Le mini-festival du film francophone à Alger dont l'organisation a été confiée à la société de distribution Sora Poduction s'est ouvert lundi soir dernier avec la projection au cinéma l'Algeria de la Graine et le Mulet (2h31, France 2007) de Abdelatif Kechiche. Le film s'amorce avec une scène tout ce qu'il y a de plus insignifiant et inutile, une histoire de fesses entre Kader, guide touristique sur un bateau-mouche, et une inconnue. Et on passe. Autre décor, autre personnage. Slimane Beiji (Habib Boufares), le père de Kader, 61 ans, ouvrier sur un chantier naval qui, après 35 ans de travail, est interpellé par son contremaître, un vieux compagnon de route, qui commence par lui reprocher le retard pris sur les travaux avant de lui annoncer tout de go qu'il n'est plus rentable, hors du coup. La confrontation dans le bureau du chef oppose deux personnages que tout rassemble et tout différencie, tout unit et tout sépare. Stoïque, Slimane encaisse le coup, un énième coup du sort. Il part rendre visite à sa fille Karima. En passant, il récupère des mulets que lui offre ses potes pêcheurs. Il en donnera à Karima et à Rym (Hafsia Herzi), la fille de sa maîtresse, la propriétaire de l'hôtel où il occupe une chambre triste depuis son divorce. Entre lui et Rym, un lien de père-fille s'est établi. Et on passe encore. La grande famille de Slimane se rassemble autour de son ex-femme et de son exquis couscous au poisson. La scène du déjeuner communautaire s'étire et le film se déroule sans se fixer sur aucune intrigue, aucune histoire. Près d'une heure après le début du film, on apprend que Slimane veut investir ses indemnités de licenciement dans l'achat d'un vieux bateau et son aménagement en restaurant dont la spécialité sera le couscous au mulet. Il fait visiter le bateau à Rym qui est à ses côtés. Et c'est quand on la verra descendre de la mobylette, enlever son jogging et défroisser la jupe du tailleur strict qu'elle portait en dessous, avant d'entrer avec son père exposer leur projet à la banquière qu'on entrera dans le vif du sujet. De la banque à la mairie (où on retrouve la femme adultère de la première scène, qui n'est autre que la femme de l'adjoint au maire), Slimane encaisse d'autres coups du sort. Mais ils –Slimane et Rym- ne baissent pas les bras. Le chantier est lancé, avec l'aide du jeune fils de Slimane. Un couscous de présentation auquel seront conviés tous les responsables locaux qui bloquent le projet est programmé. Les pontes de la ville acceptent ! C'est l'ex-femme qui prépare le grain au mulet à la maison et les filles et belles-filles se chargeront de tout réchauffer sur la gazinière constituant l'équipement de cuisine du bateau-restaurant avant de servir les convives. Coup de théâtre ! Kader voyant parmi les invités la femme de l'adjoint au maire (la scène d'amorce sur le bateau-mouche prend toute son importance) décide de prendre le large emportant avec lui le couscous qu'on a oublié de décharger de la voiture. C'est la catastrophe. Slimane décide d'aller voir son ex-femme pour lui demander de refaire un autre couscous pendant que ses filles essayent de faire patienter les invités. Il laisse sa mobylette au bas de l'immeuble et monte voir son ex-femme, mais il ne la trouvera pas. Il trouvera par contre Julia, la femme de son fils Kader, habitant l'étage supérieur. Là, le film fait un autre détour. Julia, émigrée russe, a découvert que son mari recevait les communications de ses maîtresses chez sa mère. Elle explose et face à Slimane fait sauter en éclats l'image de la famille qui l'a réduite à moins que rien. Le bateau prend l'eau de partout. En bas, Slimane découvre que des gamins lui ont piqué sa mobylette. Et pendant qu'il s'essouffle à les poursuivre, Rym se démène pour faire patienter ses invités. C'est la dernière longue séquence du film, et la plus bouleversante, celle qui nous réconcilie avec le trop long métrage. Il s'efforce de courir pour rattraper les petits voleurs. Elle s'efforce de retenir les invités en mettant toute son énergie et toute son âme dans une danse du ventre des plus érotiques. Elle danse pour son père. La séquence s'allonge à n'en plus finir. L'un et l'autre s'épuisent. Et quand la maîtresse de Slimane s'en va préparer un couscous, on voit poindre le happy end. Mais Slimane n'a plus le cœur pour courir. Il s'écroule lentement en serrant son cœur qui l'a trahi. On sort de la salle de projection vidé. Le film n'a cessé de se dilater. Toutes les scènes ont duré plus que de raison. On est tenté de parler de bourrage exaspérant, si ce n'était la vitesse du film et la fluidité de la narration. C'est la caractéristique de la Graine et le Mulet qui, paradoxalement, est rapide malgré la lenteur et la longueur de scènes. Le film est structuré en blocs séparés par des «vides». On apprend l'achat du bateau quand Slimane le fait visiter à Rym, la bouderie de sa maîtresse quand elle devient le sujet de discussion des locataires de l'hôtel ou que Rym a réussi à convaincre sa mère de se rendre à la fête du bateau-restaurant alors que la scène où elle s'efforçait de la faire plier s'était terminée avec un gros plan montrant la jeune fille pleurant de rage et de dépit… Mais si, après coup, on arrive à digérer le film, à chaud on ne peut manquer de ressentir cette lassitude devant des scènes exagérément longues. En fait, le film est à voir et revoir pour pouvoir l'apprécier en faisant abstraction de tous ces petits détails et lourdeurs qui le rendent indigeste. Il est d'ailleurs à l'affiche à l'Algeria et à la salle Mohamed Zinet, à Riadh El Feth, pour les quinze jours à venir, à raison de trois séances par jour. H. G.