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Les têtes de la mémoire de la Résistance !
Entre l'Algérie et la France, il y a l'Histoire, la mémoire, des archives, des crânes et des biens patrimoniaux
Publié dans La Tribune le 28 - 05 - 2016

Entre l'Algérie et la France, il y a le poids mémoriel mais aussi des tonnes d'archives non restituées et des éléments du patrimoine algérien que l'ancien colonisateur conserve par-devers lui. Point de divergence feutré mais profond et toujours d'actualité, la question de la restitution de documents, de pièces d'artillerie ou de restes humains est en effet source de divergences et de crispation entre les deux pays. Les deux parties négocient tant bien que mal depuis 1980 à ce sujet. Des gestes ont été faits, côté français, mais ils sont symboliques. Depuis 2009, les Français ouvrent timidement les portes aux chercheurs algériens. Mais la partie est rude et les négociations, quand elles existent, ardues.
Entre l'Algérie et la France, il y a le poids mémoriel mais aussi des tonnes d'archives non restituées et des éléments du patrimoine algérien que l'ancien colonisateur conserve par-devers lui. Point de divergence feutré mais profond et toujours d'actualité, la question de la restitution de documents, de pièces d'artillerie ou de restes humains est en effet source de divergences et de crispation entre les deux pays. Les deux parties négocient tant bien que mal depuis 1980 à ce sujet. Des gestes ont été faits, côté français, mais ils sont symboliques. Depuis 2009, les Français ouvrent timidement les portes aux chercheurs algériens. Mais la partie est rude et les négociations, quand elles existent, ardues.
Le problème des archives coloniales a débuté, paradoxalement, bien avant l'Indépendance. C'est en 1960 que la décision est prise de transférer en France les archives dites de souveraineté qui concernent notamment l'armée, la police et les services de renseignement. Ordre a été donné en même temps de laisser sur place les «archives de gestion» relatives au cadastre, à l'état civil et à l'administration. Cette opération fut effectuée dans le secret. Il s'agissait de ne pas donner l'impression qu'elle pouvait être le prélude à une évacuation générale du pays. La plupart des fonds étaient dispersés et pas encore classés. La première évacuation d'importance a été réalisée le 15 avril 1961, en douceur.
La seconde, en 1962, au plus fort du terrorisme de l'OAS, fut assez complexe : on a jeté à la mer des archives de la police, comme on en a détruit ou brulé des quantités importantes. Après 1962, les Algériens, eux, déménagent les archives régionales sous les voûtes du port d'Alger. Une partie de ces archives servira à se chauffer aux clochards et aux pochards du coin. Bref, les Algériens laissent aller et ne revendiqueront leurs archives qu'après le coup d'Etat du 19 juin 1965. A partir de 1967, soit presque un an avant la signature du premier grand accord bilatéral après les Accords d'Evian (Convention de 1968), et jusqu'en 2001, cinq envois d'archives seront effectués. La France restitue alors à l'Algérie les «Fonds ottomans» antérieurs à la colonisation française.
Un département universitaire, l'Institut de bibliothéconomie, de sciences documentaires et d'archivistique, est même créé en 1977, avec un concours universitaire belge, pour former des spécialistes pour l'organisation des archives. Une commission mixte franco-algérienne verra même le jour en 1980. Les Algériens réclament alors un calendrier précis de restitution de toutes les pièces d'archives liées à la période coloniale. Le 16 juin 1980, le président Giscard d'Estaing prend une décision perçue comme une provocation : pire qu'une fin de non-recevoir, l'interdiction de «tout retour d'archives d'Etat» sonne à Alger comme un casus belli. C'est la crise sur ce dossier et sur bien d'autres. Les crispations iront alors en s'aggravant, jusqu'en 2003.
