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Genève au jour le jour
Carnets de voyage au bord du lac Léman
Publié dans La Tribune le 27 - 01 - 2009

Il est 13h30, nous sommes le lundi 25 août 2008 ; le taxi qui m'emmène de l'aéroport de Genève vers le Centre médical universitaire (qui est, en fait, la Faculté de médecine de Genève et qui dépend des hôpitaux universitaires de cette ville traverse une ville propre, verte, éclairée par la lumière du mois d'août et qui respire le calme et la prospérité. Les villes, comme dit le photographe Raymond Depardon, c'est des travellings et des plans séquences. Les premières images de Genève, là où le Rhône quitte la Suisse pour aller vers le sud, où j'allais passer trois mois, défilent en un rapide «travelling avant» à travers les vitres du taxi et commencent à tatouer en technicolor mes neurones.
Un long flash-back me ramène quelques heures plutôt à Alger, à l'aéroport international où régnait une cohue indescriptible à cause du rush de milliers de passagers en partance pour la France dès 6h du matin.
La conjonction de deux évènements : la rentrée scolaire avec le début du Ramadhan, qui devait commencer le 1er septembre, expliquent ce formidable rush. Aucune compagnie aérienne au monde ni aucun aéroport et quels que soient leurs moyens ne pouvaient, à mon avis, gérer ce flux incroyable de passagers sans qu'il ait eu des problèmes et des ratés (problèmes de réservation, retard dans les vols etc.).
J'ai vécu la même ambiance au mois d'avril 2008 à l'aéroport de San Francisco, parce que la compagnie aérienne American Airlines devait faire une révision mécanique d'urgence de toute sa flotte.
Le vol Air Algérie AH2046 (Alger-Genève), prévu à 10h10, démarra avec un retard de 30 min. Ma voisine dans l'avion s'appelle Cynthia ; elle est âgée de quatre ans. Elle parle français et allemand. Les ratés du système de réservation d'Air Algérie ont dispersé sa famille (ses parents, sa sœur aînée âgée de 6 ans et son petit frère âgé d'un an) aux quatre coins de l'avion. La famille de Cynthia est algérienne et réside en Suisse dans la ville de Fribourg. Durant tout le vol, le père de Cynthia passera de siège en siège pour s'occuper d'elle et de toute sa petite famille. Ce vol m'a permis de faire connaissance avec les résidents algériens en Suisse.
C'est une émigration parfaitement intégrée à la société suisse, dotée d'un grand civisme et possédant une grande conscience politique et citoyenne.
Je me pose la question: «Comment raconter un séjour de trois mois à Genève aux lecteurs algériens ?» Il me faudra plus que les photos de Raymond Depardon qui avait fait un récit en images intitulé Correspondances new-yorkaises durant un mois, du 2 juillet au
7 août 1981, sur la ville de New York, pour les lecteurs du journal français Libération. Il me faudra une caméra web dans le cerveau qui enregistre en permanence, et des journaux quotidiens qui donnent chaque jour une coupe transversale de la vie quotidienne à Genève. C'est l'écrivain irlandais, James Joyce (qui avait vécu à Zurich durant la Première Guerre mondiale et le début de la deuxième,) comme le soulignait Milan Kundera dans ses essais l'Art du roman et les Testaments trahis, qui avait inventé la technique du monologue intérieur (en fait, il avait planté un micro dans le cerveau de ses personnages) dans son roman Ulysse, pour rendre compte de l'immensité du temps présent et de la richesse de la vie quotidienne. De la filmothèque de ma mémoire, remontent spontanément, les images et les photos des films des cinéastes suisses ou (franco-suisses) comme Jean-Luc Godard, Alain Tanner, Daniel Schmid, Michel Soutter, Claude Goretta et l'admirable Ursula Meier auteur du film Home avec Isabelle Huppert, sélectionné au dernier festival de Cannes. Je revois aussi les images du film italien Pain et Chocolat de Franco Brusati, sorti en 1974 avec l'inoubliable acteur italien, Nino Manfredi, un film culte sur la condition des travailleurs émigrés dans la Suisse des années 1970. Ce film n'a pas pris une ride, et ce qu'il dit sur le drame de l'immigration reste plus que jamais d'actualité dans tous les pays occidentaux où vivent des émigrés.
Je repense particulièrement au film la Vallée fantôme réalisé, en 1987, par Alain Tanner avec la sublime actrice italienne, Laura Morante. Le film se passe entre Genève, Venise, Paris, New York et raconte l'histoire d'un cinéaste genevois qui vit une grave crise de création car, pour lui, il y avait trop d'images et pas assez de hasard. Il ne voulait plus faire des images industrielles pour endormir l'intelligence du public. Il envoie son jeune assistant à Venise à la recherche d'une actrice italienne (jouée par Laura Morante)
qu'il avait connue, autrefois, pour lui proposer un rôle dans son prochain film.
