Malmenées en Bourse depuis le début de l'année, les banques européennes refusent cependant tout parallèle avec la crise de 2008. De fait, ce n'est plus leur solvabilité qui pose question, mais leur rentabilité, menacée notamment par la faiblesse des taux d'intérêt. S'il est un secteur emblématique des turbulences boursières de ce début d'année, c'est bien celui des banques. Depuis le 1er janvier, l'indice SX7R des principales valeurs bancaires européennes a plongé de 19%. Cette chute, deux fois supérieure à celle de l'ensemble du marché, donne aux premiers mois de 2016 un air de «revenez-y» de la grande crise financière de 2008, estiment certains observateurs. Un parallèle que les dirigeants des banques refusent tout net : «Nous ne sommes pas du tout dans la situation de 2008, quand la solvabilité et la liquidité des banques inquiétaient», a décrété Frédéric Oudéa, directeur général de la Société générale, lors de la présentation des résultats annuels de la banque française, le 11 février. Les stratégistes de JPMorgan Asset Management ne disent pas autre chose, dans une note publiée le 22 février : «La liquidité et la solvabilité du secteur bancaire européen ne sont plus des problèmes systémiques (...). Le moindre recours au financement de marché, ajouté aux facilités de crédit de la Banque centrale européenne (BCE), limite aujourd'hui le risque d'une crise de liquidité. Les inquiétudes liées à la solvabilité sont également exagérées.» JPMorgan AM en veut pour preuve le ratio de fonds propres «durs» (de très grande qualité) des banques européennes, qui s'établit aujourd'hui en moyenne à 12,8% des crédits consentis, contre 7% seulement avant 2008. Un renforcement à mettre sur le compte des nouvelles réglementations qui ont déferlé sur le secteur, dans le sillage de la crise. Yann Goffinet, analyste senior chez Pictet Wealth Management, en est lui aussi convaincu, «les banques ne rencontrent pas de difficultés de trésorerie ou de solvabilité.» Pour ce dernier, « il n'y a donc pas de problème systémique, à la différence de 2007-2008», quand la défiance des banques les unes à l'égard des autres les avait conduites à ne plus se prêter d'argent entre elles, provoquant une crise de liquidité. En revanche, «les banques sont confrontées à un problème de rentabilité», écrit Yann Goffinet dans une note publiée le 23 février. «Le premier souci du secteur bancaire en Europe est la rentabilité», renchérissent les experts de JPMorgan AM. La faiblesse des taux place les marges d'intérêt sous pression Difficile à croire, à l'aune des résultats publiés par les banques, au titre de l'exercice 2015. Avec près de 23 milliards d'euros de bénéfices, au total, les établissements bancaires français ont en effet presque renoué avec leurs niveaux d'avant la crise. Certes, mais 2015 appartient déjà au passé, et c'est à partir de 2016 et de 2017 que les marges des banques devraient véritablement se ressentir de la faiblesse des taux d'intérêt. Des taux que les banques centrales ont baissé jusqu'à les rendre négatifs, dans certains cas, afin de tenter de relancer les investissements des entreprises et la consommation des ménages. Revers de la médaille, les banques européennes, dont le PNB (produit net bancaire, équivalent du chiffre d'affaires) est constitué à hauteur de 60% à 65% d'intérêts, voient leurs revenus s'éroder. Pas tant au niveau de leur activité de crédit, les conditions de refinancement avantageuses des banques compensant peu ou prou la faiblesse des taux accordés aux emprunteurs, qu'au chapitre des dépôts. En effet, les banques placent une part significative des dépôts de leurs clients sur les marchés, dépôts qui sont de moins en moins bien rémunérés en raison de l'environnement de taux très bas qui dure depuis quatre ou cinq ans et qui ne semble pas près de s'achever. De fait, le 10 mars, la BCE pourrait annoncer une nouvelle baisse du taux auquel elle rémunère les dépôts des banques, lequel est déjà négatif, à -0,30%. Si les stratégistes de JPMorgan AM, de Nomura et de Pictet Welath Management tablent sur un recul de 10 points de base, leurs confrères de Morgan Stanley, eux, n'excluent pas une coupe encore plus franche, de 20 points de base. Ce qui, préviennent-ils, entraînerait une chute de 10%, en moyenne, des bénéfices des banques de la zone euro, en 2017. C'est qu'il n'est pas simple, pour les banques, de répercuter les taux négatifs sur leurs clients, pour d'évidentes raisons commerciales. Certaines banques suisses se sont hasardées à facturer les dépôts, mais uniquement pour leur clientèle d'entreprises et d'investisseurs institutionnels. En France, les banques ont généralisé les frais de tenue de compte depuis le 1er janvier, une mesure qui a suscité une certaine polémique dans l'opinion publique. Les banques suédoises, elles, tentent de trouver une parade en relevant les taux de leurs crédits immobiliers. La chute du prix du pétrole, autre menace pour la rentabilité des banques Plus généralement, les banques européennes vont s'efforcer de développer les activités générant des commissions, lesquelles ne représentent à l'heure actuelle qu'entre 20% et 25% de leur PNB. L'an dernier, le métier de la gestion d'actifs a été le grand gagnant de cette stratégie. Qui a des limites : «Dans sa quête de rendements, le secteur financier s'est, semble-t-il, aventuré dans des territoires plus risqués», a estimé Danièle Nouy, présidente du Mécanisme de supervision unique (MSU) de la BCE, le 23 février, soulignant le risque d'instabilité induit par cette situation. Parallèlement, les banques vont être plus vigilantes que jamais sur la maîtrise de leurs charges. Le groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d'Epargne) va ainsi «réfléchir à une extension, sous diverses formes», de son programme de synergies de coûts lancé en 2013, et qui prévoyait 900 millions d'euros d'économies d'ici à 2017. Une nécessité d'autant plus aiguë que la faiblesse des taux ne constitue pas la seule menace pour la rentabilité des banques. Celle-ci pourrait également pâtir d'une hausse du coût du risque (provisions pour risques d'impayés), liée à la chute du prix de l'or noir, qui fragilise les sociétés pétrolières clientes des banques. Les analystes d'Axiom Alternative Investments évaluent ainsi à 33 milliards de dollars les pertes que les banques pourraient subir, du fait de leur exposition aux secteurs du pétrole et du gaz, soit 4% environ de leurs bénéfices attendus pour 2016 et 2017. A cette éventualité s'ajoute celle d'une récession économique mondiale qui, en freinant les velléités d'investissement et de consommation, briderait les activités de crédit. Enfin, l'apparition d'une nouvelle concurrence - celle des fintech et des géants de l'Internet - pourrait entailler de 20% à 60% les bénéfices de certains métiers bancaires, en particulier dans la banque de détail, d'ici à 2025, selon le cabinet McKinsey. C'est un euphémisme de dire que la rentabilité des banques pose aujourd'hui question. C. L. In lemonde.fr