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«La globalisation du conflit sunnites-chiites semble irréversible»
Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS :
Publié dans La Tribune le 17 - 05 - 2016

Chercheur au CNRS, historien spécialiste du Moyen-Orient, Pierre-Jean Luizard s'est attaché à décrire le rôle joué par les différentes manifestations de l'islam dans les systèmes politiques en place
Si l'on revient à la genèse de la séparation entre musulmans sunnites et chiites, quelle est la nature du conflit ?
Au départ, le différend semble politique. Qui doit succéder, pour diriger la communauté des musulmans, au prophète Mahomet après sa mort, en 632 ? Cette question a été à l'origine de ce que la tradition musulmane appelle les premières fitna (discordes entre musulmans). La vision qui donnera naissance au sunnisme était plutôt pragmatique : le successeur du Prophète (ou calife) devait avoir, pour le bien de la communauté, la capacité concrète de maintenir en place l'empire musulman, encore très fragile. Les sunnites ont ainsi privilégié, après les quatre premiers califes, les dynasties des Omeyyades (661-750), puis des Abbassides (750-1258). Les califes se sont succédé jusqu'à l'Empire ottoman, qui voit peu à peu la fonction califale délaissée au profit du «sultan» turc, dont le pouvoir politique est largement vidé de sa dimension religieuse. Paradoxalement, c'est la rencontre avec une puissance européenne qui va entraîner une revivification de la fonction califale du sultan ottoman : le traité russo-ottoman de Koutchouk-Kaïnardji (1774) a en effet attribué au sultan d'Istanbul l'autorité religieuse sur les musulmans des territoires arrachés à l'Empire ottoman par la Russie.
Les chiites, du moins la branche majoritaire des duodécimains, prônaient une vision sacralisée et légitimiste de la succession (incarnée par un imam). Après l'assassinat d'Ali, le gendre du Prophète, en 661, et le martyre de son fils Hussein à Kerbala (680), les sunnites ont pris l'avantage, imposant les dynasties omeyyades et abbassides. Dans les périodes de grande répression, les imams chiites vivaient dans la clandestinité et sans véritable influence politique. Certains ont eu, en revanche, un grand rôle dans la codification du rite. C'est le cas de Jaâfar Al-Sadiq (702-765, d'où le jafarisme, l'autre nom de l'école duodécimaine) : l'imam doit alors être désigné par son prédécesseur ; il est doté de qualités telles que «l'infaillibilité» ; divinement inspiré, il reprend à son compte de nombreuses prérogatives du Prophète. L'«occultation» du douzième imam (941) rend théoriquement illégitimes tous les pouvoirs en place. Très rapidement, au XIe siècle, les duodécimains font leurs les principes rationalistes du courant mutazilite : la raison devient un pilier de la foi ; l'homme est libre de son destin. Ce sera la base doctrinale de la lente marche des oulémas chiites vers un pouvoir croissant.
Là où sunnites et chiites sont d'accord, c'est sur la nécessité pour les successeurs du Prophète d'appartenir à sa descendance. Mais nul ne pouvait croire sérieusement que les califes ottomans possédaient une telle ­ généalogie, qui ne fut pourtant pas remise en cause par les sunnites, preuve encore de leur pragmatisme.
A partir de quel moment ce différend politique se mue-t-il en différend religieux ?
Savoir à qui accorder le pouvoir en islam après le Prophète est autant politique que religieux. Le sunnisme a été élaboré après les fitna. Quant aux chiites duodécimains, ils ont vécu une sorte de «glaciation» pendant presque mille ans (sauf, notoirement, en Iran et dans quelques dynasties périphériques), avant de connaître, à partir de la fin du XVIIIe siècle, une révolution interne permanente, qui a abouti à des différences théologiques toujours plus radicales. Ce qui est sûr, c'est que la codification d'un dogme, telle qu'entreprise initialement par Jaâfar Al-Sadiq, va toujours dans le sens d'une affirmation identitaire. A l'origine, celle-ci ne s'est pourtant pas tant érigée contre les sunnites que contre les chiites «extrémistes» : les ghulât, qui vénéraient Ali comme un Dieu, et dont les héritiers actuels sont, par exemple, les alévis en Turquie.
