinant attentats, assauts, embuscades, raids éclairs et minage de zones. Pour sa part, l'armée algérienne, désormais la mieux équipée en Afrique du Nord, s'emploie à fournir à une armée tunisienne en déficit de matériels neufs et adaptés, des équipements adéquats et à former des unités tunisiennes à la lutte antiterroriste. La coopération militaire renforcée et l'aide algérienne sont d'autant plus nécessaires que l'armée tunisienne, qui souffre de déficits structurels, est sous-équipée dans tous les secteurs, alors même que son outil de défense est parfaitement inadapté à la lutte antiterroriste qu'elle découvre et à laquelle elle s'adapte vaille que vaille. Bien qu'elle ait acquis deux drones américains Scan Eagles adaptés à la configuration du théâtre d'opération, l'aviation tunisienne est trop modeste pour assurer les frappes aériennes et les missions d'appui au sol, de reconnaissance et de surveillance. De même, les hélicoptères de combat et de transports lui font défaut, ce qui a incité l'état-major à passer commande de 6 hélicos français EC725 Caracal et à moderniser l'avionique de ses 12 chasseurs-bombardiers F-5 E et F-5F Tiger II. Elle est en outre en manque criard de véhicules protégés contre les mines et les EEI, les engins explosifs improvisés que les terroristes savent bien traficoter. Aussi, l'état-major tunisien a-t-il décidé d'acheter une centaine de Kirpi turques, des Mrap mieux adaptés aux mines, destinés à remplacer les antédiluviens Fiat 6614. Dans un théâtre de combat constitué par le massif montagneux et forestier de Chaambi, point culminant de la Tunisie (1 544 m), les forces de sécurité sont en retard face aux groupuscules extrémistes d'Ansar al-Charia et la Katiba Okba Ibn Nafaâ. Ces deux groupes ont bénéficié plus généralement de l'affaiblissement de l'Etat suite à la «Révolution» et aux nombreuses contestations politiques dont les différents pouvoirs en place ont été victimes depuis 2011. Les forces de défense sont désormais confrontées à un adversaire bien préparé, prêt à en découdre à tous les instants et qui se ravitaille à moindre coût dans l'arsenal à ciel ouvert libyen, sans oublier les renforts djihadistes venus d'Algérie, de Libye même, de Mauritanie et d'Afrique subsaharienne. D'où le caractère éminemment stratégique et crucial de la coopération militaire et sécuritaire avec un voisin algérien expérimenté et fraternellement bien disposé. L'amitié exceptionnelle entre l'Algérie et la Tunisie, dont les racines profondes remontent à la Guerre d'indépendance algérienne, est désormais le ciment et le catalyseur de la construction maghrébine. La qualité de la coopération bilatérale, rendues excellentes par une intense coopération sécuritaire, plaide désormais pour mieux qu'un partenariat d'exception. Pour un traité d'amitié. Non, mieux même, un traité de fraternité. Conforme à l'Histoire et à la géographie. N. K.