Le tribunal criminel près la Cour d'Alger qui examine l'affaire dite Sonatrach 1 depuis maintenant dix-huit jours, entendra aujourd'hui les demandes du procureur général qui devra, dans un réquisitoire très attendu, requérir les peines contre la vingtaine d'accusés. Hier, le tribunal a eu à écouter les plaidoiries de la partie civile. Cinq avocats ont défilé devant le tribunal dont deux représentants, le Trésor public et trois de la compagnie pétrolière Sonatrach. Pour le Trésor public, il est à rappeler que l'agent judiciaire du Trésor a introduit, à l'ouverture du procès une demande de constitution, mais le tribunal a décidé de la joindre dans le fonds et de ne se prononcer qu'au moment du traitement de l'action civile, après le verdict. Hier, le bâtonnier Sellini, l'avocat de la compagnie Sonatrach a été le dernier à passer à la barre. Dans une plaidoirie brulante qui a créé une certaine controverse dans la salle d'audience, le bâtonnier a demandé au tribunal criminel de rendre justice au nom du peuple et de l'Algérie car, comme il l'a déclaré «Sonatrach, c'est l'Algérie». Dans la matinée, le bal des plaidoiries a été ouvert par Me Zouakou, avocat de l'agent judiciaire du Trésor public (AJT). Me Zouakou commence sa plaidoirie en affirmant au tribunal que sa demande de constitution aurait pu être tranchée avant le début du procès. Car, comme il le dira pour argumenter la raison de la constitution du Trésor public comme partie civile «Sonatrach appartient à l'Etat. Le Trésor public représente l'Etat. L'assemblée générale de Sonatrach est composée de ministères». Me Zouakou va revenir après sur les faits et évoquera le préjudice causé à l'Etat à travers la passation de marchés en violation à la réglementation avant de clôturer en demandant au tribunal d'accepter la constitution de son client. Me Zouakou va céder sa place à Me Oularbi Djamel, défenseur des intérêts du même client à savoir le Trésor public. L'avocat va également insister sur le fait que Sonatrach est une SPA (société par actions), propriété de l'Etat car comme il le dira «c'est l'Etat qui compose son assemblée générale. Il distribue son budget et ses bénéfices». Aucune obligation d'une plainte préalable de Sonatrach car dans ce procès, il ne s'agit pas d'actes de gestion, mais d'infractions relevant du droit commun. Il rappellera ensuite que Mohamed Meziane, l'ex- P-dg, a été nommé par décret présidentiel en qualité d'agent public. Il citera juste après un article de la loi contre la corruption (01/06) qui parle des peines encourues par les agents publics et dit : «Les crimes commis par ces accusés tombent sous le coup de cette loi et il n'y a, dans ce cas, aucune obligation d'une plainte préalable de la compagnie pour appuyer les poursuites.» L'avocat qui va revenir longuement au fait que Sonatrach n'a jamais déposé plainte contre les accusés, explique que «si on suit cette logique pour dire que la compagnie n'a pas déposé de plainte et n'a donc subi aucun préjudice, il n'y a pas lieu de tenir ce procès et chacun de nous devrait rentrer à la maison. Mais c'est faux. Parce qu'il ne faut pas forcément une victime pour punir les crimes dont sont poursuivis les accusés. Ces derniers sont poursuivis de passation de marchés contraires à la réglementation, de blanchiment et de corruption. Il y a eu donc un détournement de deniers publics», dit l'avocat avant d'ajouter : «Sonatrach est une société publique et chaque préjudice qui l'atteint, atteint forcément l'Etat. Et même si Sonatrach dit qu'elle n'a pas subi de préjudice, nous, nous disons en avoir subi !» Me Oularbi va ensuite revenir sur certains faits en évoquant à titre d'exemple les montants exorbitants perçus par certains accusés sous la couverture du consulting. «30 000 euros par mois pour une consultation ! Qu'est-ce que ce consultant a pu apporter à l'entreprise allemande. Quel est ce savoir qu'un simple technicien a pu donner. Il est clair qu'il ne s'agit pas de consultation, mais de commissions indues», crie haut l'avocat qui ne manque pas de parler à ce moment du délit d'initié pour l'ex-P-dg, Mohamed Meziane. Le défenseur revient ensuite sur la violation répétée par les accusés de la R15 : «La R15 ne parle pas de négociations et il n'était pas question de négociations, mais de marchandage ! D'ailleurs, en lisant ce règlement intérieur, rédigé par une commission interne à Sonatrach, j'ai été choqué de constater les nombreuses failles qu'il contient. A croire que cela a été fait exprès afin de permettre les malversations». Le représentant de l'agent du Trésor public ne va pas clôturer sa plaidoirie avant de faire remarquer au tribunal que le choix de la société allemande Funkwerk par les accusés n'a pas été fortuit en disant : «Comment est-ce que des hauts cadres de la 12e compagnie du monde, qui emploie 120 000 travailleurs et qui a un chiffre d'affaires de plus de 62 milliards de dollars, ont accepté de s'abaisser et de négocier des prix avec Funkwerk, une Sarl (société à responsabilité limitée), créée en 2003 et qui n'a que 100 employés.» Avant de conclure, l'avocat va affirmer que «les crimes et délits pour lesquels sont poursuivis les accusés sont fondés et nous demandons notre constitution». Pour la partie civile, à Sonatrach, «le ver était dans le fruit» Dès sa prise de parole, Me El Abdoun Saïd, l'avocat de Sonatrach, va répondre à son collègue Me Oularbi en disant : «Je tiens à préciser que Sonatrach n'a jamais déclaré n'avoir pas subi de préjudice, mais a demandé la préservation de ses droits.» L'avocat va prendre beaucoup de temps pour rappeler les faits qui ont été exposés depuis le début du procès. Il insistera cependant à chaque fois, sur les sommes importantes qui étaient virées à certains accusés après la conclusion des contrats avec Sonatrach. Ironique, il dira : «Toutes les sociétés qui ont obtenu des contrats avec Sonatrach se sont présentées devant vous pour dire avoir perdu de l'argent comme les 11 milliards de centimes du bureau d'études de CAD, les 150 millions d'euros de Saïpem ou encore les 5 millions d'euros de Funkwerk. Qui peut imaginer qu'une société accepte de travailler à pertes». Me El Abdoun va se suffire des faits et cèdera sa place à son collègue pour évoquer les points de droits. Me Djamel Benrabah s'avance alors vers la barre. La première phrase de ce défenseur sera : «Je tiens aujourd'hui à affirmer devant vous et en public que Sonatrach est une victime qui a subi un préjudice. Le préjudice existe et il est important et sur le plan financier et sur le plan moral.» Me Benrabah va également revenir sur le point soulevé par les avocats de la défense dans leurs demandes préliminaires à l'ouverture du procès où ces derniers ont introduit une requête au tribunal demandant l'annulation de la procédure et des poursuites sur la base de l'article 6 bis du code de procédure pénale du 23 juillet 2015 et qui stipule qu'en présence d'actes de gestion, l'action publique ne peut être actionnée que sur la base d'une plainte. Me Benrabah explique que «les accusés sont poursuivis pour corruption, blanchiment d'argent, dilapidation etc. Il ne s'agit pas d'actes de gestion, mais d'infractions relevant du droit commun. Donc Sonatrach a toute la latitude de se constituer partie civile à tout moment dans ce procès tant que le verdict n'a pas été prononcé. Et Sonatrach s'est constituée le 1er mars 2010.» En soutenant que pour Sonatrach «le ver était dans le fruit», l'avocat va relire un paragraphe du préambule de la R15 qui souligne que ladite instruction devait assurer l'établissement de passation de marchés dans les meilleures conditions économiques pour Sonatrach. «C'était loin d'être le cas !», lâche l'avocat. Ce dernier ne va pas traiter directement des points du droit, mais prendra énormément de temps à revenir, encore une fois sur les faits. Sur le droit, Me Benrabah va citer l'article 7 de la R15 qui souligne que le gré à gré est une procédure extraordinaire, utilisée dans le cas d'infructuosité d'un appel d'offres ou dans le cas de conditions exceptionnelles dûment établies. Il citera ensuite l'article 14 du même règlement interne de Sonatrach qui stipule qu'il y a une infructuosité dans le cas où il n'y a aucune soumission ou uniquement deux soumissions pour confirmer que les contrats établis étaient contraire à la réglementation. Dissous légalement, le Groupement Contel-Algérie a obtenu des marchés et l'italienne Saipem a facturé un plus de 2 500 milliards de centimes Me Sellini, le troisième et dernier avocat de la Sonatrach, dira au tribunal que «le peuple attend qu'on