La chose paraît entendue. La Banque centrale européenne (BCE) va élargir aujourd'hui son soutien aux prix en zone euro, avec une nouvelle baisse de taux d'intérêts et encore plus de liquidités déversées dans une économie en butte à une multitude de risques. En évoquant dès janvier la nécessité de "réexaminer" l'action de la BCE en mars, le président Mario Draghi avait annoncé la couleur. Toutes ses déclarations et celles des autres banquiers centraux depuis vont dans le même sens : l'institution monétaire est prête à en faire encore plus pour aider la zone euro à renouer avec une inflation digne de ce nom. Mais "en faire plus" se traduira par "des avancées mesurées et probablement pas un nouveau bazooka", prédit Michael Schubert, de Commerzbank. Pas de largage de grosses sommes d'argent directement dans la poche des consommateurs européens, par exemple. Cette option, connue sous le nom de "helicopter money" en jargon bancaire, et évoquée ici et là, serait incompatible avec le mandat de la BCE. Et la Cour constitutionnelle allemande, jalouse gardienne des traités, est aux aguets, rappelle M. Schubert.
Faire repartir le crédit La BCE va donc continuer dans la voie qu'elle suit déjà : en injectant encore plus d'argent dans le système, dans l'espoir qu'il va circuler dans l'économie et redynamiser la conjoncture et les prix. Et en agissant sur un des taux d'intérêt comme levier pour faire repartir le crédit. Le taux principal, lui, restera stationnaire à 0,05%, anticipent les observateurs. Jonathan Loynes, économiste de Capital Economics, attend aujourd'hui "une nouvelle baisse du taux de dépôt (à -0,50%) et une augmentation de 20 milliards d'euros par mois des volumes mensuels de rachats de dettes". Son confrère Howard Archer d'IHS entrevoit même des achats mensuels gonflés de 30 milliards par mois. A l'heure actuelle, la BCE rachète pour 60 milliards d'euros par mois de dette, surtout des obligations souveraines, et cela fait plusieurs mois déjà que les observateurs s'attendent à une augmentation de ce volume.
Révision à la baisse Tiraillé entre les "faucons" partisans du statu quo, au rang desquels l'Allemagne, et les "colombes" prêtes à l'action, le conseil des gouverneurs de l'institution avait d'abord préféré seulement allonger la durée du programme de rachat, le "QE" (quantitative easing, en français "assouplissement quantitatif"), de six mois, jusqu'à mars 2017. Cette annonce faite en décembre avait fortement déçu les marchés, qui réclamaient davantage. Depuis l'évolution des prix à la consommation a viré au négatif (-0,2% en février). La BCE devrait ajuster fortement à la baisse jeudi ses prévisions d'inflation à moyen terme pour le bloc monétaire, légitimant pleinement une intervention plus ample. "L'importance cruciale de ne pas décevoir à nouveau les attentes des marchés devrait apparaître clairement même aux membres du conseil les plus réticents", relève M. Loynes. Dans un contexte de chute du cours de pétrole, d'inquiétudes sur les pays émergents et de multiples foyers de crise géopolitique, il serait fort malvenu que les marchés aient en plus matière à douter de la détermination des banques centrales, qui, que ce soit la Réserve fédérale américaine, la Banque du Japon ou la BCE, portent les grandes économies à bout de bras depuis la crise financière.
Observateurs sceptiques Mais la question de l'efficacité de leurs politiques est déjà ouvertement posée. Dans les économies développées, "les coûts d'emprunt sont déjà très bas", note Holger Schmieding, économiste de Berenberg, sceptique sur les chances de succès des mesures à venir. "Des taux encore plus bas ne feront pas une grande différence" et, dans l'environnement actuel d'extrême incertitude, "la politique monétaire a perdu une partie de ses pouvoirs", selon lui. Les taux de dépôt négatifs - une pénalité par laquelle les banques centrales veulent inciter les banques à prêter plutôt qu'à stocker leur argent auprès d'elles - sont de plus en plus critiqués pour leurs effets néfastes sur la rentabilité des banques. Consciente de la problématique, la BCE pourrait flanquer une nouvelle baisse du taux d'un mécanisme de seuils qui pénaliserait plus les très gros dépôts, spéculent les observateurs.