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Il était une fois les canons et les crânes
Entre l'Algérie et la France, il y a l'Histoire, la mémoire, des archives et des biens patrimoniaux
Publié dans La Tribune le 13 - 06 - 2012


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Par Noureddine Khelassi
Entre l'Algérie et la France, il y a l'Histoire et la mémoire, mais il y a aussi des tonnes d'archives non restituées et des éléments du patrimoine algérien que l'ancien colonisateur conserve par-devers lui, chez lui. Point de divergence feutré mais profond et toujours présent, la question de la restitution de documents, de pièces d'artillerie ou de restes humains est encore source de crispation entre les deux pays (lire entretien de Mourad Bétrouni). Les deux parties négocient tant bien que mal depuis 1980. Des gestes ont été faits, côté français, mais ils sont symboliques. Depuis 2009, les Français ouvrent timidement les portes aux chercheurs algériens. La partie est rude et les négociations ardues. Le problème des archives coloniales a débuté, paradoxalement, bien avant l'Indépendance. C'est en 1960 que la décision est prise de transférer en France les archives dites de souveraineté qui concernent notamment l'armée, la police et les services de renseignement. Ordre a été donné en même temps de laisser sur place les «archives de gestion» relatives au cadastre, à l'Etat civil et à l'administration. Cette opération s'effectue dans le secret, pour ne pas donner l'impression qu'elle constitue un prélude à une évacuation générale du pays. La plupart des fonds étaient dispersés et pas encore classés. La première évacuation d'importance est effectuée le 15 avril 1961. Elle se passe en douceur. La seconde, en 1962, au plus fort du terrorisme de l'OAS, est très complexe : on jette à la mer des archives de la police, on en détruit et on en brûle. Après 1962, les Algériens, eux, déménagent les archives régionales sous les voûtes du port. Une partie de ces archives serviront à se chauffer aux clochards et aux pochards du coin. Bref, les Algériens laissent aller et ne revendiqueront leurs archives qu'après le coup d'Etat du 19 juin 1965.A partir de 1967, soit presque un an avant la signature du premier grand accord bilatéral après les Accords d'Evian (Convention de 1968), et jusqu'en 2001, cinq envois d'archives seront effectués. La France restitue alors à l'Algérie les «Fonds ottomans» antérieurs à la conquête française. Un département universitaire, l'Institut de bibliothéconomie, de sciences documentaires et d'archivistique est même crée en 1977, avec un concours universitaire belge, pour former des spécialistes pour l'organisation des archives. Une commission mixte franco-algérienne verra même le jour en 1980. Les Algériens réclament alors un calendrier précis de restitution de toutes les pièces d'archives liées à la période coloniale. Le 16 juin 1980, le président Giscard d'Estaing prend une décision perçue comme une provocation : pire qu'une fin de non-recevoir, l'interdiction de «tout retour d'archives d'Etat» sonne comme un casus belli. C'est la crise sur ce dossier et sur bien d'autres. Les crispations iront alors en s'aggravant, jusqu'en 2003. A cette date, le président Jacques Chirac, qui recevra un accueil populaire empreint de forte chaleur, décrispe un peu l'atmosphère. Il se présentera à Alger, avec un cadeau symbolique : le sceau du Dey Hussein remis aux Français, en 1830, lors de la reddition du dernier potentat ottoman de la Régence. Quelques envois d'archives suivront et un accord sera même signé en 2009 qui prévoit de faciliter la consultation des chercheurs algériens, sur place, en France. Cet accord, dont les modalités demeurent secrètes, consignerait, selon des sources concordantes, une acceptation de ne plus revendiquer la restitution de toutes les archives retenues en France, contre leur conservation et leur consultation, facilitée, en France. C'est que les Français ne veulent pas voir ressurgir la commission mixte de 1980 et redoutent de voir les Algériens réactiver leur demande d'un calendrier de restitution rigoureux. Le contentieux porte particulièrement sur les 160 tonnes d'archives conservées à Aix-en-Provence que l'écrivain et investigateur indépendant Pierre péan a consultées pour écrire son livre sur le pillage du Trésor de la Régence d'Alger. Le nœud gordien du problème réside donc dans les lois françaises de prescription, alors même que la France évoque les questions «d'ordre public» et «d'inaliénabilité», chaque fois que la restitution des archives lui est réclamée par la partie algérienne qui y voit une question de souveraineté nationale. Et qui les réclame pour servir à l'écriture de l'Histoire.

