Ils étaient jumeaux. Frères siamois. L'un était le double de l'autre, son corps second, son cœur en écho. Walid et Wanis Hellel, deux collégiens de 15 ans, ne rêveront plus ensemble. Une main diabolique, pas celle de Satan, plutôt celle de la crétinerie humaine les a séparés. Brutalement. Wanis, frimousse d'ange céleste, est parti là où il n'avait aucune envie d'être. Même si ça devait être le royaume des justes et des innocents. Plus que la mort, la malédiction, le mektoub, c'est finalement le fatalisme atavique des Algériens et la bêtise, sœur jumelle du laxisme, qui ont ravi Wanis à l'affection de la famille. Cruelle destinée. Impardonnable crime de laisser-aller et de je-m'en-foutisme, dont s'est rendu coupable le CEM Cité Diplomatique de Dergana dans la wilaya de Boumerdès. Wanis était un garçon bien dans sa tête et dans son corps malgré des accès d'asthme. Elève studieux, il était aussi un sportif appliqué, un karatéka assidu et un footballeur de bonne pâte. Walid ne le verra plus. L'engrenage impitoyable du je-m'en-fichisme algérien en a ainsi décidé. Mercredi 21 janvier. 13h30. Une classe algérienne en sureffectifs et dans un local exigu. Une enseignante de mathématiques surbookée et stressée. Décor scolaire algérien banal pour une mort qui ne l'est pas. Soudainement, la crise d'asthme survient. Forte, irrépressible. Que fais alors la professeure qui connaît pourtant les antécédents de santé de Wanis ? Elle lui recommanda tout bonnement un bol d'air. Normal, pour un asthmatique, non ? Le garçon revient en classe tant bien que mal. Après, cours de sciences avec une autre enseignante, tout aussi affairée et tout aussi nerveusement fatiguée. Nouvelles difficultés respiratoires. Plus fortes encore. Disciple de Pavlov comme sa collègue mathématicienne, la maîtresse de sciences ordonna encore le bol d'air. La crise d'asthme s'intensifie au point d'attirer l'attention d'une autre enseignante de passage qui en alerta sa consœur. Malgré les signes visibles et inquiétants d'une crise dyspnéique, la «prof» de sciences commet l'irréparable et l'impardonnable : elle intime à Walid l'ordre d'accompagner son frère à la maison. Cette décision, parfaitement irresponsable, ouvrira pour Walid et Wanis un chemin de croix. Chemin faisant, un professeur de physique, un jean-foutre de passage, refusera d'évacuer Wanis dans sa voiture. Son calvaire était alors le jumeau du supplice de son frère. Pour Walid, qui portait sa peine et son frère supplicié, l'enfer était au bout de la route. Lesté de deux cartables et du poids de son frère asphyxié, Walid ne pouvait plus relever son frère tombé trois fois de suite. En pleine rue, à quelques mètres du collège, la mort était au rendez-vous. A qui finalement la faute ? Sans doute pas à pas de chance que l'administration du CEM désignait pour se dégager de ses propres responsabilités. Dans un accès de cynisme et de lâcheté, le directeur de l'établissement s'est même défaussé sur l'heure et le lieu du décès survenu après les cours. Ce n'est également pas la faute des autorités sanitaires de la wilaya, dont les UDS, ces fameuses Unités de dépistage et de suivi scolaire sont conçues pour un travail de prévention et de suivi. C'est clair, l'UDS n'est pas un gendarme sanitaire. La responsabilité du CEM consistait donc à alerter le SAMU et la Protection civile, à temps, c'est-à-dire avec la diligence nécessaire que dicte une situation d'extrême urgence. C'était aussi son devoir. En ayant manqué à l'obligation d'alerte au sujet d'un enfant dans un état de santé critique, les enseignants et la direction du CEM se sont rendus coupables de non-assistance à asthmatique en danger. En ayant fait preuve de laxisme et en le renvoyant aux devants d'une mort certaine, ils ont ajouté au premier délit celui de la négligence criminelle. Dans leurs cas, pas de chance, son frère le mektoub et leur sœur la fatalité ont certainement bon dos… Et que diraient-ils par ailleurs du profond traumatisme causé au jumeau Walid qui vivait une relation fusionnelle avec son frère ? Probablement, un dommage collatéral du mektoub… N. K.