Les alertes sur la situation qui prévaut en Libye se multiplient. La dernière en date est celle du ministre français de la Défense. Jean-Yves Le Drian parle d'un «risque majeur» pour ce pays à deux doigts de sombrer dans un chaos intégral de type somalien. Dans une interview à l'hebdomadaire Jeune Afrique, il tire la sonnette d'alarme : «On voit arriver dans la région de Syrte (nord de la Libye) des djihadistes étrangers qui, si nos opérations en Syrie et en Irak parviennent à réduire la base territoriale de Daech, pourraient être demain plus nombreux.» Que faire, dans ces conditions ? Pour le ministre français, qui exclut toute intervention militaire au sol de son pays en Libye, «il faut absolument que les Libyens s'entendent entre eux», faisant allusion aux discussions entre clans rivaux qui, jusqu'à présent, ne sont pas parvenus à trouver un terrain d'entente en vue d'un éventuel accord susceptible de préfiguré un gouvernement d'union nationale. Il y a le feu dans la maison Libye et les inquiétudes du ministre français font écho aux mises en garde contre une extension de l'EI (Etat islamique) dans toute la partie méridionale du continent (africain) avec comme perspective la moins incertaine une jonction, à partir du sud de l'ex-Jamahiriya, avec les terroristes présents dans le Sahel ainsi que ceux de Boko Haram. La Russie, l'Egypte, l'Italie, la Tunisie... n'ont eu de cesse, pour leur part, de pointer ce très grave péril d'une transposition du conflit syrien sur des territoires proches, très proches de l'Europe. Quand on pense que les îles Baléares et l'île de Lampedusa ne sont qu'à quelques encablures des côtes nord-africaines, il est permis d'imaginer le pire à brève échéance. D'ailleurs, dans un récent avertissement, le «Califat» d'Abou Bakr al-Baghdadi déclare son intention d'entamer bientôt sa «marche (via la Méditerranée -sic-) vers la très symbolique Rome pour y réaliser ses objectifs d'expansion islamique contre les ‘‘Croisés''». En fait, l'intervention Russe en Syrie depuis le 30 septembre dernier, tout en révélant la vraie nature d'une «guerre par procuration» dans ce nœud gordien du Moyen-Orient, en a révélé les enjeux et les complicités occidentales. Les bombardements massifs de l'aviation russe sur les infrastructures et les centres de commandement des groupes terroristes ont rapidement désorganisé la stratégie de ces derniers et réduit leur force de frappe au point de les conduire à entreprendre une migration vers d'autres territoires. Daech ayant un faible pour les no-mans-land qui ressemblent à des «terra nullius», c'est naturellement qu'il a jeté son dévolu sur une Libye sans gouvernement réel, livrée à la loi des milices surarmées et, dans les faits, déjà démembrée en entités géographiques, économiques et tribales redessinées par la nouvelle situation née de l'effondrement du régime de Kadhafi en 2011. Il y a du pétrole, des armes en abondance, une main-d'œuvre guerrière disponible, et une position géostratégique propice au redéploiement de Daech. On peut se demander, face à une telle configuration des choses, l'utilité des bombardements de la coalition menée par les Etats-Unis en Syrie et en Irak contre des groupes terroristes qui ont, apparemment, toutes les facilités pour aller se reconstituer en Libye. L'urgence libyenne rappelle cette belle expression de Talleyrand : «Quand c'est urgent, c'est déjà trop tard.» Les efforts diplomatiques pour une entente entre les deux Parlements libyens siégeant à Tripoli et Tobrouk ne laissent pas, pour le moment, apparaitre les prémices d'un plan B qui viendrait parer à l'échec des discussions et négociations pour une «solution pacifique». Benghazi, Syrte et Misrata sont sous occupation partielle de 2 000 à 3 000 terroristes de Daech qui ont ouvert, par ailleurs, un camp d'entrainement à la frontière avec la Tunisie. Si personne ne doit souhaiter un échec des pourparlers d'une hypothétique paix entre factions rivales libyennes, envisager l'option de leur échec, renouvelé, relève par contre du bon sens élémentaire. Qui seraient alors les braves à soutenir en Libye pour qu'ils en prennent le commandement ? A. S.