Alger, Washington, New York, San Diego, La Nouvelle Orléans et maintenant Genève, c'est là où mon travail de recherche sur le cancer héréditaire du sein et de l'ovaire chez les familles algériennes m'emmène depuis 2006. Ce travail a été conçu, initié et réalisé, depuis 2004, avec mes étudiantes et mes collègues de l'unité Génétique de la faculté des sciences biologiques (USTHB, Alger) en étroite collaboration avec le professeur Kada Boualgua (Centre anticancer de Blida), les docteurs S. Adane et Ahmed Chérifi.
Le chauffeur de taxi me parle des transformations de la ville de Genève avec l'arrivée des nouveaux immigrants européens depuis que les Suisses par référendum, en novembre 2007, ont décidé d'intégrer l'espace Schengen. En effet, j'apprendrais plus tard qu'un million d'Européens (de l'ouest et de l'est) vivent et travaillent, en Suisse, et que l'émigration des Européens vers la Suisse s'est accélérée avec l'ouverture des frontières en 2007. Cette émigration aura sans doute à l'avenir une grande influence sur la situation politique, sociale, économique et culturelle de la société suisse.
Le bâtiment qui abrite le Centre médical universitaire (CMU), situé en face des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et qui communique par les sous-sols avec l'hôpital, est construit au milieu d'un bois verdoyant, qui a été parfaitement préservé. Cela traduit la formidable politique de la préservation et de la protection des espaces verts dans le canton de Genève. Le CMU est un fleuron de l'architecture des années 1960 et 1970, conçu par les architectes Addor et Juillard (1er prix du concours d'architecture, en 1958, pour le projet du CMU et qui été réalisé entre 1962 et 1986) dont le cabinet d'architecture a été repris par les architectes Planta et Portier. L'intérieur du CMU me rappelle le Centre culturel de Beaubourg de Paris, qui a été conçu par les architectes Renzo Piano et Richard Rodgers.
Le chaleureux et amical accueil de l'équipe du laboratoire d'oncologie moléculaire du CMU, où j'allais passer mes 3 mois de stage et de recherche, m'a donné tout de suite un aperçu de ce que sera mon séjour à Genève.
Premier jour dans la ville de Genève
Genève est située à une altitude de 374m, elle s'étend à l'extrémité sud-ouest du lac Léman, sur les deux rives du Rhône, au centre d'une cuvette encadrée par des montagnes qui se trouvent toutes sur le territoire français : les Vairons, le Salève, le Mont de Sion, le Veauche (département de la Haute-Savoie) et le massif du Jura.
La vieille ville de Genève est constituée des quartiers de Cité-centre et de Saint Gervais, elle s'est formée sur et autour d'une colline sur la rive gauche du lac et de part et d'autre du Rhône autour de l'île. Cette colline constitua un refuge naturel pour la population dès la préhistoire. De nombreux parcs (le jardin anglais, le parc des eaux vives, le parc de la grange, le parc des bastions, le parc de l'Ariana etc…) couvrant 310 hectares (près de 20% du territoire) forment de grands espaces de loisirs et de détente disséminés à travers les différents quartiers de Genève. La plupart, situés au bord du lac, abritent des maisons de maître et disposent d'une arborisation de grande qualité. Certains de ces parcs étaient auparavant de grandes propriétés privées rachetées ou offertes à la ville de Genève au fil du temps. Leur entretien est assuré par le service des espaces verts et de l'environnement.
Genève, ville d'accueil pour les étrangers depuis toujours, est une ville cosmopolite et abrite le siège de nombreuses organisations internationales, dont le siège européen des Nations unies, l'Organisation internationale du travail (OIT), le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Organisation internationale de normalisation (ISO), l'Union internationale des télécommunications (UIT), l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), et l'Organisation météorologique mondiale (OMM) etc…), 200 ONG et 150 missions diplomatiques.
Il faut rappeler que la vocation internationale de Genève est née des grandes foires du XVe siècle, et elle renaîtra pour triompher au XVIIIe siècle avec la haute banque protestante. Le dynamisme commercial et bancaire genevois, qui prend naissance aux XVIIe et XVIIIe siècles et dont l'originalité est le négoce, se distingue par une propension tout à fait exceptionnelle à investir à l'étranger. Enrichis par le commerce et l'industrie sous la réforme, les banquiers genevois se lancent dans des transactions internationales en France et aux Etats-Unis. Le XVIIIe siècle voit également l'essor de l'horlogerie et de l'orfèvrerie. Vers 1830, la «Fabrique» confère à Genève une renommée mondiale.
Le premier problème qui se pose à l'étranger qui vient pour un long séjour à Genève est le logement. En effet, la ville de Genève connaît une grave crise de logement car la cherté du mètre carré de l'immobilier est légendaire.