lui rende justice». Choisissant des termes forts, l'avocat commence par le projet de télésurveillance en disant que «ce projet est une mascarade et quelle mascarade !», affirmant que tout a été préparé d'avance. «Il y avait un plan démoniaque, tout un montage d'une opération diabolique. Puisque Contel-Algérie, et voici les documents Monsieur le juge, avait envoyé plusieurs demandes de présentation de ses produits avec différentes sociétés étrangères avant celle de Funkwerk. Pourquoi avoir changé autant de partenaires si ce n'était pas dans le cadre d'un plan bien ficelé qui confirme que les gestionnaires de Sonatrach ont choisi de se lier à des escrocs». L'avocat ne va pas s'arrêter là et continuera à présenter les documents en disant que «je me suis juré de dire toute la vérité et je vais vous la dire. Le capital de Funkwerk, une coquille vide, est de 50 000 euros et celui d'Al Ismaïl est d'un milliard de centimes et ces deux accusés ont eu des contrats de plus de 1 100 milliards de centimes ! Voilà le sérieux des gestionnaires de Sonatrach», dit le bâtonnier avant d'ajouter «et ces gestionnaires qui ont argué devant le tribunal avoir travaillé pour le pays et uniquement dans son intérêt ont donné des contrats au groupement Contel-Algérie alors qu'il n'avait aucune existence légale. Oui ! Aucune existence légale puisque le groupement a été créé en mars 2006 pour une durée non renouvelable de deux ans. Le groupement était dissous par la force de la loi en mars 2008, mais Sonatrach a continué à lui octroyé des marchés». Me Sellini qui affirme parler au nom du peuple, propriétaire de la Sonatrach dit à nouveau : «Voici le contrat de consulting d'Al Ismaïl où il est clairement souligné que ce consultant recevra une commission de 1,7 millions d'euros ! Les 1,7 millions d'euros reçu par Al Ismaïl portent atteinte au 98% des revenus du peuple algérien que représente Sonatrach. Dois-je également parler des contrats de consulting des Maghaouis, des Meziane. C'est tout le monde qui se découvre des qualités d'experts !» Me Sellini va revenir sur les autres contrats incriminés dans ce procès, sur le règlement intérieur à respecter et dira que «quand il s'agit de mesures exceptionnelles ou d'urgence, comme cela a été prétexté par les accusés, l'urgence doit-être justifiée par un dossier selon le règlement et les mesures doivent être prises dans une quinzaine de jours ou un mois. Or, nous sommes dans la gestion de marchés qui ont duré plus de deux ans et réellement s'il y avait un danger sécuritaire, l'armée aurait pris en charge ce volet». Le bâtonnier soulèvera ensuite plusieurs points en violation à la réglementation qui ont entaché les 5 projets ne manquant pas de parler de la surfacturation de Saïpem dont les offres étaient au moins 2,5 fois plus chères. Il citera dans le détail les montants perçus par cette société affirmant que Saïpem a encaissé indûment plus de 2 500 milliards de centimes! «Cela s'explique par la présence de Tolio Rossi en Tunisie pour assister au mariage de Réda Meziane, s'explique par le contrat de consulting, la villa de 4,5 milliards et…et…». Me Sellini arrive au projet Ghermoul et déclare qu'il y a eu le même scénario et les mêmes malversations «et on nous explique que c'est sur recommandation d'un certain el Hamech. Le travail de l'étude et du suivi n'a pas été fait, mais Sonatrach a payé 50% et le marché a été annulé en raison de la mauvaise exécution et nous avons les documents qui le prouvent». Le bâtonnier va affirmer que pour ce projet également, il ne s'agissait que d'un montage puisque la consultation restreinte a été décidée après l'octroi du marché de l'étude. Me Sellini va parler de la loyauté du khalif Omar Ibn Khatab, de celle de moudjahidine qui ont eu à préserver les dons de l'ALN ou encore de ce simple djoundi exécuté par son chef parce qu'il a volé 50 DA ! Il clôture sa plaidoirie en disant : «Les accusations retenues à l'encontre des accusés sont fondées et ces derniers doivent être punis selon l'intime conviction du tribunal criminel. Mais je tiens à dire que Sonatrach est l'Algérie, la seule ressource du pays et du peuple, alors au nom de l'Algérie et du peuple qui a été trahi, spolié, volé (…) nous demandons au tribunal justice, de rendre à tout un peuple son droit.» H. Y.