A cette date, le président Jacques Chirac, qui recevra un accueil populaire empreint de forte chaleur, décrispe un peu l'atmosphère. Il se présentera à Alger, avec un cadeau symbolique : le sceau du Dey Hussein remis aux Français, en 1830, lors de la reddition du dernier potentat ottoman de la Régence. Quelques envois d'archives suivront et un accord sera même signé en 2009 qui prévoit de faciliter la consultation des chercheurs algériens, sur place, en France. Cet accord, dont les modalités demeurent secrètes, consignerait, selon des sources concordantes, une acceptation de ne plus revendiquer la restitution de toutes les archives retenues en France, contre leur conservation et leur consultation, facilitée, dans l'Hexagone. C'est que les Français ne veulent pas voir ressurgir la commission mixte de 1980 et redoutent de voir les Algériens réactiver leur demande d'un calendrier de restitution des plus rigoureux. Le contentieux porte particulièrement sur les 160 tonnes d'archives conservées à Aix-en-Provence que l'écrivain et investigateur indépendant Pierre Péan a consultées pour écrire son livre sur le pillage du Trésor de la Régence d'Alger.
Le nœud gordien du problème réside donc dans les lois françaises de prescription, alors même que la France évoque les questions «d'ordre public» et «d'inaliénabilité», chaque fois que la restitution des archives lui est réclamée par la partie algérienne qui y voit une question de souveraineté nationale. Et qui les réclame pour servir à l'écriture de l'Histoire.
Entre la France et l'Algérie, il n'y a pas cependant que du papier symbolique. Il y a également des canons mythiques et des crânes prestigieux. Et le sujet est très sensible. Il y a d'abord le fameux Baba Merzoug, la légende des siècles maritimes, la terreur de la Méditerranée, un canon de 6,25 m de long et d'une portée de 4,872 km. Longtemps avant la Grosse Bertha allemand, le canon algérien était inégalable et imbattable, valant à Alger sa légende de «Mahroussa», la citadelle bien gardée. Les éminences archivistiques françaises et le ministère de la Défense français s'opposent à la restitution de cette pièce d'artillerie qui «fait partie du patrimoine militaire» français et serait, par définition juridique française, «inaliénable». Les Français détiennent aussi huit couleuvrines, visibles à l'intérieur de l'Hôtel parisien des Invalides.
Il y a donc des canons et d'autres «archives» tout aussi prestigieuses mais d'une symbolique plus délicate encore. C'est comme qui dirait des cadavres historiques dans le placard de la mémoire coloniale. 37 crânes identifiés, dont 25 appartiennent à d'authentiques résistants à la colonisation. Des moudjahidine qui se sont battus comme des lions de l'Atlas contre le corps expéditionnaire français, notamment Cheikh Bouziane, un lieutenant de l'Emir Abdelkader, et Cheikh Moussa al-Derkaoui, décapité par le général Emile Herbillon. Le dossier de restitution est dûment préparé et le directeur algérien de la protection des biens culturels, Mourad Bétrouni, devait en principe s'en occuper.
Petite précision toutefois : parmi les 37 têtes conservées, figurent une douzaine de crânes d'Algériens «morts pour la France» que l'Algérie n'entend finalement pas revendiquer, et pour cause ! Mais il y a encore plus prestigieux, peut-être encore plus symbolique, l'homme de Tighenifine (Ternifine pour les Français), vieux de 500 000 ans, qui conserve l'ADN du plus âgé des ancêtres berbères des Algériens. Cet Amazigh de Mascara est le plus ancien «déporté» du monde. Ce pithécanthrope a été découvert par Camille Arambourg lors de fouilles effectuées en 1954, sur un terrain appartenant à l'époque à la famille du couturier Yves Saint-Laurent. Jusqu'alors, on considérait qu'il s'était exclusivement développé en Asie. Les Algériens le réclameraient désormais et les Français le considèrent comme «relevant du code du patrimoine, et est inaliénable». Ils proposent alors des moulages.
Les choses du contentieux algéro-français sur les archives et les biens patrimoniaux sont d'évidence très compliquées. Les positions paraissent inconciliables, alors même qu'il existe des cas de restitution qui font jurisprudence. Par exemple, la statue d'Apollon qui se trouvait Place de Brandebourg à Berlin, et que Napoléon Bonaparte avait volé aux Allemands. Ou encore les têtes Maori et la Sud-Africaine, la Venus Hottentot, immortalisée au cinéma. Ou encore le cas du crâne du grand chef Kanak Ataï qui a été rendu en 2014 à ses descendants après 136 ans de détention à Paris.
N. K.


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