Simon Hix, un politologue de la London School of Economics, spécialiste des questions européennes, est complètement débordé ces derniers temps. Depuis quelques mois, je reçois des dizaines d'appels de grandes banques qui me demandent de venir leur parler des risques du «Brexit». Elles sont inquiètes, et me demandent : «Qu'est-ce qu'on peut faire pour aider la campagne de ceux qui veulent rester dans l'Union européenne ?» Je leur réponds : «Surtout, ne dites rien.» Simon Hix, un politologue de la London School of Economics, spécialiste des questions européennes, est complètement débordé ces derniers temps. Depuis quelques mois, je reçois des dizaines d'appels de grandes banques qui me demandent de venir leur parler des risques du «Brexit». Elles sont inquiètes, et me demandent : «Qu'est-ce qu'on peut faire pour aider la campagne de ceux qui veulent rester dans l'Union européenne ?» Je leur réponds : «Surtout, ne dites rien.» L'anecdote résume bien le dilemme de la City. L'immense majorité des grandes banques, des fonds d'investissement, des intermédiaires financiers de toutes sortes sont contre le «Brexit». Mais ils n'osent pas trop le dire. Politiquement, une campagne menée par des multimillionnaires risque de ne pas bien passer. La grande finance n'a jamais eu aussi mauvaise presse, et l'entendre défendre l'Union européenne serait sans doute particulièrement contre-productif. «Si ça donne l'impression que le camp du «remain» est une coalition entre Goldman Sachs et GlaxoSmithKline (un grand laboratoire pharmaceutique), ça ne sera pas bon», constate Anand Menon, qui dirige le think tank The UK in a Changing Europe. Le silence domine dans les banques Le résultat est une étrange timidité, à l'exception de quelques représentants des lobbys organisés. Le patron des politiques de la corporation de la City, Mark Boleat, est de toutes les conférences. TheCityUK, l'autre grand lobby du Square Mile, a expliqué tout le mal qu'il pensait d'un «Brexit». Quelques grands patrons sont montés au créneau : Xavier Rolet, le directeur général de la Bourse de Londres, un Français, a averti qu'une sortie de l'UE serait «dévastatrice pour l'économie du Royaume-Uni» ; Roland Rudd, le fondateur de Finsbury, l'une des principales sociétés de relations publiques des entreprises de la City, a pris le rôle de trésorier de la campagne pour rester au sein des Vingt-Huit ; le patron de HSBC a averti qu'il transférerait probablement un millier d'emplois vers la zone euro en cas de «Brexit» … Mais dans l'ensemble, le silence domine. Dans ce débat miné, outre le risque de se montrer contre-productif, il y a trop de coups à prendre. Récemment, Stephanie Flanders, chef stratégiste de JPMorgan et ancienne présentatrice à la BBC, l'a récemment appris à ses dépens. Elle avait accepté de faire partie des fondateurs d'InFacts, un groupe en faveur du maintien dans l'Union européenne. Sa banque lui a demandé de s'en retirer. Apparemment, les conseils des avocats étaient clairs : en se retrouvant impliqué dans la campagne, même indirectement, l'établissement risquait de contrevenir aux règles de financement des partis politiques. Chez Citigroup, même indication : Willem Buiter, son passionnant chef économiste, de nationalité néerlandaise, a reçu comme consigne de brider ses opinions contre le «Brexit». Les «pro» donnent de la voix Ceux qui osent s'exprimer se font tomber dessus, parfois violemment. Mike Rake, qui était jusqu'à la fin de l'année dernière le président de CBI, la principale organisation patronale, en a fait l'amère expérience. Lui est un fervent partisan de l'Union européenne, mais ses propos reflétaient aussi le point de vue de l'immense majorité de ses membres. Pourtant, la dernière conférence de CBI a fait l'objet d'une polémique : quelques militants pro-Brexit ont fait irruption, plaçant Mike Rake sur la défensive. L'objectif était atteint : donner l'impression que l'organisation avait un parti pris, et décrédibiliser l'ensemble de son propos. Les supermarchés Sainsbury's ont aussi subi les foudres des tenants d'une sortie de l'Union européenne. Leurs dirigeants n'ont pourtant rien dit. Mais David Sainsbury, un membre de la Chambre des lords du Parti travailliste, finance la campagne du «remain». L'homme n'a plus grand-chose à voir avec l'enseigne que ses ancêtres ont créée, si ce n'est que lui et sa famille élargie en possèdent encore 15%. Mais Kate Hoey, l'une des rares députées travaillistes en faveur du «Brexit», a immédiatement appelé au boycott des magasins. Un climat pesant Dans ce climat pesant, la City préfère donc se taire. Et pourtant, en coulisses, on ne parle que de ça. Lors d'une récente conférence organisée par City Week, le sujet était sur toutes les langues pendant les pauses-café. Un sondage des participants – anonymes – ne laissait pas de doute quant au résultat : 75% d'entre eux estiment que le rôle de centre financier international serait affaibli en cas de «Brexit». Une mesure purement subjective donne d'ailleurs une idée de l'inquiétude des financiers. Depuis début novembre 2015, j'ai créé dans ma boîte mail un dossier séparé pour y mettre toutes les études sérieuses réalisées sur la question du référendum du 23 juin. Seules les plus solides y sont rangées. J'en suis aujourd'hui à 193. Du FMI à l'OCDE, du Trésor britannique à Moody's, de BlackRock à UBS, pas un organisme international, un think tank ou une banque qui n'ait réalisé son rapport. Les conclusions sont presque toujours les mêmes : un retrait serait négatif pour la City. Si peu s'expriment mais tous attendent, en tremblant… E. A.