C'est donc aujourd'hui que les Algériens sauront si Abdelaziz Bouteflika sera candidat ou non à l'élection présidentielle. Somme toute, tout s'est passé comme dans le meilleur des mondes, d'une manière ordinaire. Y avait-il réellement besoin de déroger, que chacun le veuille ou non, à un calendrier qui serait arrivé à terme ? Ce qui se dit autour de la question depuis quelques jours, semaines, mois, voire ce qui s'est passé au deuxième jour de la réélection du président de la République en 2004 ne peut donc qu'être catégorisé que comme de l'agitation, au demeurant usuelle, prévisible et donc… normale. Pour l'anecdote, questionné au lendemain du 19 juin 1965, le défunt Houari Boumediene répondait à un journaliste français de Paris-Match, au sujet de son «impopularité» immédiate : «Un homme ne peut pas plaire à toutes les femmes.» Nul n'ignore le charisme phénoménal du personnage, particulièrement à la suite des progrès réalisés par l'Algérie et la notoriété acquise par son Etat nation dans le monde entier. Cela juste pour dire qu'en République, la vie citoyenne est ainsi faite ; en démocratie chacun est libre de penser, défendre et exprimer ce qu'il estime le plus apte à répondre à ses convictions. En République, chacun est tenu de respecter les lois et le choix du peuple qui en est l'inspirateur, la source d'où tire, à juste titre, sa légitimité le premier élu. La candidature ou la non candidature du président en exercice n'inspire pas seulement tous ceux, qui à tort ou à raison, s'insurgent ou défendent un choix qu'ils ont exprimé en 1999, puis renouvelé en 2004, et qui ne s'est pas exaucé ou, encore une fois, réalisé. Les uns et les autres n'hésitant pas, sans l'ombre d'un doute, à s'arc-bouter sur des intentions initialement immuables mais toutefois rendues malléables, à mesure que passent les années, jusqu'à troquer une conviction rapidement faite par l'un et sérieusement ébranlée par la suite contre celle de l'autre. Dans le cas d'une Algérie qui s'apprête à voter dans quelques mois, le peuple, alors seul juge de son propre avenir, a été, toutes proportions gardées, infantilisé et réduit à sa plus simple expression par ceux qui ne cessent de faire dans des exercices de rhétorique comme s'ils avaient réellement les capacités de faire l'opinion et, partant, d'orienter le choix populaire. Hommes politiques en retrait de la vie du même nom et une partie des médias s'évertuent, après avoir guerroyé vainement contre la révision de la Constitution, à expliquer toutes les raisons du monde pour lesquelles Abdelaziz Bouteflika ne devrait pas se représenter. Une levée de boucliers que l'on peut considérer évidemment comme l'élément d'un puzzle qu'autorisent des recours aux leviers et des règles de jeu à même d'assurer l'équilibre du jeu démocratique. Sauf que, paradoxalement, ceux-là mêmes qui, parce que la considérant comme le fait du prince, poussaient des cris d'orfraie sur une éventuelle candidature du président de la République à un autre mandat, versent, depuis quelques jours, dans un tout autre registre, s'interrogeant sur les raisons qui feraient qu'Abdelaziz Bouteflika renonce à un autre mandat, comme si, par un procédé coercitif qu'ils seraient les seuls à imaginer, leur avait été confisquée une certitude… déniant dans la foulée le droit légitime à l'actuel président de décider, compte tenu de convictions profondes de ce qui est le meilleur choix pour un pays qu'il a, de tout temps et en toutes circonstances, porté dans son cœur. Chez les féroces opposants d'hier, semble transparaître l'expression, plus qu'un regret, la crainte de voir effectivement le président de la République passer la main, confirmant la vérité d'un homme politique français selon lequel «…l'opposition n'est jamais mieux que dans le confort de l'opposition… Les affaires et l'exercice du pouvoir ne sont pas une partie de plaisir». C'est sans doute à ce constat et à cette éventuelle confrontation avec la dure réalité de l'exercice du pouvoir, qui plus est dans un contexte aussi bien national qu'international loin d'être idyllique, que ceux qui, jusque-là, n'ont eu cesse d'exiger l'alternance, ont soupesé et vu un défi hypothétique à relever pour la suite et surtout bien des risques à leur stabilité d'abord et à la stabilité du pays ensuite. En fait, il n'est nul besoin de le claironner ; l'Algérie n'est pas encore prête à une Algérie sans Bouteflika sans qu'il ne faille, d'ores et déjà, réfléchir à un après Bouteflika comme elle n'a l'a jamais été au lendemain de la disparition de Houari Boumediene. Il n'y a pas de honte à l'affirmer. A. L.