Pour tous les chercheurs et experts nationaux qui se préoccupent de la sphère culturelle, les constats ont été faits depuis longtemps et des solutions ont été proposées. Depuis les écrits de M. Lacheraf, les réflexions et travaux de Kateb Yacine, Alloula, et le travail colossal de Mustapha Kateb, les expériences sur scène du petit théâtre de la rue Mogador et les réflexions publiées par A. Cheniki, un universitaire passionné, le théâtre algérien se complaît dans «l'institutionnel» et les festivals «sous le haut patronage de…». Le futur centre annoncé du livre a toutes les chances d'être lui aussi sous tutelle administrative sans expertise nationale et étrangère, sans écrivain contestataire ni éditeurs autonomes dans un conseil d'administration sans attache administrative, ouvert sur le réel. Parler d'un cinéma sans une assise durable de cinquante à soixante longs métrages et du double de courts métrages annuels, d'un parc de salles de 1 000 à 3 000 dans un pays très vaste, revient à faire de la sorcellerie ou bien rester dans le commémoratif durant lequel des films ont été vus à répétition par deux générations. A un moment où l'intégrisme religieux officiel s'attache à donner aux Algériens un miroir déformant et au monde extérieur une caricature hideuse de l'islam en pourchassant les «infidèles» et les adeptes de la dive, comment penser à une floraison de ballets, à des centaines de cours de danse répartis par wilaya, à des concours durant lesquels le corps exulte, comme chantait Brel, dans tous les genres. La réalité, si elle est amère, n'en est pas moins présente, pesante et évoluant rapidement vers la bigoterie, l'installation plus rapide que prévu d'un clergé qui juge et condamne les partis d'opposition devenus subrepticement des filiales de l'opus dei ou affiliés à des sectes du protestantisme anglo-saxon. Mais qui sème l'intolérance prépare assurément à son pays des tempêtes de violences et les déchirures du corps social. A un moment critique où des repères se détachent comme des glaciers piégés par le réchauffement de la Terre, où la jeunesse perd le Nord, l'Etat ne sait pas comment générer des industries culturelles, et des milliers d'espaces de loisirs et de mixité pour que les masses juvéniles s'expriment, dansent, chantent, se retrouvent pour rêver leur vie, leur pays, leur quartier dans le respect, l'amour, oui l'amour et se connaître pas uniquement dans les stades de fin du 19e siècle, devenus des tribunes politiques, des chaudrons de la haine où pas une femme ne met les pieds pas plus que dans les rues à la nuit tombée. Le mouvement associatif sans tutelle partisane ou administrative, constitue en Europe le maillage démocratique par excellence du champ culturel. En Algérie, la parano de «l'institutionnel», du «commissaire» désigné par une tutelle sont l'alpha et l'oméga. Un ministère se pense puissant politiquement lorsqu'il a beaucoup d'«institutions» «sous tutelle», beaucoup de fonctionnaires nommés, d'entreprises sous son «égide», etc. Le nombre de festivals, de fêtes annuelles, de vieilles traditions honorés, d'anciennes danses ressuscitées, de reconstitutions, de carnavals, de bals organisés en Europe sont le fait d'associations de quartier ou d'envergure internationale. Dans ces pays européens, l'Etat, la région, la mairie ont des prérogatives, des interventions financières, des pouvoirs de réglementation, le contrôle de cahiers des charges, de contrats passés pour la culture, de commandes en direction d'associations autonomes, crédibles. En Algérie, le mouvement associatif, surtout culturel, réputé contestataire, innovant et anticonformiste, est éteint au profit de l'administration, jusqu'à l'émeute ultime. F. Mitterrand a été nommé à la tête de la villa Médicis. Nous n'avons pas la demeure Emir Abdelkader, M. Lacheraf ou Mouloud Mammeri à l'étranger, mais nous aurons encore un «commissaire» nommé pour un festival de dechra ou une institution qui n'aura ni adresse, ni email, ni téléphone. Et il en existe. M. Chirac a inauguré sa fondation, très culturelle, de haut niveau. A. B.