On achève bien les cinémas et ce n'est pas l'Internet, la télévision et la vidéo qui en sont les seuls fossoyeurs. La désaffection d'un public arabisé à l'égard de films en français et le désintérêt des pouvoirs publics pour un parc de cinémas tombé en décrépitude, expliquent aussi la disparition de la quasi-totalité des salles héritées à l'Indépendance. L'inexistence d'une industrie de cinéma et l'absence d'une politique de production et de circuits de distribution y sont aussi pour quelque chose. Les années du terrorisme rouge ont également accéléré le processus de déchéance. Le cinéma se meurt et les salles obscures «broient du noir», selon la mélancolique formule d'un vieux cinéphile Algérois. Alger, justement. En 1962, la capitale disposait d'une soixantaine de salles pour une population de moins d'un million d'habitants. Le quartier de Bab El Oued était constellé de onze salles alors que la seule rue Larbi Ben Midi en comptait neuf. Avant d'être rebaptisées, ces salles, qui évoquaient l'atmosphère du cinéma Paradiso dans le superbe film de Giuseppe Tornatore, avaient des noms oniriques qui invitaient effectivement au rêve. On avait La Perle, L'Etoile, Le Triomphe, Le Midi Minuit, L'Odéon, Le Monaco, Le Musset, le Debussy et Le Mondial. Et on n'en jette plus ! Aujourd'hui, la ville dispose d'à peine une douzaine de cinémas en mesure d'offrir de décentes conditions d'accueil et de projection. Depuis 1962, l'Etat n'a pas construit de nouvelles salles à Alger comme ailleurs, à la belle exception des trois cinémas de Riadh El Feth à Alger, Ibn Zeydoun et Cosmos Alpha et Bêta. Les salles obscures, celles qui ont pu être conservées, ont été restituées à leurs anciens propriétaires, cédées à des privés ou bien contrôlées par des municipalités. Mais tous n'ont pas les moyens de les entretenir ou d'y projeter des films de qualité en 35 mm. Résultat : des salles ont été transformées en salles vidéo, d'autres ayant été détournées de leur vocation première. C'est ainsi que des cinémas, dont les noms fleuraient bon la pellicule, sont devenues des lieux glauques, certaines s'étant transformées en véritables cloaques avant d'être réhabilitées, à l'initiative de certaines communes. Aujourd'hui, pour toutes les raisons, le cinéma ne fait plus rêver et ne fait plus recette. A l'intérieur du pays, la situation est pire. Par exemple, la wilaya de Béjaïa, qui compte onze salles, chef-lieu y compris, une seul salle de cinéma est ouverte au public. Toutes les autres salles sont désaffectées ou en cours de rénovation depuis des temps antédiluviens. C'est aussi le cas de la wilaya de Tizi Ouzou qui en compte seize mais qui ne dispose plus que d'un seul lieu de projection, la Maison de culture Mouloud-Mammeri. A l'ombre des genêts dont la ville tire le nom, des salles mythiques comme Le Mondial, L'Algéria et Le Djurdjura ravivent une douloureuse nostalgie chez les cinéphiles Kabyles. Le blues du cinéphile existe par ailleurs dans la wilaya de Bouira où tous les anciennes salles ont fermé pour cause de délabrement avancé. Triste et en colère, un confrère de Bouira écrivant pour une certaine Dépêche a, lui, bien des raisons d'écrire que dans sa ville «ce n'est plus silence, on tourne, mais silence, on tue». N. K.