Le cinéma est sinistré depuis la fin des années 1980. Son acte de décès a été signé avec la dissolution de l'Office national du cinéma et de l'industrie cinématographique (Oncic), en 1984. Si cet office public n'a pas réellement construit une industrie cinématographique, il avait pourtant fait les beaux jours du 7e art qui commençait à s'affranchir pour voler de ses propres ailes. En effet, cet office dédié au cinéma avait pu séduire des jurys des plus exigeants arrachant des distinctions internationales avec des longs métrages ayant obtenu des Palmes d'or au festival de Cannes dont Z de Costa-Gavras en 1968 et Chroniques des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina en 1975. Cette étape du cinéma algérien était cruciale et devait en principe hisser la production cinématographique à des niveaux insoupçonnés que le public algérien cinéphile soutenait et encourageait par une fréquentation des salles qui avait installé des habitudes devenues au fil du temps un rendez-vous culturel à ne pas manquer. Les salles obscures ne désemplissaient pas. Pour certains films, on assistait même, à l'époque, à des bousculades devant les guichets pour avoir son billet. Les tickets se vendaient même au marché noir ! Les projections se faisaient à guichets fermés. Les salles, bien entretenues et bien aménagées - orchestre, salle et balcons -, étaient archicombles, les placeuses avec leurs lampes électriques s'occupaient des retardataires pour leur indiquer leurs places. L'entracte était l'occasion d'aller prendre des rafraîchissements à la buvette, mais aussi pour discuter du film qui sera projeté, parler des acteurs qui y jouent, du thème abordé. A la projection, tout le monde se tait et suit dans un silence religieux les séquences du film pour ne rien en rater jusqu'à la fin, quand les lumières se rallument éclairant la salle, tirant les spectateurs du monde virtuel pour les ramener à la réalité. On en sort «rassasié» de culture, on organise des débats et on essaye de comprendre, chacun donnant sa lecture du film qu'il «dépèce» en séquences pour ensuite les relier les unes aux autres et saisir le message que veut faire passer le cinéaste. Toute une culture. Puis vint le néant. Le cinéma avec tout son cérémoniel a pris congé, un congé de longue durée. Les années 1990 assassines de la culture sous toutes ses formes, le cinéma y compris, était assimilées en une hérésie qu'«il fallait à tout prix faire disparaître. Les salles de cinéma ont fermé les unes après les autres et ont été transformées en commerces. L'on a vu certaines converties à la vente de zlabia pendant le Ramadhan et pour d'autres en bazars. Ainsi, de la culture de l'esprit, de cette transcendance et de cette élévation, on est passé au néant culturel. Les jeunes générations, du moins celles de l'intérieur du pays, ne savent pas ce qu'est une salle de cinéma, parce qu'ils n'y ont tout simplement jamais mis les pieds pour voir un film et l'apprécier, en discuter avec des copains. Pour eux, le grand écran, c'est juste pour voir un match projeté par un data-show ou alors un DVD où les films d'action rivalisent pour faire l'apologie de la violence prônée et vantée comme étant le meilleur moyen de régler un conflit. Et cela ne va pas sans dégâts sur le plan psychologique pour une jeunesse à l'énergie débordante. Des films abrutissants et «débilisants» où il n'y a pas l'ombre de la culture. Ce sont juste des personnages pris dans le feu de l'action avec des affrontements violents pour à la fin glorifier le vainqueur. Le cinéma est ainsi détourné, dépossédé et dépouillé de sa mission culturelle, éducative et civilisatrice pour être présenté comme une marchandise que les jeunes consomment sans en saisir le sens véritable. Ces années ont fini par détruire le cinéma, à l'effacer complètement du paysage médiatique national, voir le même film à la télévision chez soi et le voir au cinéma ce n'est pas du tout la même chose. Car au cinéma, on rencontre des cinéphiles, on fait de nouvelles connaissances, on discute, il y a échange sur le contenu, les acteurs, le scénario, les trucages, les techniques utilisées et cela permet d'enrichir ses connaissances et de découvrir à chaque fois de nouvelles. On ne verra plus les films de la même façon, on aura le sens de la critique. Ce n'est pas le cas chez soi, on regarde le film puis on se recroqueville sur soi sans plus. L'embellie constatée avec l'organisation du Festival d'Annaba du film méditerranéen (FAFM) qui avait quelque peu donné espoir aux milliers de cinéphiles qui croyaient en la résurrection du 7e art s'était tout de suite éteinte comme un feu de paille. Les promesses n'ont toujours pas été tenues et le cinéma a prolongé son congé de longue durée. Cette descente aux Enfers du cinéma national se poursuit sans que ceux qui président aux destinées de la culture ne «daignent» réagir. Adieu donc Cinéma ! M. R.