Au début du XVIe siècle, le clergé chiite est sorti de son quiétisme pour des raisons politiques, concédant au souverain séfévide, en Iran, le titre d'«Ombre de Dieu sur terre», légitimant ainsi religieusement la dynastie des Séfévides. L'alliance des Séfévides et des oulémas chiites amena la conversion de l'Iran au chiisme, proclamé pour la première fois religion de l'Etat. Dès lors, le nationalisme iranien s'est manifesté face aux sunnites, turcs, arabes ou afghans, sous un visage chiite duodécimain. Cela a profondément modifié la donne.
Mais cette légitimation de la dynastie séfévide, en contradiction totale avec le dogme, n'a pas été sans conséquences. Elle a provoqué l'installation durable d'un contre-clergé chiite dans les villes saintes de Nadjaf et Kerbala, à l'écart du pouvoir iranien. C'est là que s'opposent différentes écoles chiites avec, à la fin du XVIIIe siècle, le triomphe de la tendance oussoulie. Selon celle-ci, l'usage de la raison dans l'ijtihad [l'interprétation des textes sacrés] devient obligatoire. D'un point de vue dogmatique, il s'agit là d'un véritable défi aux sunnites dont l'ijtihad est toujours limitée aux quatre rites officiels. Désormais, la direction religieuse chiite s'octroyait non seulement le pouvoir spirituel, mais aussi une obligation d'ijtihad qui, au fil du temps, allait couvrir des domaines de plus en plus vastes (politique, juridique, scientifique, militaire…), et dont l'aboutissement est le système politique iranien actuel, dans le contexte d'un clergé chiite tout-puissant.
L'Iran s'est mis à incarner le chiisme, tandis que l'Arabie Saoudite est devenue le porte-drapeau d'un sunnisme radical wahhabite. Comment s'est opéré ce glissement ?
Le wahhabisme est né d'une situation propre au système tribal de la péninsule Arabique, dans un contexte d'insoumission au pouvoir ottoman et d'hostilité ­envers les villes et la civilisation urbaine qui incarnaient ce pouvoir. C'était un phénomène comparable à celui des premiers groupes chiites qui, ailleurs, refusaient le pouvoir des empires. D'abord locale, au sein des tribus du centre du Nejd, l'affirmation identitaire wahhabite s'est aussi construite contre les multiples confréries soufies qui constituaient alors le fondement de la culture religieuse du Hedjaz. La première chose que les wahhabites ont faite en envahissant La Mecque et Médine en 1924 a été de détruire les tombeaux et d'interdire toute pratique confrérique. Ils ont ensuite voué au même anathème les villes saintes chiites d'Irak, en lisière du désert, attaquées à multiples reprises par les Ikhwan, longtemps bras armés des wahhabites. Ces razzias bédouines étaient coutumières, mais celles-ci sont dorénavant légitimées d'un point de vue religieux.
A l'époque moderne, en Arabie saoudite, à Bahreïn et, surtout, en Irak, le conflit sunnites-chiites manifeste l'opposition séculaire entre nomades (sunnites) et groupes sédentaires (chiites). Les nomades guerriers exerçaient leur joug en imposant leur «protection» à des communautés d'agriculteurs ou de pêcheurs, convertis au chiisme par volonté d'opposition et parce qu'ils trouvaient dans cette religion des éléments répondant à leur situation de tribu sédentaire dominée. C'est visible en Irak où, dans une même confédération tribale, la famille régnante était souvent sunnite, alors que la tribu était presque exclusivement chiite. Par ailleurs, dans de nouveaux contextes géographiques où le nomadisme avait perdu sa raison d'être, beaucoup de sunnites se sont convertis au chiisme majoritaire des campagnes tribales, comme en Mésopotamie, par exemple.
Comment expliquer que le wahhabisme soit sorti de son influence locale pour prendre l'importance qu'on lui connaît aujourd'hui avec, semble-t-il, un vrai pouvoir d'attraction mondial ?
