Entre l'Algérie et la Tunisie les relations sont au beau fixe et tendent vers la réalisation d'un partenariat d'exception, dont la voie est balisée par une multitude d'accords-cadres, de conventions bilatérales et une Haute commission mixte de travail. La coopération en matière de défense, de lutte antiterroriste et de sécurisation de 965 km de frontières communes confirme l'excellence de ces relations de bon voisinage, que la géopolitique définit et renforce. Le chaos en Libye frontalière des deux pays et le terrorisme déterminent la coopération militaire et la consolident. L'Algérie et la Tunisie sont désormais unies par le géoterrorisme qui s'exprime dans une sorte d'hinterland formé par le gouvernorat de Kasserine et les wilayas limitrophes de Tébessa et Souk-Ahras. Les deux pays ne sont certes pas liés par un traité de défense en bonne et due forme, mais coopèrent étroitement en la matière depuis la signature en 2001 d'une convention de défense. Et, depuis mai dernier, sont désormais attachés par un accord de lutte antiterroriste et de sécurité frontalière, appuyé en juin par un nouvel arrangement militaire. Aujourd'hui, c'est le géoterrorisme qui dicte le contenu, le rythme et les moyens de la lutte contre un djihadisme criminel qui s'est implanté depuis le printemps de jasmin dans la région frontalière du Djebel Chaambi, en proie aux attaques de groupes terroristes tunisiens qui menacent la sécurité des deux pays. Les autorités algériennes et tunisiennes ont donc décidé de combiner leurs efforts pour éradiquer ces groupes, établissant alors des plans opérationnels coordonnés de sécurité. Programme qui prévoit la création d'un comité conjoint spécifique pour le partage de renseignements sur les groupes armés et les réseaux criminels. D'un point de vue opérationnel, depuis mai 2013, 80 points de contrôle ont été installés le long de la frontière commune, 20 zones militaires fermées ont été créées et 60 000 hommes ont été déployés depuis mai 2013 le long des frontières avec la Tunisie, la Lybie et le Niger et le Mali voisins. Et, plus récemment encore, une task force mobile, commune, de 8 000 soldats algériens et 6 000 militaires tunisiens, a été également créée. Dès 2011, l'Algérie avait par ailleurs défensivement positionné 7 000 gendarmes GGF sur la frontière avec la Libye, et 20 000 hommes dans les 4e et 6e régions militaires, respectivement Ouargla et Tamanrasset. En 2012, sur les frontières libyenne, malienne et nigérienne, 30 nouvelles bases de Gendarmerie avaient été installées, ainsi qu'une base aérienne dont la fonction est de permettre une couverture plus efficace des zones désertiques transfrontalières. En outre, 3 000 hommes avaient été positionnés sur les bases aériennes déjà existantes pour servir de forces d'intervention transportables via hélicoptère et/ou autres aéronefs militaires. L'Algérie a également mis en place une salle d'opération pour coordonner les actions entre officiers algériens et leurs homologues étrangers du renseignement, dont les Tunisiens. Enfin, le pays est en voie de se doter d'un système de surveillance électronique, équipé de radars et de systèmes d'alarme capables de détecter les tentatives d'infiltration du territoire par les véhicules ou les personnes. Outre ce dispositif de contrôle, il y a déjà une surveillance aérienne intensive en appui, et les patrouilles au sol sont épaulées par les troupes spéciales du contre-terrorisme déjà présentes dans les zones concernées, y compris à la frontière tunisienne et dans la zone ultra-sensible limitrophe du gouvernorat de Kasserine. La coopération entre les deux pays est appelée à se renforcer du fait de l'aggravation de la situation dans la région de Kasserine, en particulier depuis Le 16 juillet dernier, date de l'attaque simultanée de deux postes de surveillance de l'armée par deux groupes de terroristes munis de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes RPG-7. Quinze soldats sont tués et vingt blessés, selon le ministère de la Défense qui déclare alors qu'«il s'agit du bilan le plus lourd à être enregistré par l'armée depuis l'indépendance en 1956». L'attaque a été revendiquée par la Katiba Okba Ibn Nafaâ liée à Aqmi. La zone de Chaambi est devenue un abcès de fixation terroriste par excellence : 23 attaques terrodjihadistes en 2013 et 8 en 2014, combinant attentats, assauts, embuscades, raids éclairs et minage de zones. Pour sa part, l'armée algérienne, désormais la mieux équipée en Afrique du Nord, s'emploie à fournir à une armée tunisienne en déficit de matériels neufs et adaptés, des équipements adéquats et à former des unités tunisiennes à la lutte antiterroriste. La coopération militaire renforcée et l'aide algérienne sont d'autant plus nécessaires que l'armée tunisienne, qui souffre de déficits structurels, est sous-équipée dans tous les secteurs, alors même que son outil de défense est parfaitement inadapté à la lutte antiterroriste qu'elle découvre seulement aujourd'hui. Bien qu'elle ait acquis deux drones Scan Eagle adaptés à la configuration du théâtre d'opération, l'aviation tunisienne est trop modeste pour assurer les frappes aériennes et les missions d'appui au sol, de reconnaissance et de surveillance. De même, les hélicoptères de combat et de transports lui font défaut, ce qui a incité l'état-major à passer commande de 6 hélicos français EC725 Caracal et à moderniser l'avionique de ses 12 chasseurs-bombardiers F-5 E et F-5F Tiger II. Elle est en outre en manque criard de véhicules protégés contre les mines et les EEI, les engins explosifs improvisés que les terroristes savent bien bidouiller. Ses Hummer américains, mal adaptés, sont de vrais cercueils volants comme déjà constaté en Irak. Aussi, les stratèges tunisiens ont-ils décidé d'acheter une centaine de Kirpi turques, des Mrap mieux adaptés aux mines et dont 20 ont été déjà réceptionnés pour remplacer les antédiluviens Fiat 6614. Dans un théâtre de combat constitué par un massif montagneux qui comprend le point culminant de la Tunisie (1 544 m) et qui est à la fois un massif forestier et une montagne calcaire profondément entaillée et ravinée par l'érosion, de surcroit difficile d'accès au-delà de 1 200 mètres, les forces de sécurité sont en retard face aux groupuscules extrémistes de Ansar al-Charia et la Katiba Okba Ibn Nafaâ. Ces deux groupes ont bénéficié plus généralement de l'affaiblissement de l'Etat suite à la «Révolution» et aux nombreuses contestations politiques dont les différents pouvoirs en place ont été victimes depuis 2011. Le problème majeur de l'armée tunisienne est qu'elle fait face à une situation parfaitement inédite. Le renseignement et les forces de sécurité avaient été formés, sous la présidence de Ben Ali, à mailler le territoire et à réduire à néant tout début de contestation politique ou sociale ou d'insurrection locale ou nationale. Or, les forces de défense sont désormais confrontées à un adversaire bien préparé, prêt à en découdre à tous les instants et qui se ravitaille à moindre coût dans l'arsenal à ciel ouvert libyen, sans oublier les renforts djihadistes venus d'Algérie, de Lybie même, de Mauritanie et d'Afrique subsaharienne. D'où le caractère éminemment stratégique et crucial de la coopération militaire et sécuritaire avec un voisin algérien expérimenté et fraternellement bien disposé. N. K.