Le parallèle est permis, il est même nécessaire parce que, par la mise en perspective des événements qu'il autorise, les petits éclairages pris isolément au Machrek, Maghreb et Sahel se rejoignent sur une scène globale dont on a parfois du mal à comprendre les soudains soubresauts. Le mois de mai aura été, vu sous cet angle, porteur d'une dramatique et inquiétante accélération des événements. Comme si le traumatisme infligé à la conscience universelle par la destruction, en février et mars, de trésors patrimoniaux inestimables à Mossoul et Nimroud, n'était pas suffisant, les terroristes de l'EI (Etat islamique) font peser des menaces identiques sur la très vieille ville historique de Palmyre, située à 200 km seulement de Damas et tombée entre les mains de Daech le 21 mai. La cité plusieurs fois millénaire porte les traces-témoignages d'un entrecroisement de civilisations et de religions aux antipodes de la sauvagerie des hordes islamistes actuelles. Le plus grave, c'est cette «inertie» de la coalition internationale rassemblant 22 pays et menée par les Etats-Unis dans le but de contrer la progression de l'EI en Irak et en Syrie. Trois mille raids aériens plus tard (depuis août 2014), en dehors d'un ralentissement de l'avancée de Daech enregistré les premiers mois après les premières frappes de la coalition, les éléments de l'EI ont repris de plus belle leur progression. Plus curieux encore, celle-ci a lieu en même temps dans les provinces irakiennes et syriennes. A Ramadi, par exemple, reprise quelques jours avant Palmyre, des observateurs ont mis en doute le sérieux et l'efficacité des frappes occidentales au moment où la ville n'était qu'assiégée par les islamistes. Sur le terrain, les dernières prises de territoires dessinent deux routes courant sur les deux pays (Irak et Syrie) et délimitant un terrain où Daech compte asseoir son Etat. A croire que le «Calife» Al Baghdadi a prévu d'agir à partir d'une théorie des dominos d'un pays à un autre, les dernières victoires de l'EI en Irak et en Syrie, vrai camouflet pour la coalition internationale dont elles soulignent les limites (ou les intentions), semblent avoir agi comme une onde de choc vers l'est et l'ouest. En Libye, Daech vient d'élargir son emprise territoriale à Syrte, où il a pris la base aérienne militaire, et Benghazi où il s'est signalé par un pilonnage, vendredi, qui a fait huit morts dans un quartier résidentiel. A l'ouest, l'intervention, inopportune à tout point de vue, de l'Arabie saoudite est en train de se retourner contre la monarchie qui a oublié de prendre en compte, avant d'agir, la force du confessionnalisme à l'intérieur même de ses frontières. Daech y a frappé pour la deuxième fois, vendredi, des fidèles chiites à l'heure de la prière du vendredi, une semaine exactement après un attentat similaire. Aucun fait ne peut être pris isolément, c'est un faisceau d'ensemble qui se densifie de plus en plus et indique une (re)montée des périls qui va du Moyen-Orient au Maghreb et se prolonge vers le Sahel et l'ouest africain. Résurgence du GMO (Grand Moyen-Orient) planifié sous G. W. Bush ? En tout cas, tout indique qu'il ne fallait pas enterrer trop tôt le projet, la donne pétrolière restant toujours un élément central de la stratégie et des plans américains. Un vieux briscard de la politique comme Béji Caïd Essebsi l'a vite compris. Ayant pris la parfaite mesure des dangers qui, à partir de la Libye, guettent la Tunisie, et connaissant les limites des forces armées de son pays, il a vite couru vers les Etats-Unis chercher protection. Reçu le 21 mai par le chef de l'Exécutif américain, le président tunisien désigne clairement ce qui l'angoisse : Daech aux frontières est de son pays. Barak Obama comprend au quart de tour, il offre à la Tunisie le statut d'«allié majeur non-membre de l'Otan». En d'autres termes, assistance militaire et aide économique susceptibles d'être garanties. L'Algérie n'a pas manifesté d'humeur ni de mécontentement à la mise sous le parapluie américain et de l'Otan, de la Tunisie. L'armée algérienne (doctrine constante), n'intervient pas en dehors de ses frontières. Béji Caïd Essebsi avait-il un autre choix ? A. S.