Décidément il est bien loin le temps où toute voix qui n'allait pas dans le sens de la diabolisation du régime syrien et du président Bachar Assad était systématiquement descendue et dénigrée. Aujourd'hui, plusieurs observateurs crédibles de la scène internationale commencent à s'exprimer et donner un éclairage particulièrement différent de la doxa imposée par de puissants médias internationaux outrageusement partisans. Le livre Tempête sur le Grand Moyen-Orient que vient de publier un diplomate français au long court, vient apporter un éclairage intéressant sur les évolutions rapides qui s'opèrent dans un monde arabe en proie à toutes les instabilités. Ancien ambassadeur français en Mauritanie, au Soudan et au Zimbabwe, Raimbaud sort une enquête documentée doublée d'une analyse sur la genèse, l'orchestration et les perspectives possibles de ces convulsions toujours en cours. Dans son entretien à Afrique Asie il estime que l'Occident séculier, qui soutient des mouvements islamistes qu'il combat chez lui, fait preuve d'absence de logique. En fait c'est bien une autre logique qui commande les Américains en mettant en œuvre une «stratégie du chaos». Ils ont continué à soutenir les gens d'Al-Qaïda, dont ils sont les créateurs avec l'Arabie saoudite et le Pakistan. Puis, quand ils n'en ont plus eu besoin, ils les ont laissé tomber en leur disant «débrouillez-vous !», explique le diplomate. Les mouvements terroristes internationaux, comme ceux qui sévissent en Syrie et ailleurs dans le Moyen-Orient ou le monde musulman, sont des héritiers d'Al-Qaïda. Les Etats-Unis n'ont pas de raison de ne pas s'en servir, tout en sachant que ce n'est pas leur modèle social. «Ils les utilisent puis, quand ils ne s'en servent plus, ils les bombardent». Leurs meilleurs alliés sont des gouvernements islamistes. Ils ont du mal à trouver des alliés progressistes. «Ils n'en ont jamais eu dans l'histoire», tranche-t-il. Pour Michel Raimbaud c'est bien la Syrie qui finalement a fait capoter la logique méthodiquement mise en branle dans le monde arabe appelée Grand Moyen-Orient (GMO). La Syrie est l'épicentre d'un conflit global qui dure depuis quatre ans. «Si le gouvernement légal de la Syrie était tombé comme les autres auparavant, ou si le régime a été renversé comme celui de Kadhafi il y aurait eu d'autres printemps arabes.» Mais la Syrie a résisté constituant le coup d'arrêt d'un processus en marche. Bachar al-Assad, quoi qu'en dise, a une légitimité, il est populaire chez la majorité de ceux qui vivent en Syrie, estime Raimbaud. Quels que soient les défauts de son régime, il est perçu dans le contexte actuel comme un rempart contre le démantèlement du pays. Damas conserve ses alliances avec le Hezbollah, l'Iran, «certainement une vieille alliance qui date du temps du shah», et un véritable partenariat avec la Russie. Des alliances qui semblent renforcées par l'adversité. Le pétrole et les intérêts d'Israël Pour l'ancien ambassadeur, Israël, toujours à l'affut, est derrière toutes les crises du monde arabe. La sécession du Sud-Soudan reste dans ce sens un triomphe de la diplomatie américaine poussée en sous main par la diplomatie israélienne. Il fallait transformer le Sud-Soudan en base israélienne, au détriment de ce qui reste du Soudan. Ceux qui pressaient Khartoum ne désiraient pas la peau de Tourabi ou Al-Bachir, mais voulaient couper le Soudan en morceaux. Ils ont réussi, et cela continue avec le Darfour, affirme l'auteur du livre. Michel Rimbaud qui a été en poste à Riyad, et qui connaît les engrenages d'une région multiforme, estime que ce qui fait courir les chefs d'Etat occidentaux au Moyen-Orient c'est le pétrole et les intérêts d'Israël. Et il est plus facile d'exploiter le pétrole avec des pays fragilisés. Quand la configuration est défavorable «on essaie de changer le régime», et si on n'y arrive pas on casse l'Etat, on ruine le pays. Ce n'est pas de l'ordre du secret, cette stratégie figure dans beaucoup de documents américains ou israéliens. Aujourd'hui le pétrole détourné d'Irak et de Syrie va notamment vers Israël, sans besoins d'oléoducs. Vendu en contrebande à 15 dollars le baril alors qu'il frôlait les 120 dollars. L'industrie de production de «la démocratie américaine du nouveau Grand Moyen-Orient» est un trompe-l'œil qui vient des années 1980-1990. Cela n'a rien à voir avec la démocratie et les droits de l'homme : cette stratégie sert à casser le monde arabo-musulman comme cela est attesté dans de nombreux documents, selon Raimbaud. Les résultats sur le terrain sont particulièrement parlants : leur politique dans la région c'est «la logique du chaos». L'Etat islamique appelé Daech est le résultat de l'invasion américaine de l'Irak. Les Américains ont cassé toutes les institutions irakiennes (armée, police, gouvernement, parti Baath, etc.). Ils ne pouvaient mieux faire pour encourager l'émergence des mouvements extrémistes aux méthodes et discours moyenâgeux. Loin des propos consommés et du matraquage médiatique le livre de Michel Raimbaud s'impose déjà comme un grand classique de la géopolitique du Moyen-Orient. M. B.