La chute des cours du pétrole se poursuit inexorablement. Le prix du baril s'est déjà installé sous la barre fatidique des 50 USD. L'Opep dépasse régulièrement son plafond de production de 30 mbj. Et la baisse sera encore plus accentuée avec le prochain retour de Téhéran sur le marché où le brut iranien ajoutera l'abondance à l'abondance. La tendance baissière, lourde et durable, accentue la crise. L'année 2016 s'annonce encore plus dure. Sombres perspectives pour un gouvernement qui a du se résoudre à revoir à la baisse son budget. Les recettes sont estimées en recul de près de 50%. Les recettes attendues des exportations d'hydrocarbures sont désormais fixées à moins de 35 milliards de dollars contre environ 60 initialement. En comparaison, en 2014, ces exportations avaient généré près de 70 mds USD de recettes. Autant dire que l'avenir est compliqué pour ne pas dire sombre. Le gouvernement qui veut maîtriser son commerce extérieur pour mieux économiser des devises, prévoit des importations atteignant un peu plus de 57 milliards de dollars, contre 65 milliards dans la loi de Finances initiale. Le budget a été calculé sur la base d'un prix théorique de référence de 37 dollars le baril. Or que se passerait-il si son prix descendrait encore sous le seuil des 40 dollars ? Ce serait dramatique et les conséquences seraient avant tout sociales. Car le budget 2015 prévoyait plus de 17 milliards de dollars en transferts sociaux. L'éducation, la santé, le logement et la famille sont les principaux chapitres concernés. Parmi ces aides, il y a celles destinées à l'Ansej, réservées aux jeunes créateurs d'entreprises. Le dispositif finance 30% des projets avec des prêts sans intérêt. En 2013, quelques 43 000 projets, soit 96 000 emplois espérés, ont été soutenus. Quel sera donc l'avenir de l'Ansej si les ressources venaient à manquer cruellement ? L'Etat subventionne aussi les produits alimentaires de première nécessité, l'énergie et l'eau. Une facture globale de 40 milliards de dollars, soit presque autant que le déficit budgétaire de 42 milliards de dollars. Le pouvoir se félicite encore de cette politique. « Les transferts sociaux sont d'un niveau incomparable dans le monde entier », a déclaré récemment le chef de l'Etat. Transferts sociaux et soutien des prix des matières stratégiques sont ainsi les garants de la paix sociale. Mais la dure réalité frappe à la porte, de plus en plus fort. Le gouvernement a adopté fin juillet un budget rectificatif 2015 (LFC) prévoyant une baisse de 50% du revenu des exportations, essentiellement pétrolières, et de nouvelles mesures fiscales pour compenser en partie cette baisse. Le budget rectifié prévoit des recettes globales d'environ 50 milliards de dollars et des dépenses de 81 milliards, soit un déficit de 32 milliards de dollars contre 42 dans le budget initial. Déficit qu'il faudra bien combler par le recours inévitable au bas de laine de l'Etat que constitue le FRR, le Fonds de régulation des recettes. Une soupape de sécurité qui risque cependant de s'épuiser dans deux à trois ans si les choses restaient en l'état ou, pis encore, s'aggravaient. Pour l'instant, l'Exécutif s'abstient de nommer un chat un chat. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal écarte une «politique d'austérité» qui «a toujours engendré la pauvreté». Il entend «remplacer la politique de la dépense publique par la performance économique». Mais cette politique n'est pas vraiment tenable sur le long terme. Les réserves de changes ont diminué de 20 milliards de dollars en trois mois. Au mieux, en guise de marge de manœuvre, l'Algérie a donc en réserve deux ou trois ans d'importations. Court répit avant que le FMI ne vienne sonner à la porte ou que l'on revienne à l'emprunt sur les marchés financiers s'il n'y a pas d'ici à 2017-2018 un retournement favorable des marchés pétroliers, avec la fin de la surabondance de l'offre. Quant à la reprise par la performance économique dont parle M. Sellal, on ne risque pas de la voir venir de sitôt, le pays produisant trop peu dans une économie peu diversifiée. Surtout pas avec un privé faible créateur d'emplois et de richesses. Et contrairement aux assertions du gouvernement, tous les clignotants se mettent au rouge. Déjà que des projets structurants commencent à être gelés notamment dans le bâtiment. Les affres des années de plomb ressurgissent. On se souvient que la chute du prix du pétrole au milieu des années 1980 a été le prélude aux émeutes d'octobre 1988. Sans transferts sociaux et sans redistribution minimale, la rue pourrait de nouveau se tourner vers n'importe quel extrémisme. Le tableau est donc sombre mais la situation n'est toutefois pas totalement désespérée. On peut s'en sortir. A condition de mettre en place des mécanismes de coordination, de réorientation et de surveillance. De penser l'économie en fonction de l'intérêt des générations suivantes. De lutter contre les rentes économiques, financières, sociales et politiques, et de favoriser les investissements et les innovations de toutes natures. Bref, faire preuve de vision et d'audace. Ne pas se contenter de solutions de carabin mais privilégier plutôt le remède de cheval. Aller chercher l'argent là où il se trouve, notamment avec un bien meilleur taux de recouvrement de l'impôt, en faisant payer plus les riches et en obligeant les délinquants fiscaux à s'acquitter de l'impôt, particulièrement les barons de l'informel. Des pas précédant une redéfinition de la politique fiscale en s'orientant vers plus de rigueur, d'efficacité et d'équité. Cela suppose de l'audace, de la confiance, de la transparence. N. K.