Ces dernières années, plusieurs pays ont récupéré eux aussi des restes humains, sauf l'Algérie dont des crânes hautement symboliques sont toujours détenus à Paris, au Muséum d'Histoire Naturelle. Des restes mortuaires retenus au même titre que des tonnes d'archives sensibles et autres objets précieux, notamment un célèbre canon de la régence ottomane. En 2002, la dépouille de la célébrissime Vénus Hottentote (1789-1815) a été remise à l'Afrique du Sud; en 2010, vingt têtes maories ont été rendues à la Nouvelle-Zélande par les musées français. Dans tous les cas, les procédures ont donné lieu à des débats controversés. Le crâne du grand chef Ataï n'a pas échappé à ces polémiques. Et si cette restitution a eu lieu, c'est parce que les Kanak l'ont inlassablement réclamée. «Pour nous, affirme Bergé Kawa, grand chef coutumier du district de La Foa venu à Paris à la tête d'une délégation Kanak pour participer aux cérémonies de retour du grand chef Ataï, il est un symbole éminent du combat que nous continuons à mener pour que nous soient restituées les terres qui ont été attribuées aux colons.» Qu'en est-il alors aujourd'hui des restes mortuaires d'Algériens séquestrés au Muséum d'Histoire Naturelle parisien ? Entre l'Algérie et la France, il y a certes l'Histoire et la mémoire, mais il y a aussi des tonnes d'archives non encore restituées et des éléments du patrimoine historique algérien que l'ancien colonisateur conserve par-devers lui, chez lui. Point de divergence assez feutré mais réellement profond et toujours présent, la question de la restitution de documents, de pièces d'artillerie ou de restes humains est source de crispation régulière entre les deux pays. Les deux parties négocient tant bien que mal depuis 1980. Des gestes ont bien été faits, côté français, mais ils sont purement symboliques. Depuis 2009, les Français ouvrent timidement les portes aux chercheurs algériens, mais la partie est rude et les négociations ardues. Le contentieux archivistique algéro-français a surtout une date symbolique, le 16 juin 1980, jour où le président Giscard d'Estaing prend une décision perçue comme une provocation, pis encore, telle une fin de non-recevoir : l'interdiction de «tout retour d'archives d'Etat» qui sonne alors comme un casus belli. C'est la crise sur ce dossier et sur bien d'autres. Les crispations iront alors en s'aggravant, jusqu'en 2003. A cette date, le président Chirac, qui recevra un accueil populaire empreint de forte chaleur, décrispe un peu l'atmosphère. Il se présente alors à Alger, avec un cadeau symbolique : le sceau du Dey Hussein remis aux Français, en 1830, lors de sa reddition. Quelques envois d'archives suivront et un accord sera même signé en 2009 qui prévoit de faciliter la consultation des chercheurs algériens, sur place, en France. Cet accord, dont les modalités demeurent secrètes, consignerait, selon des sources concordantes, une acceptation de ne plus revendiquer la restitution de toutes les archives retenues en France, contre leur conservation et leur consultation, facilitée, dans l'Hexagone. C'est que les Français ne veulent pas voir ressurgir la gênante commission mixte de 1980 et redoutent de voir les Algériens réactiver leur demande d'un calendrier de restitution rigoureux. Le contentieux porte particulièrement sur les 160 tonnes d'archives conservées à Aix-en-Provence que l'écrivain et investigateur indépendant Pierre péan a consultées pour écrire son livre sur le pillage du Trésor de la Régence d'Alger. Le nœud gordien du problème réside donc dans les lois françaises de prescription, alors même que la France évoque les questions «d'ordre public» et «d'inaliénabilité», chaque fois que la restitution des archives lui est réclamée par la partie algérienne qui y voit, elle, une question de souveraineté nationale. Entre la France et l'Algérie, il n'y a