Des canons et des crânes
Entre la France et l'Algérie, il n'y a pas que du papier symbolique, il y a également des canons et des crânes prestigieux. Et le sujet est très sensible. Il y a d'abord le mythique Baba Merzoug, la légende des siècles maritimes, la terreur de la méditerranée, un canon de 6,25 m de long et d'une portée de 4,872 km. Longtemps avant la Grosse Bertha allemand, le canon algérien était inégalable et imbattable, valant à Alger sa légende de «Mahroussa», la citadelle bien gardée. Les éminences archivistiques françaises et le ministère de la Défense français s'opposent à la restitution de cette pièce d'artillerie qui «fait partie du patrimoine militaire» français et serait, par définition française, «inaliénable». Les Français détiennent aussi huit couleuvrines, visibles à l'intérieur de l'Hôtel parisien des Invalides.
Il y a donc des canons et d'autres «archives» tout aussi prestigieuses mais d'une symbolique plus délicate encore. C'est comme qui dirait des cadavres historiques dans le placard de la mémoire coloniale. 37 crânes identifiés, dont 25 appartiennent à d'authentiques résistants à la colonisation. Des moudjahidines qui se sont battus comme des lions de l'Atlas contre le corps expéditionnaire français, notamment Cheikh Bouziane, un lieutenant de l'Emir Abdelkader et Cheikh Moussa al-Derkaoui, décapité par le général Emile Herbillon. Le dossier de restitution est dûment préparé et le directeur algérien de la protection des biens culturels, Mourad Bétrouni, s'en occupe. Petite précision : parmi les 37 têtes conservées, figurent une douzaine de crânes d'Algériens «morts pour la France» que l'Algérie n'entend finalement pas revendiquer, et pour cause ! Mais il y a encore plus prestigieux, peut-être encore plus symbolique, l'homme de Tighenifine (Ternifine pour les Français), vieux de 500 000 ans, qui conserve l'ADN du plus âgé des ancêtres berbères des Algériens. Cet amazigh de Mascara est le plus ancien «déporté» du monde. Ce pithécanthrope a été découvert par Camille Arambourg lors de fouilles effectuées en 1954, sur un terrain appartenant à l'époque à la famille du couturier Yves Saint-Laurent. Jusqu'alors, on considérait qu'il s'était exclusivement développé en Asie. Les Algériens le réclament désormais et les Français le considèrent comme «relevant du code du patrimoine, et est inaliénable». Ils proposent alors des moulages.

Hollande fera-t-il un geste ?
Les choses du contentieux algéro-français sur les archives et les biens patrimoniaux sont d'évidence très compliquées. Les positions paraissent inconciliables, alors même qu'il existe des cas de restitution qui font jurisprudence. Par exemple, la statue d'Apollon qui se trouvait Place de Brandebourg à Berlin, et que Napoléon Bonaparte avait volé aux Allemands. Ou encore les têtes Maori et la Sud-Africaine, la Venus Hottentot, immortalisée au cinéma. A l'occasion du cinquantième anniversaire de l'Indépendance, le nouveau président français, qui cherche l'apaisement dans les relations franco-algériennes, fera-t-il des gestes symboliques et significatifs sur ce dossier. Semble-t-il, lui-même y songe et ses conseillers plancheraient sur la question. Entre Algériens et Français, il y a un principe de négociation intangible : la France est gardienne du patrimoine algérien mais pas propriétaire…


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