Plus embarrassant encore pour Riyad, cet enlisement militaire se double d'une tragédie humanitaire et de carnages à répétition parmi la population. Selon les Nations unies, les frappes de la coalition sont responsables de la mort de 60% des 3 300 civils tués depuis un an, sur un total de 6 200 victimes. La dernière bavure remonte au 15 mars, avec le bombardement d'un marché à Mastaba, dans le nord-ouest du pays, qui a causé la mort de 119 Yéménites, en majorité non armés. Vingt-huit mille autres personnes ont été blessées dans les combats, dont 5 700 civils. Et 2,5 millions d'habitants, soit 10% de la population, ont dû fuir leur foyer. Des centaines de résidences privées et des dizaines d'écoles, d'usines et d'hôpitaux, dont trois soutenus par l'ONG française Médecins sans frontières, dont le logo figurait en grand sur le toit des établissements, ont été bombardés. Du fait du blocus naval imposé par la coalition arabe et des difficultés de déplacement à l'intérieur du pays, qui entravent la distribution d'aide alimentaire, 10 des 22 provinces du pays se retrouvent, selon l'ONU, au bord de la famine Un an de bombardements et des milliers de morts pour presque rien. L'intervention militaire saoudienne au Yémen, lancée dans la nuit du 25 au 26 mars 2015, débouche sur un constat d'impasse tragique. Malgré plusieurs dizaines de milliers de sorties aériennes, la coalition arabe conduite par Riyad n'a atteint qu'une petite partie de ses buts de guerre. Pour la nouvelle direction saoudienne, et notamment l'impétueux Mohamed Ben Salman, fils du roi et ministre de la Défense, qui avait fait de cette intervention le symbole d'une politique extérieure beaucoup plus offensive, l'échec est rude. Il met en lumière le manque d'efficacité des forces aériennes du royaume, principales contributrices de la coalition, qui, non seulement multiplient les erreurs de tir dévastatrices, mais ont du mal à faire reculer leurs adversaires. La rébellion houthiste, qui s'est emparée de pans entiers du Yémen au début de l'année 2015 et derrière laquelle Riyad voit la main de son ennemi iranien, reste solidement ancrée dans la capitale, Sanaâ. Le mouvement de reconquête par le sud, lancé par les forces fidèles au président légitime, Abd Rabo Mansour Hadi, à la suite de la reprise d'Aden en juillet, bute toujours sur les verrous de Taëz et de Moka. Enlisement et carnages En raison de l'anarchie qui y sévit, matérialisée par de multiples attaques djihadistes, le grand port d'Aden, censé servir de vitrine au camp pro-saoudien, fait de plus en plus figure de repoussoir. Quant à la frontière saoudo-yéménite, enjeu sécuritaire majeur pour le royaume, elle demeure sous la menace d'une incursion des insurgés ou d'un tir de roquettes, en dépit de la proclamation d'une trêve dans cette zone, il y a une dizaine de jours. Plus embarrassant encore pour Riyad, cet enlisement militaire se double d'une tragédie humanitaire et de carnages à répétition parmi la population. Selon les Nations unies, les frappes de la coalition sont responsables de la mort de 60% des 3 300 civils tués depuis un an, sur un total de 6 200 victimes. La dernière bavure remonte au 15 mars, avec le bombardement d'un marché à Mastaba, dans le nord-ouest du pays, qui a causé la mort de 119 Yéménites, en majorité non armés. Vingt-huit mille autres personnes ont été blessées dans les combats, dont 5 700 civils. Et 2,5 millions d'habitants, soit 10% de la population, ont dû fuir leur foyer. Des centaines de résidences privées et des dizaines d'écoles, d'usines et d'hôpitaux, dont trois soutenus par l'ONG française Médecins sans frontières, dont le logo figurait en grand sur le toit des établissements, ont été bombardés. Du fait du blocus naval imposé par la coalition arabe et des difficultés de déplacement à l'intérieur du pays, qui entravent la distribution d'aide alimentaire, 10 des 22 provinces du pays se