La diffusion de ces idées n'est pas liée aux wahhabites, mais aux promoteurs du « réformisme musulman ». Il s'agit de penseurs et d'intellectuels de l'islam (Rifaa Al-Tahtawi, Djamal Al-Din Al-Afghani, Mohammad Abduh ou Mohammed Rachid Rida), formés dans les grandes villes ottomanes «civilisées», comme Le Caire, Damas ou Alep. Au cours du XIXe siècle, ils ont développé des idées similaires à celles des wahhabites, mais sans se référer à ces derniers, perçus comme des Bédouins incultes et ignares.
Selon la théorie développée par ces réformistes, parallèlement aux wahhabites, la faiblesse du monde musulman face aux puissances occidentales n'est pas due à l'islam, mais à l'éloignement de l'islam des dynasties régnantes : il est donc nécessaire de revenir aux origines. Au début du XXe siècle, les wahhabites et leurs Ikhwan menant des raids meurtriers étaient considérés comme des sauvages par les réformistes. Il faudra attendre la prise de contrôle de toute l'Arabie par Mohammed Ibn Saoud, dans les années 1920, pour que ces deux courants se rejoignent.
Cette fusion est cependant incomplète, car elle a donné naissance à deux traditions : la tradition salafiste apolitique et quiétiste ; la seconde, appelée par la suite «islamiste», acceptant le jeu politique des élections tel qu'il était défini par les Européens. Les salafistes, longtemps ignorés parce qu'ils étaient apolitiques, ne reconnaissent pas le droit de la majorité. Selon eux, la souveraineté du peuple doit être remplacée par celle de Dieu. L'échec des islamistes arrivés au pouvoir après des élections a constitué un point de rupture majeur, car il semblait donner raison à la tendance salafiste, qui s'en est trouvée considérablement renforcée.
L'exemple le plus probant est celui des Frères musulmans en Egypte, vainqueurs aux élections de 2013, et destitués un an plus tard. Il n'y a pas eu de réussite de mouvements islamistes arabes arrivés au pouvoir par les urnes… Hormis l'AKP en Turquie, mais ce parti est considéré comme un groupe de renégats ayant rompu les amarres avec l'islam. On le voit, même si c'est lié à des enjeux politiques concrets, à la guerre déclarée aux dirigeants turcs par l'organisation Etat islamique.
Quelles sont les grandes étapes de la radicalisation identitaire qui ont mené à l'affrontement sunnites-chiites d'aujourd'hui ?
D'abord, les mandats européens imposés en 1920 après la chute de l'Empire ottoman, avec un tropisme en faveur des minorités confessionnelles de la part des puissances mandataires. Par ailleurs, alors que, très souvent, les élites sunnites pactisent – notamment en Irak et au Liban – avec les puissances mandataires pour conserver le monopole ou le bénéfice du pouvoir, une direction politique et religieuse chiite s'affirme contre le colonialisme européen. Celle-ci entre alors en concurrence avec le réformisme sunnite et le wahhabisme, qui revendiquaient, aussi, cette dimension anticoloniale.
La révolution islamique en Iran, en 1979, sonne le réveil de l'ensemble des communautés chiites du monde arabe, déjà engagées dans des mouvements d'émancipation. Car un point commun aux communautés chiites du monde arabe est d'être alors dominées politiquement et socialement par des pouvoirs sunnites. Ainsi, au Liban, les vieilles familles féodales du Sud et de la Bekaa sont écartées au profit d'une classe moyenne de jeunes éduqués : cette évolution était déjà à l'œuvre à travers l'émergence du mouvement de Moussa Sadr, dans les années 1970, mais elle s'accélère. Même chose dans le Golfe et, surtout, en Irak. Ces mouvements se sont concrétisés par des mouvements armés tels que le Hezbollah libanais.
La guerre Iran-Irak (1980-1988), conséquence de la révolution islamique en Iran et extension au-delà des frontières de la guerre civile larvée entre baassistes et chiites en Irak, s'accompagne d'une radicalisation confessionnelle et de la formation d'un front sunnite (avec une aide militaire à Saddam Hussein des pays arabes du Golfe) contre l'Iran et, donc, contre les chiites irakiens.
L'invasion américaine en 2003 donne le coup de grâce politique à un système de domination confessionnelle sunnite en Irak, qui ne se maintenait que grâce à un consensus international et au boom pétrolier des années 1970, mettant ainsi au jour la communautarisation longtemps camouflée dans ce pays.
