Le second comité intergouvernemental algéro-français a acté à Paris des progrès réels dans l'évolution de la relation bilatérale. Il a surtout souligné l'intention commune de frapper encore plus du sceau du pragmatisme actif les rapports entre les deux pays. A. Samil, commentateur politique de La Tribune, a évoqué, ici même, un « pragmatisme stabilisateur » de relations soumises par le passé au mouvement de yo-yo de la passion et lestées du poids des mémoires respectives de la colonisation. On avance donc et on fait bien de ne plus mélanger les affaires et l'Histoire. C'est même intelligent de pratiquer, de part et d'autre, ce que le sagace Michel Jobert appelait alors le « droit à l'indifférence ». Mais tout de même, pas au point d'oublier des questions aussi importantes que les archives, des pièces d'artillerie et de prestigieux restes mortuaires conservés en France. Eléments symboliques qu'on refuse toujours de restituer à l'Algérie, voire même d'en discuter. La lune de miel actuelle entre Paris et Alger ne doit pas faire oublier qu'il y a certes entre eux l'économie qui désormais prime, mais qu'il y a toujours l'Histoire et la mémoire. Précisément, des tonnes d'archives et d'autres éléments du patrimoine algérien que l'ancien colonisateur conserve par-devers lui. Point de divergence feutrée mais profonde, ces questions, momentanément occultées, sont encore une source de crispation mutuelle. Les deux parties négocient à ce sujet, tant bien que mal, depuis 1980. Des gestes ont été faits, côté français, mais ils sont mineures et n'ont pas une valeur de vrai symbole. Depuis 2009, les portes ont été entrouvertes aux chercheurs algériens, mais la partie reste rude et les négociations, aujourd'hui au point mort, furent ardues par le passé. Pour l'Histoire, le problème des archives coloniales a débuté, paradoxalement, bien avant l'Indépendance. C'est en 1960 que la décision est en effet prise de transférer en France les archives dites de souveraineté qui concernent notamment l'armée, la police et les services de renseignement. Ordre a été donné en même temps de laisser sur place les «archives de gestion» relatives au cadastre, l'Etat civil et l'administration. Pour leur part, les Algériens laissent aller et ne revendiqueront leurs archives qu'après 1965. A partir de 1967, un an avant la signature de la Convention de 1968, et jusqu'en 2001, cinq envois d'archives seront effectués. La France restitue alors les «Fonds ottomans» et une commission mixte verra même le jour en 1980. Les Algériens réclament alors un calendrier précis de restitution de toutes les pièces d'archives coloniales. La même année, Giscard d'Estaing prend une décision provocatrice pire qu'une fin de non-recevoir : l'interdiction de «tout retour d'archives d'Etat» qui sonne comme un casus belli. C'est la crise sur ce dossier et les crispations iront alors en s'aggravant, jusqu'en 2003. Date à laquelle Jacques Chirac décrispe un peu l'atmosphère en se présentant à Alger avec un cadeau hautement symbolique : le sceau du Dey Hussein remis aux Français, en 1830, lors de sa reddition. Quelques envois d'archives suivront et un accord sera même signé en 2009 qui prévoit de faciliter la consultation des chercheurs algériens en France. Cet accord, dont les modalités demeurent secrètes, consignerait une acceptation de ne plus revendiquer la restitution de toutes les archives, contre leur consultation limitée en France. C'est que les Français redoutent de voir les Algériens réactiver leur demande d'un calendrier de restitution rigoureux. Le contentieux porte particulièrement sur les 160 tonnes d'archives conservées à Aix-en-Provence que Pierre Péan a consultées pour écrire son livre sur le pillage du Trésor de la Régence turque. Le nœud gordien du problème réside donc dans les lois françaises de prescription, alors même que les officiels français évoquent l'ordre public et « l'inaliénabilité», chaque fois que le retour des archives en Algérie est réclamé. En plus de ces archives, il y a également des canons et des crânes célèbres. D'abord le mythique Baba Merzoug, légende des siècles maritimes, terreur de la Méditerranée, canon de 6,25 m de long et d'une portée de 4,872 km. Il fut, longtemps avant la Grosse Bertha allemand, inégalable, valant à Alger sa légende de citadelle imprenable. Les éminences archivistiques françaises et le ministère de la Défense s'opposent à sa restitution, estimant qu'il «fait partie du patrimoine militaire», donc, «inaliénable». Les Français détiennent aussi huit couleuvrines, visibles à l'intérieur de l'Hôtel parisien des Invalides où le président Abdelaziz Bouteflika, alors convalescent, a séjourné en 2013. En vérité, des canons et crânes d'une symbolique encore plus sensible. C'est comme qui dirait des cadavres historiques dans le placard de la mémoire coloniale. 37 crânes identifiés, dont 25 appartiennent à d'authentiques légendes de la résistance anticoloniale. De grands moudjahidine comme Cheikh Bouziane, lieutenant de l'Emir Abdelkader et Cheikh Moussa al-Derkaoui, décapité par le général Emile Herbillon. Mais il y a encore plus prestigieux, les restes de l'homme de Tighenifine, vieux de 500 000 ans, et qui conserve l'ADN du plus âgé de nos ancêtres berbères connus. Symbolique d'autant plus forte que cet ancêtre immémorial est le témoin privilégié de la permanence berbère en Algérie. Amazigh de Mascara qui est le plus ancien «déporté» au monde. Pithécanthrope découvert en 1954 sur un terrain de la famille d'Yves Saint-Laurent. Les Algériens le réclamaient un moment mais semblent avoir mis une sourdine à cette revendication. Les Français, solidement campés sur leur position de refus, le considèrent comme «relevant du code du patrimoine, et est inaliénable». Ils proposent alors des moulages, ce qui est en soi une petite galéjade ! Ceci dit, entre Alger et Paris, même quand la météo est ensoleillée, il y a un principe de négociation intangible : la France est gardienne provisoire du patrimoine algérien mais pas propriétaire. N. K.