Les forces irakiennes appuyées par des milices chiites et des tribus ont repris hier l'initiative face au groupe Etat islamique (EI) en lançant leur première contre-attaque depuis la capture de la ville clé de Ramadi par l'organisation djihadiste il y a six jours. A New York, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est dit très inquiet pour les milliers d'habitants restés à Palmyre après la conquête par l'EI de cette ville du centre de la Syrie, voisine de l'Irak et connue pour la richesse de son site antique. Depuis le 17 mai, le groupe djihadiste a remporté une série de victoires en Irak et en Syrie en s'emparant de nouveaux territoires et d'un poste-frontière, qui lui ont permis d'élargir sa zone d'influence. Fer de lance d'une coalition internationale qui mène depuis plus de neuf mois des frappes aériennes contre l'EI dans ces deux pays, les Etats-Unis ont reconnu des revers et la nécessité de revoir leur stratégie. Dans leur première contre-attaque depuis la chute le 17 mai de Ramadi, la capitale de la plus grande province d'Irak située à 100 km à l'ouest de Bahdad, les forces irakiennes ont repris des positions de l'EI près de la cité. Les opérations pour libérer la localité de Houssayba, à sept km à l'est de Ramadi, ont commencé, a déclaré un colonel de police sur place. Jusqu'ici, le commissariat a été libéré, de même que le secteur autour. L'opération fait des progrès significatifs. Le chef de la principale force tribale dans le secteur, cheikh Rafeh Abdelkarim al-Fahdawi, a fait état d'une large participation des combattants tribaux à l'opération. Celle-ci implique également la police locale et fédérale, la force d'intervention rapide du ministère de l'Intérieur, des soldats de l'armée régulière et des forces paramilitaires chiites des Unités de mobilisation populaire, selon le colonel de police.
Craintes pour les civils à Palmyre L'appel du Premier ministre Haider Al-Abadi aux puissantes milices chiites des Hachd al-Chaabi, qui avaient aidé l'armée à reprendre d'autres secteurs à l'EI, a été décidé après que les forces irakiennes ont été critiquées pour avoir abandonné la bataille à Ramadi. Les milices chiites étaient jusque-là tenues à l'écart d'Al-Anbar pour éviter de s'aliéner la population majoritairement sunnite de la province. En ce moment, les Hachd Al-Chaabi sont le meilleur pari pour Abadi. Je ne pense pas qu'il a plusieurs options, a déclaré Ayham Kamel, directeur pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord du groupe Eurasia. Pour les troupes irakiennes, il est important de passer à l'offensive à Ramadi avant que l'EI n'ait le temps, comme il le fait à chaque conquête, de miner la ville en posant partout des bombes, ce qui rendrait leur avancée beaucoup plus risquée. L'EI s'est emparé le 17 mai de Ramadi, après trois jours de combats, et tentait depuis d'avancer vers l'est de la capitale d'Al-Anbar, une immense province qui s'étire des limites de la région de Baghdad aux frontières jordanienne, saoudienne et syrienne. C'est sur cette province, qu'elle contrôle en grande partie, ainsi que sur d'autres régions en Irak et en Syrie, que l'organisation djihadiste a proclamé son califat en juin 2014. Fort de dizaines de milliers d'hommes, ce groupe accusé de crimes contre l'Humanité a recours à de multiples exactions -rapts, viols, décapitations, nettoyage ethnique- dans ses offensives et dans les régions sous son contrôle. Après la conquête jeudi de Palmyre, les 15 pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU se sont dits particulièrement préoccupés pour les femmes et les enfants de la ville, vu la pratique connue de l'EI de les enlever et de les exploiter.
L'ONU veut 'vaincre' l'EI Ils ont aussi dit craindre pour le patrimoine de Palmyre, ville vieille de plus de 2 000 ans, alors que l'EI a détruit des trésors archéologiques en Irak. Le groupe ultra-radical sunnite contrôle désormais la moitié de la Syrie, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme. Il a profité de la guerre civile en Syrie pour y prendre des territoires dès 2013 et de l'instabilité qui mine l'Irak depuis des années pour y étendre sa base. La percée de l'EI dans ces deux pays depuis une semaine a provoqué l'exode de plusieurs dizaines de milliers de civils. Pour la seule ville de Ramadi, au moins 55 000 personnes ont fui depuis la mi-mai selon l'ONU. L'EI est responsable également d'attaques en Libye, en Tunisie, en Egypte, au Yémen et en Arabie saoudite où il a revendiqué pour la première fois une attaque suicide vendredi dans une mosquée chiite (21 morts). Ce groupe doit être vaincu et l'intolérance, la violence et la haine qu'il manifeste doivent être écrasées, a affirmé le Conseil de sécurité en dénonçant l'attaque en Arabie saoudite.