Enfin, les «printemps arabes» de 2011, notamment en Syrie, ont agi comme révélateur des processus communautaires, entamés beaucoup plus tôt, mais qui avaient été masqués par ce qu'on peut appeler des «illusions nationales» : le fait qu'on a cru longtemps que la réforme politique et sociale, dans le cadre des Etats en place, allait être capable de résoudre les problèmes communautaires et confessionnels.
Quand on retrace une fresque historique aussi large, on est toujours menacé par les simplifications, car il y a beaucoup de cas particuliers. Mais, pour la première fois, on a affaire à une globalisation du conflit sunnites-chiites. Au point que le chiisme duodécimain est devenu le pilier central de ralliement de toutes les communautés chiites, y compris de celles qui, pendant longtemps, n'avaient aucun rapport avec lui, comme les Zaydites du Yémen ou, dans une moindre mesure, les Alaouites de Syrie, déjà engagés dans un rapprochement avec le rameau central du chiisme depuis le début du XXe siècle. Dans les années 1940-1950, de hautes autorités religieuses sunnites semblaient prêtes à accepter le chiisme comme un de leurs rites. Aujourd'hui, certaines de ces autorités reprennent l'anathème contre les chiites, réfutant le caractère musulman des duodécimains et, à plus forte raison, celui des sectes issues du chiisme.
Ce processus de globalisation semble irréversible, ce qui suggère qu'on a affaire à une nouvelle fitna dépassant toutes les précédentes, à la fois par le nombre de morts, par sa radicalisation et son ampleur, car les Etats eux-mêmes (Irak, Syrie, Turquie, Iran, Arabie saoudite) sont en confrontation.
De cette nouvelle «fitna», qui sortira vainqueur ?
Difficile à dire… Mais on a déjà la quasi-certitude de savoir qui va perdre. En premier lieu, les populations impliquées dans un conflit que personne ne maîtrise. En second, les Etats en place, avec le risque d'éclatement de leurs frontières. On est dans une remise à plat du système étatique moyen-oriental, avec des enjeux identitaires pouvant conduire à une territorialisation confessionnelle. La question du rattachement à la Syrie de la minorité arabe sunnite d'Irak risque de se poser. Car, dans le système mis en place par les Américains, les Arabes sunnites n'ont pas d'autre avenir que celui d'une minorité, ce qu'ils ont refusé jusqu'à présent. L'Arabie Saoudite, aussi, est menacée… Dans la région, seuls les Etats anciens, l'Iran et l'Egypte, ne sont pas remis en cause.
Cela pose la grande question de la politique que les diplomaties occidentales devraient suivre. Doit-on militer en faveur de la restauration des Etats faillis, alors même qu'ils sont considérés illégitimes par une partie de leur population ? Ces Etats, qui ont été confisqués par des minorités régionales ou confessionnelles, ne semblent pas réformables. L'avenir des sociétés civiles est une autre question, surtout à la lumière de la principale victoire de l'EI en Irak, qui a été de réussir à convaincre sunnites et chiites qu'ils ne pouvaient plus vivre ensemble.
Le regard des Occidentaux a-t-il changé en faveur du camp chiite, c'est-à-dire de l'Iran, longtemps perçu comme la principale menace, et qui ­serait vu, depuis l'apparition de l'EI, comme un pôle de stabilité ?
Certaines diplomaties, notamment la française, sont marquées par un anti-chiisme viscéral et ancien, mais il y a, en effet, une remise en question : les anciens ennemis pourraient s'avérer utiles face à la menace d'un changement des rapports de force au sein de la communauté sunnite au bénéfice de groupes dénonçant les alliances existantes avec certains pays occidentaux, et qui ont déclaré la guerre aux systèmes étatiques en place.
De manière générale, les Américains sont plus pragmatiques que les Français. Il y a apparemment une prise de conscience de la fragilité des alliés sunnites traditionnels. Mais l'idée selon laquelle le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme est de s'appuyer sur les Etats en place et leurs armées reste très fort. Cela se comprend car, autrement, ce serait sauter dans l'inconnu. Pourtant, vu la situation, il semble que nous sommes déjà… dans ce grand inconnu.
C. A. / C.H.


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