finalement pas que du papier symbolique. Il y a aussi des canons et des crânes prestigieux. Il y a d'abord le mythique Baba Merzoug, la légende des siècles maritimes, la terreur militaire de la méditerranée, un canon de 6,25 m de long et d'une portée de 4,872 km. Longtemps avant la Grosse Bertha allemand, le canon algérien était inégalable et imbattable, valant à Alger sa grande légende de «Mahroussa», la citadelle si bien gardée. Les éminences archivistiques françaises et le ministère de la Défense s'opposent à la restitution de cette pièce d'artillerie qui «fait partie du patrimoine militaire» français et serait, selon la définition française, «inaliénable». Les Français conservent également huit couleuvrines, visibles à l'intérieur de l'Hôtel parisien des Invalides. Il y a donc des canons et d'autres «archives» tout aussi importantes mais d'une symbolique plus délicate encore. C'est comme qui dirait des cadavres historiques dans le placard de la mémoire coloniale. Trente-sept crânes identifiés, dont vingt-cinq appartiennent à d'authentiques résistants à la colonisation. Des moudjahidine qui se sont battus comme des lions de l'Atlas contre le corps expéditionnaire français. Entre autres, Cheikh Bouziane, un lieutenant de l'Emir Abdelkader et Cheikh Moussa al-Derkaoui, décapité par le général Emile Herbillon en personne. Le dossier de restitution est dûment préparé. Le directeur algérien de la protection des biens culturels, Mourad Betrouni, s'en est bien occupé un temps, mais on ignore, à ce jour, si les autorités algériennes comptent lui réserver une suite concrète. Au passage, petite précision mais de taille : parmi les 37 têtes conservées, figurent une douzaine de crânes d'Algériens «morts pour la France» que l'Algérie n'entend finalement pas revendiquer, et pour cause ! Parmi les têtes couronnées de résistants algériens, figure donc celle de Cheikh Bouziane qui porte depuis le début le numéro 5941, coupée et fixée au bout d'une baïonnette à la fin du siège des tribus Zaatcha, du 7 octobre au 26 novembre 1849 dans les Zibans. Dûment conservée comme celle de Boubaghla (numéro 5940), moins connu sous son nom complet de Mohamed Lamdjad Ben Abdelmalek, et du Chérif Amar Boukedida (5943) qui mena un mouvement de révolte à Tébessa. Dans cette liste de crânes, il y a aussi celui de Si Mokhtar Ben Kouider Al-Titraoui et la tête momifiée d'Aïssa Al-Hamadi, qui fut le lieutenant du Chérif Boubaghla, chef insurrectionnel en Kabylie. Mais il y a encore plus prestigieux, plus symbolique encore, l'homme de Tighenifine (Ternifine pour les Français), vieux de 500 000 ans, qui conserve l'ADN du plus âgé des ancêtres berbères des Algériens. Cet amazigh de Mascara est le plus ancien «déporté» du monde. Ce pithécanthrope a été découvert par Camille Arambourg lors de fouilles effectuées en 1954, sur un terrain appartenant à l'époque à la famille du célèbre couturier Yves Saint-Laurent. Les Algériens ne l'ont pas encore réclamé officiellement tandis que les Français, qui le considèrent comme «relevant du code du patrimoine et est inaliénable», proposent de simples moulages. Les choses du contentieux algéro-français sur les archives et les biens patrimoniaux sont d'évidence très compliquées. Les positions paraissent inconciliables, alors même qu'il existe des cas de restitution qui font jurisprudence. Par exemple, la statue d'Apollon qui se trouvait Place de Brandebourg à Berlin, et que Napoléon Bonaparte avait volé aux Allemands. Ou encore, comme on le sait déjà, les têtes Maori et la Sud-Africaine, la Venus Hottentot, immortalisée au cinéma. Qu'il s'agisse des archives, des canons et des restes humains symboliques, entre Algériens et Français, il y a un principe de négociation intangible : la France est gardienne temporaire du patrimoine historique algérien, mais pas propriétaire... éternel. N. K.