Obama maintient le cap Le président Barack Obama assure que la bataille contre le groupe Etat islamique n'est pas perdue malgré des revers retentissants en Irak et en Syrie, mais à défaut d'envoyer des troupes au sol, ce qu'il refuse, sa marge de manœuvre apparaît limitée. L'avancée des djihadistes de l'EI et la prise désastreuse de Ramadi, chef-lieu de la province sunnite irakienne d'Al-Anbar, couplée à la conquête de Palmyre, en Syrie, ont semé le doute à Washington sur l'efficacité d'une stratégie consistant à ne compter que sur les forces irakiennes pour reconquérir le terrain face à l'EI, moyennant un appui avec des bombardements aériens. Non, je ne pense pas que nous avons perdu, a assuré le président Obama, dans une interview publiée juste avant que la chute de Palmyre ne soit annoncée jeudi. L'EI a été considérablement affaibli en Irak, et les forces kurdes ont fait des progrès significatifs dans le nord du pays, a affirmé le président américain en rejetant à nouveau toute idée d'envoi de troupes au sol. Mais au sein même de l'administration Obama, le ton est sensiblement plus introspectif.On serait fou de ne pas tenir compte de quelque chose comme cela et de ne pas se demander " qu'est-ce qui a déraillé, comment le réparer et comment corriger la trajectoire à partir de là " ?, a commenté un haut responsable du département d'Etat sous couvert d'anonymat. Et c'est exactement ce que nous faisons: regarder de très, très près la stratégie poursuivie en Irak, a-t-il admis, reconnaissant que la chute de Ramadi avait constitué un événement extrêmement grave. Les Etats-Unis et leurs alliés ont mené depuis août 2014 près de 4 000 raids aériens contre l'EI en Irak et en Syrie, pour un coût de 2,11 milliards de dollars. Ils ont aussi formé près de 10 000 soldats irakiens, 7 000 ayant achevé la formation et 3 000 la poursuivant encore. De l'autre côté d'une frontière presque surannée, le programme de formation de rebelles syriens modérés par les Américains peine à se mettre en place, seuls 90 d'entre eux ayant commencé la formation en Jordanie. Environ 3 000 militaires américains se trouvent en ce moment en Irak dans un rôle de conseil.
Appels à un effort accru Mais cela n'a pas empêché l'avancée de l'EI et des voix s'élèvent pour renforcer la présence américaine. Pour le sénateur républicain John McCain, qui préside la commission des forces armées du Sénat, les Etats-Unis doivent accroître leur effort militaire. Nous avons besoin (...) d'une augmentation décisive, tout en restant limitée, de l'engagement militaire américain, et d'un effort du gouvernement irakien pour recruter, entraîner et équiper des milices sunnites, les plus à même de se battre dans la province d'Al-Anbar, a-t-il estimé. Des experts proposent d'écorner le principe du no boots on the ground (pas de troupes au sol) érigé par Barack Obama au début de la campagne, fort de son engagement à ne pas entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle guerre d'occupation comme en 2003 ou en Afghanistan. Certains proposent ainsi le déploiement de contrôleurs aériens avancés (JTAC), des experts qui près des combats guident les avions dans leurs frappes. Pour Anthony Cordesman, spécialiste de stratégie au Center for Strategic and International Studies, les Etats-Unis doivent notamment permettre à leurs conseillers militaires en Irak, qui restent pour l'instant dans les états-majors loin du front, de se rapprocher des unités combattantes. Ces conseillers, souvent membres des forces spéciales, doivent notamment aider à faire le tri entre les bons chefs militaires irakiens et les mauvais, faciliter la transmission du renseignement vers l'arrière, et aider à dépasser les barrières, rigidités, préjugés confessionnels qui affaiblissent la chaîne de commandement irakien, estime-t-il. Cela peut vouloir dire que l'administration Obama achèvera son mandat avec une guerre en cours. Néanmoins, il est temps que l'équipe présidentielle comprenne que perdre des guerres par omission et inaction n'est pas un meilleur résultat, ajoute-t-il. Richard Haas, ancien diplomate et président du Council on Foreign Relations, va plus loin encore. Au fond, dit-il, la stratégie actuelle ne marche pas et ne peut pas marcher du fait de l'éclatement de l'Irak. L'Irak multiethnique n'existe plus.