Ça pourrait être une bonne nouvelle. En effet, le ministre de la Culture semble décidé à faire revenir le cinéma dans les salles désaffectées ou fermées depuis presque les Frères Lumières ! Azeddine Mihoubi a annoncé en effet que son ministère est en négociation avec un opérateur franco-belge pour la restauration de certaines salles de cinéma des grandes villes. L'opération de réhabilitation concernera progressivement Alger, Oran et Sétif avant de s'étendre à d'autres centres urbains. Toutes les salles concernées seront dotées des meilleures conditions de projection. Le ministre semble donc sérieux et de bonne volonté, prenons alors les bons augures. L'étiolement quasi-total du cinéma dans nos villes, avec la disparition ou le délabrement des salles, et la désaffection du public pour les toiles, n'a que trop perduré. De même que l'inexistence d'une industrie et d'une économie du cinéma était tout aussi déplorable. Autre bonne nouvelle, le ministre semble s'acheminer vers l'élaboration d'un projet d'ensemble. Ce plan vise la mise sur pied d'une vraie industrie cinématographique qui sera ouverte à l'investissement privé et qui comptera toujours sur le concours des pouvoirs publics. Nouvelle d'autant plus réjouissante que le ministère a déjà reçu des dossiers de réalisation de salles ou de studios de cinéma émanant de privés. Il faut donc en finir avec ces spectacles hideux de salles de cinéma transformées en dépotoirs, voire en W.-C. sauvages dans certains cas. Exemple, à Alger, le cinéma Le Français devenu le coin de prédilection du Rattus-rattus, le rat noir. Ou encore l'Afrique rouvert en 2012 après des années de travaux de rénovation, qui est toujours désespérément fermée. Ô rage, ô désespoir, dans Alger la noire, le cinéma ne fait plus son cinéma ! Non, vraiment plus et depuis des années-lumière. Le septième art n'est plus à la fête malgré de louables efforts de réhabilitation de quelques salles délabrées. La faute n'incombe pas seulement à la vidéo piratée, aux satellites-télé et aux films téléchargés. A Alger La Blanche, le cinéma broie du noir. Il en va donc du livre comme il en va du ciné : très peu de librairies à courir, encore moins de salles où se mettre plein les mirettes. Lorsqu'elles existent, les offres éditoriales et cinématographiques ne rappellent pas la Caverne d'Ali Baba. On y achète et on y voit rarement les livres et les films de son choix. A Alger, misère du livre et mouise du cinéma vont ensemble ! Un movie-buff algérois, qui n'est pas un web-addict, encore moins un accro de la vidéo ou un junkie des consoles de jeux, ne sera pourtant jamais le Toto du Cinéma Paradiso. A la sortie des rares salles accueillantes, il ne dira pas «Tahya Ya Didou», pour crier son bonheur de cinéphage ! Car des salles dignes d'offrir du cinéma, dans le confort minimal et avec le réconfort final, il y en a tout juste un peu dans une capitale qui ne compte pas une dizaine de salles dignes de ce nom. La Salle Ibn Khaldoun, l'Algéria, le Cosmos, Ibn Zeidoun, le Mouggar et le petit multiplex du Centre commercial de Bab Ezzouar sont de consolantes exceptions. Et dire qu'en 1922, il y avait 22 salles pour fêter le cinéma et 59 en 1962. Jusqu'aux années 1970, rien que dans la rue Ben M'hidi, sur un kilomètre de plaisirs, il y avait huit librairies et neuf cinémas ! Avec des noms certes arabisés mais qui vous invitaient en permanence à y venir bouffer du rêve en cinémascope. Ah ! Le Marivaux, Le Casino, L'Olympia, Le Monaco, Le Régent, Le Paris, Le Lux, Le Midi-Minuit et Le Club devenu Cinémathèque ! Un peu plus loin, rue Didouche Mourad, les noms des salles étaient également une exhortation à s'engouffrer dans l'excitante obscurité : Le Capri transformé en amphithéâtre universitaire et aujourd'hui désaffecté, l'Algéria, ex-Versailles, le Français ou encore l'Afrique qui fut L'Empire. Sans oublier l'ABC, Le Debussy, Le Hollywood, baptisé Sierra Maestra en hommage à la révolution castriste, et le petit Vendôme, le Djurdjura, aujourd'hui disparu. A Belcourt, d'autres orgies pelliculaires vous attendaient au Mondial, au Caméra, au Musset, au Roxy, au Select, et aux deux cinémas d'Albert Camus enfant, L'Alcazar et le Ritz. Suite des délices oniriques au Stella du Ruisseau. Ensuite, le cinoche en fête à Hussein Dey, tous les jours, à l'Etoile, au Moderne, au Rio et au Royal, avant de rejoindre L'Eldorado non loin du pestilentiel Oued El Harrach. Retour après à Alger-Centre, au Dounyazad, au Triomphe, à l'Odéon et au Studio de l'Hôtel Alletti où la première séance était à 11h ! A Bab El Oued, le chiffre fétiche du cinématographe en folie, était le 12, comme les doigts des deux mains plus deux. Une douzaine de salles du delirium tremens en bobines : Le Majestic de la colonisation, l'Atlas de l'Indépendance, le Variétés, l'Ecran, le Marignan, le Lynx, en passant par la Perle, le Plaza, le Richelieu, le Monciné, le Suffren, le Trianon, et le Rialto. Coupez et n'en jetez plus dans une ville où la convivialité avait ses temples sacrés et où l'on disait, à longueur de bibines, mille mercis aux frères Lumière. N. K.