Des amis de longue date d'Alger (dont la famille est installée en Suisse depuis l'indépendance) m'ont trouvé une location dans une magnifique maison appartenant à l'une de leurs parentes. La maison est située dans la banlieue verdoyante et calme de Genève, à Collonges-Belle rive, sur la rive gauche du lac Léman, à 20 minutes par route du Cours de Rive, le centre ville de Genève.
En m'installant ce premier jour dans cette magnifique maison, je repensais aux propos de Ruby Dunia quand je lui avais appris que j'allais passer trois à Genève. Elle m'avait dit : «Tu vas à Genève pour trois mois, wahoo! Tu as une formidable chance, c'est une ville magnifique, tu vas beaucoup l'aimer». Ruby Dunia vit et travaille à Alger dans une grande société internationale. C'est une brillante chef de projet, elle est souvent connectée, via Internet et son téléphone portable, à la ville de Genève dans le cadre de son travail. Ruby Dunia avait raison, car selon une étude menée par Mercer Consulting en 2007, Genève est la ville qui offre la meilleure qualité de vie au monde avec Zurich, devant Vancouver et Vienne.
A la recherche de l'immensité du temps présent et passé
On est dimanche 30 août, je commence ma visite de la ville de Genève, j'en profite avant de démarrer pleinement et intensément (à partir du lundi 1er septembre) mon travail de recherche à raison de 10 à 12h par jour, durant les 3 mois de stage que je passerai au laboratoire d'oncologie moléculaire des hôpitaux universitaires de Genève. Je prends le bus numéro 8 des Transports publics
genevois (TPG) en direction de l'OMS. Les TPG sont à Genève ce que le métro est à Paris, c'est-à-dire indispensable. Mais, à la différence du métro parisien, les TPG ont une grande exigence écologique, une partie des bus et des trams des TPG roule à l'électricité hydraulique produite par les barrages.
En effet, 30% de l'électricité de Genève est produite par les barrages hydroélectriques sur le Rhône et par la chaleur induite par la combustion des déchets ménagers à l'usine des Cheneviers. Les TPG sont intégrés dans le système «Unireso» qui comprend les bus, les trams, le train et les petits bateaux appelés «les Mouettes» pour passer d'une rive à l'autre du lac Léman. La ville de Genève est entièrement dédiée aux Transports publics genevois, ce qui fait qu'une majorité des Genevois utilisent les TPG pour se rendre au travail, effectuer des achats et visiter la ville.
Les bus des TPG sont un reflet fidèle de la vie quotidienne à Genève. De Belle rive, je prenais souvent le bus de 7h59 du matin en direction de Rive, pour reprendre un deuxième bus en direction de l'hôpital pour aller au laboratoire d'oncologie moléculaire. Le bus était souvent bondé de joyeux et bruyants écoliers, collégiens et lycéens. A l'instar des jeunes du monde entier, dans le bus, les jeunes genevois sont souvent connectés à leur MP3 ou leur iPhone. Cette vision me rappelle les paroles de la chanson The sound of silence, de Paul Simon and Art Garfunkel : People talking without speaking, people hearing without listening… silence like a cancer grows…
Le bus du matin transporte des Genevois mais aussi des étrangers de diverses nationalités qui se rendent au travail. Les horaires des TPG sont adaptés en fonction des vacances scolaires. La route qui mène au bâtiment de l'OMS est vide en ce dimanche après-midi de fin du mois d'août. J'arrive à la porte du superbe immeuble de l'OMS (Organisation mondiale de la santé), le gardien de l'immeuble me réclame le badge d'accès. Je lui explique que je voudrais simplement effectuer une visite ; mais il me propose de revenir un jour de semaine pour pouvoir visiter l'immeuble.
Aux alentours, il y règne un calme extraordinaire, je prends des photos, le cadre est splendide. Au loin, j'aperçois l'immeuble du Bureau international du travail (BIT). Nous sommes loin de la souffrance humaine et des champs de la mort que sèment encore les épidémies et les maladies endémiques (Sida, choléra, paludisme, rougeole, etc.…) dans les pays pauvres et en guerre, en Afrique et en Asie, en ce début du XXIe siècle. Il faut saluer toutefois l'extraordinaire travail réalisé par les médecins de l'OMS dans toutes les régions de notre planète pour soulager la souffrance humaine et combattre les épidémies.
Je visite le parc de l'Ariana qui abrite le Musée de la céramique et du verre et le Palais des nations. A deux pas de ce dernier se trouve le musée international de la Croix-Rouge, consacré à l'œuvre de Henri Dunant. En 1863, Henri Dunant et plusieurs personnalités genevoises, dont le général Guillaume-Henri Dufour et Gustave Moynier, fondent le Comité international de secours aux militaires
blessés, qui prendra ensuite le nom de Comité international de la Croix-Rouge. Le nom et l'œuvre du mouvement international seront désormais toujours liés à celui de Genève. La signature de la première Convention de Genève en 1864 marque la naissance du droit humanitaire international.
F. C. * Universitaire
A suivre…


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