Tout comme la zlabiya et le Selecto de Hammoud Boualem, le qalbellouz est depuis longtemps un marqueur gastronomique et une référence culturelle pour les Algériens. Mais défense de manger de nos jours du qalbellouz, sous peine d'amende ! Les accros du cœur de semoule, le qalbessmid, cet épouvantable ersatz du cœur d'amande de jadis, seraient fautifs s'ils s'en empiffraient ! Du coup, cette bouillie hyper sucrée peut même tuer d'un coup, d'un seul pavé dégoulinant de sirop de sucre frelaté. Pour preuve, les 73 accros à la semoule sirupeuse, intoxiqués à Ouargla en 2012. Ça ne s'invente pas, ces fanas de la semoule orpheline de l'amande, ont acheté un horrible succédané du qalbellouz, rue du révolutionnaire Che Guevara. Ils ont été ensuite évacués d'urgence à l'hôpital du martyr Mohamed Boudiaf ! Hélas, mille fois hélas ! Depuis des lustres, l'amande, magique graine oléagineuse, à la chair pâle comme les joues d'une jouvencelle japonaise, se fait rare au cœur de qalbellouz. La belle bienfaitrice, riche de ses protéines, ses fibres, ses complexes oméga, ses minéraux et ses oligo-éléments, est généralement remplacée par de l'arachide ou même par de la semoule brûlée. C'est que les rouleurs de semoule à la petite semaine, comme ceux de la rue Che Guevara à Ouargla, redoublent d'ingéniosité et surtout d'âpreté au gain pour mieux rouler dans la farine les gourmands impénitents. La semoule cramée, parfois mélangée à des débris de graines de cacahuètes, donne au qalbellouz cet aspect factice de «mahchi» qui fait croire aux jeûneurs affamés qu'ils vont savourer un vrai cœur d'amande. Naturellement, l'excès de shérbèt, le sirop de sucre capiteux assaisonné d'arômes artificiels d'amande, ne facilite pas le discernement entre le goût de la cacahouète et la sapidité de l'amandier. C'est ainsi que qalbellouz devient qalb él kaw-kaw ! Cœur de semoule, dans le pire des cas, c'est-à-dire en général. Et cœur d'arachide, dans la meilleure des hypothèses. Assez rarement, un cœur d'amande, un vrai. Depuis longtemps, ce ne sont plus les artisans boulangers et les pâtissiers dignes de ce nom qui vous composent un authentique cœur d'amande, selon les recettes ancestrales. Monsieur-tout-le-monde, face de carême avide au gain ou vraiment nécessiteux, devient, s'il vous plait, monsieur qalbellouz ! L'histoire est donc connue : indigestion, intoxication, adiposité et compagnie. Mais revenons tout de même à la confiserie nommée désir. Précisément au qalbellouz, l'unique, celui qu'on appelle aussi harissa, chamiya ou bessboussa, copies conformes ou déclinaisons pâtissières maghrébines ou orientales du cœur d'amande algérien. Attention, ne pas confondre la chamiya de semoule et d'amande avec la chamiya connue aussi sous le nom de halva turque. Une guimauve de thina obtenue à partir d'une purée de grains de sésame et agrémentée de vanille et de fruits secs comme la pistache et la noisette. Alors, algérien le qalbellouz ? Pas si sûr que ça, même si les Algériens, depuis la Régence ottomane, ont imaginé leurs propres recettes gourmandes. Ah, le cœur d'amande qu'on prépare avec cœur et qu'on sert cuit à cœur, avec une croûte bien dorée et brunie par endroits ! Son croustillant est une invitation impériale à savourer le cœur fondant du qalbellouz farci d'amande, au parfum de cannelle, de beurre fondu, de zest de citron et d'eau de fleur d'oranger. Recette ancestrale, magnifiée par mon grand-père dans le four à brique de sa boulangerie à Bir Djebbah dans la Casbah d'Alger. Recette divine à laquelle la famille algéroise Bellout a donné ses lettres de noblesse pâtissière. Alors lecteurs-ramadaneurs, de grâce, évitez de parler du qalbellouz contrefait et à la réputation surfaite, labellisé Sérir. Morbleu et palsambleu, comment peut-on nommer qalbellouz une horrible mélasse de qalbessmid, avec une farce de cacahuète trafiquée avec un exhausteur de goût ? Quand on a juste une bedaine et des yeux plus gros que le ventre et pas de palais du tout, à la fin, la faim du jour aidant, on trompe ses propres papilles gustatives. Décidément, les temps changent. Les bonnes habitudes de dégustation se perdent de plus en plus et les bons pâtissiers se font rares. Tout comme d'ailleurs le cœur d'amande, ce «fruit divin dont les baisers sont faits» selon le proverbe maltais. En ces soirées de Ramadhan, amis jeûneurs, souvenez-vous aussi de Chateaubriand qui a remarqué que «les Arabes ont les yeux grands et coupés en amande». Des Arabes et même des berbères qui ne voient plus tellement clair, au point de confondre un cœur de semoule avec un cœur d'amande. Et un Sérir avec un Bellout. Saha ftourkoum. N. K.