retrouvent, selon l'ONU, au bord de la famine. «C'est une guerre totalement absurde, s'exclame un diplomate occidental. Le Yémen était déjà très pauvre et faisait face à d'immenses difficultés. Le voilà encore plus pauvre, avec une catastrophe humanitaire sur les bras et des milices djihadistes qui poussent un peu partout. Le sentiment de gâchis est terrible.» Manque de professionnalisme Dans une récente enquête, menée auprès de sources militaires et diplomatiques américaines, le New York Times attribue le manque de précision des pilotes saoudiens au fait qu'ils volent trop haut. Une tactique destinée à éviter d'éventuels tirs de missiles. Contactée à Sanaa, la chercheuse Belkis Wille, chargée du Yémen à l'ONG de défense des droits de l'homme Human Rights Watch, n'accorde pas de crédit à cette thèse. «Cela ressemble à une manœuvre des Etats-Unis pour excuser les Saoudiens, soutient-elle. Je peux comprendre qu'ils manquaient de pratique au début. Mais après plus de 50 000 sorties, ce n'est plus acceptable.» «C'est une opération de relations publiques pour donner aux Saoudiens le bénéfice du doute, approuve l'analyste politique Hicham Al-Omeisy, également joint à Sanaa. Les Saoudiens sont capables de démolir un pont de quelques mètres de large depuis des milliers de mètres de haut. Pourquoi serait-ce une erreur lorsque leurs bombes tombent sur un hôpital ?» Des informations recueillies par Le Monde de bonne source confirment cependant le manque de professionnalisme des aviateurs saoudiens. Ceux-ci ont la réputation de ne pas s'entraîner suffisamment, au point que certains d'entre eux mènent en parallèle une autre activité. Une autre piste tient au manque de renseignements fiables à la disposition de l'état-major saoudien. Le royaume n'a quasiment pas déployé de troupes au sol et les Emirats arabes unis, l'autre gros contributeur de la coalition, ont rapatrié la plus grande partie de leur contingent après un tir de missile fatal à une quarantaine de ses hommes, en septembre, dans la province de Mareb, dans l'est. A la mi-décembre, une autre attaque balistique, survenue dans la région de Bab Al-Mandeb, dans le sud-ouest, a coûté la vie à plusieurs dizaines de soldats de la coalition, dont un commandant des forces spéciales saoudiennes. Une intervention critiquée La situation se complique d'autant plus pour Riyad que la couverture diplomatique que lui avait apportée la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l'ONU, votée en avril, commence à se craqueler. L'instance suprême des Nations unies réfléchit à un nouveau texte, plus contraignant, qui appellerait à une aide humanitaire accrue et soulignerait l'importance de protéger les hôpitaux. Aux Etats-Unis et en Europe, les appels des ONG en faveur d'un embargo sur les livraisons d'armes à Riyad trouvent un écho de plus en plus grand. Après l'hécatombe de Mastaba, le 15 mars, le Haut Commissaire aux droits de l'homme de l'ONU a même déclaré que son institution était «en train de voir si des crimes internationaux avaient été commis par les membres de la coalition». En réponse à ce drame, le porte-parole de la coalition, le général saoudien Ahmed Al-Asseri, a affirmé que le gros des combats touchait à sa fin. Cette déclaration a fait naître l'espoir d'un début d'apaisement, d'autant que mercredi 23 mars, l'envoyé spécial de l'ONU, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a annoncé avoir obtenu l'accord des belligérants pour un cessez-le-feu généralisé à partir du 10 avril et une reprise de négociations le 18. A Sanaâ, l'analyste Hicham Al-Omeisy n'est cependant guère optimiste. «Les Saoudiens font des sourires pour faire passer la pilule d'un an de guerre, soupire-t-il. Ces deux dernières semaines, les bombardements sur la capitale n'ont pas cessé. Pour l'instant, aucun des belligérants n'est prêt à faire les compromis nécessaires pour stabiliser le pays.» B. B./N. G. In lemonde.fr