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Zighoud Youssef, le chef politico-militaire d'exception «Un homme réfléchi, intelligent, sérieux, profondément engagé pour la cause nationale, bien organisé»
Les héros sont souvent des femmes et des hommes simples qui deviennent des légendes. Il en est ainsi de Zighoud Youcef, Larbi Ben M'hidi, Abbane Ramdane, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Benboulaïd, Didouche Mourad, Hassiba Benbouali, Djamila Boupacha et de bien d'autres noms de légende de la guerre d'Indépendance. Le héros Zighoud, un des principaux dirigeants de la Révolution de novembre 1954, en est un par excellence. L'habit du héros dont s'est drapé finalement l'homme du peuple, était celui d'un chef «politico-militaire» exceptionnel. Un stratège qui a réinventé la guérilla urbaine, en combinant techniques de l'intifada et procédés purement militaires. Cor Hou Fils de Smendou (Condé) où il est né en février 1921, élève de l'école coranique et de l'école primaire française, CEP en poche, il adhère au PPA-MTLD dont il fut le premier responsable dans sa petite ville natale en 1938. Il fera ensuite partie de l'Organisation Spéciale (OS) qui préparera les conditions de la lutte armée, après l'échec de la voie politique. Arrêté en 1950, lors de la découverte de l'OS par la police coloniale et incarcéré à la prison d'Annaba, il s'en évade en avril 1954 et entre en clandestinité pour s'engager dans l'action militante du Crua, le Comité révolutionnaire d'unité et d'action. Le 1er novembre 1954, il est aux côtés de Didouche Mourad, responsable du Nord-Constantinois, et participe à ses côtés, le 18 janvier 1955, à la bataille d'Oued Boukerker, près de Smendou, à l'issue de laquelle ce dernier trouve la mort. Zighoud le remplace alors à la tête de la Wilaya II. Membre des «22», du Crua et commandant de Wilaya Membre des «22» historiques qui créeront à El Madania (Clos Salembier, Alger) le Crua, matrice de l'indépendance, il sera désigné par ses pairs adjoint de Didouche Mourad à la tête de ce qui deviendra, après le congrès de la Soummam, en 1956, la Wilaya II. Pionnier de l'action militaire, il sera l'un des tout premiers à tirer les cartouches de la libération. C'est lui qui a mené des coups d'éclat contre la caserne de la gendarmerie de Condé-Smendou dès novembre 1954. De l'aveu même de chefs de l'armée française, il avait inauguré la guérilla urbaine à Bône (Annaba) et à Philippeville (Skikda), mais surtout, il n'a cessé depuis le début de 1955 de mettre au point «une certaine tactique de l'attaque d'un village». Il aurait du même point de vue «échoué» mais «a failli réussir» à El Harrouch où se trouvait le PC des parachutistes du colonel Ducourneau. L'homme au chapeau de brousse que l'on voit sur les rares photos d'époque, «ce loup maigre et sec», selon la formule de Jacques Duchemin, auteur d'une partiale et partielle Histoire du FLN (Table Ronde, Paris 1962), avait pourtant hérité d'une wilaya coupée des autres wilayas, à la mort de Didouche Mourad qui avait emporté avec lui l'essentiel des archives du territoire nord-constantinois. C'est que la révolution algérienne naissante n'avait pas encore eu le temps d'installer des structures de renseignements, de liaisons et de communications et notamment le futur et célèbre Malg, le ministère de l'Armement et des Liaisons générales. La guerre n'avait que trois mois à peine et tout était à faire, notamment le fait d'assurer ce que notre confrère Boukhalfa Amazit appelle l'implantation du FLN-ALN par vascularisation. Donc, assurer la politique de rupture avec l'administration coloniale, pénétrer en profondeur les villes, les douars et les mechtas, en un mot, selon la théorie maoïste, «assurer l'eau au poisson». Du commandant militaire et du responsable politique, on sait peu de choses. Feu Mahfoud Bennoune, capitaine de la wilaya II, disait de lui que c'était «un homme réfléchi, intelligent, sérieux, profondément engagé pour la cause nationale, bien organisé et surtout d'une extrême modestie». Ce portrait paraît d'autant plus réaliste que la wilaya II fut la seule à avoir échappé aux impitoyables purges qui ont endeuillé les autres maquis à partir de 1958, conséquence de la fameuse «bleuite», l'opération d'intox, à grande échelle, des services d'action psychologique de l'armée coloniale. La formation de Zighoud était celle d'un autodidacte, doublé d'un militant lucide «avec une base politique solide», avait dit de lui Salah Boubnider, l'un de ses compagnons d'armes les plus proches. Ce que confirmera d'ailleurs Ali Kafi, successeur de Sawt El Arab à la tête de la Wilaya II dans ses Mémoires et dans des entretiens à la presse arabophone algérienne. Autodidacte et stratège spontané Pour convaincre du sens politique de Zighoud Youcef, Salah Boubnider, qui l'avait remplacé à la tête de la Wilaya II, s'est souvenu alors d'une opération militaire à Sidi Mezghiche (Skikda), décidée et conçue par Zighoud comme une action psychologique décisive. Le stratège militaire voulait vaincre les doutes des habitants de ce village au sujet du pouvoir d'initiative et de la capacité d'agir de l'ALN. Pour mieux frapper les esprits, il avait décidé de n'y associer aucun djoundi et d'y engager exclusivement des cadres. Ainsi, 160 hommes au total ont été mobilisés pour accrocher, avec un total succès, des unités de l'armée française dans les alentours de Sidi Mezghiche. Invité par Salah Boubnider à dresser le bilan des opérations, le colonel Zighoud Youcef eut alors ces propos : «Ce peuple est un grand peuple, sa volonté est immense, sa disponibilité est permanente, il lui faut une direction à sa dimension, qui le convainc, nous ne devons pas le décevoir, sinon il risque de commettre de graves dégâts. Si la direction n'est pas à la hauteur du peuple qu'elle mène, alors ce dernier peut faire des choses incontrôlables.» Autodidacte et stratège spontané, Zighoud Youcef n'avait jamais lu Sun Tzu ni Nedham El Moulk, pas plus qu'il n'aurait assimilé Clausewitz, Machiavel ou Mao Zedong. Mais, en attaquant simultanément 39 centres militaires dans le Nord-Constantinois, il avait inventé une nouvelle technique de guerre en lançant contre des objectifs militaires précis des colonnes de fellahs armés seulement de bâtons et de serpes. D'un point de vue militaire classique, cette technique non conventionnelle est apparue alors «absurde» aux adeptes de la science militaire pure. Bien avant l'heure, le forgeron soldat de Smendou avait combiné «marche verte», intifada et techniques de guérilla pour atteindre des objectifs politiques et militaires essentiels. L'importance des objectifs réalisés fut telle que le 20 août 1955 constituera un tournant historique majeur dans la guerre d'Indépendance de l'Algérie. Chef historique politique et commandant militaire réaliste Déjà, sa propre lecture des résultats de l'opération du 20 août 1955 et d'une année d'activité militaire montrait que point n'était nécessaire de sortir de quelque grande école de guerre pour se révéler analyste politique lucide et chef militaire réaliste. En novembre 1955, lors d'une réunion de l'état-major de la zone II, à Taïrou, à l'est de Settara, Zighoud Youcef avait livré ce jugement : «Si nous avons perdu militairement et gagné politiquement dans le nord-est du Constantinois, c'est-à-dire à Skikda et sa périphérie, je peux vous dire que nous avons gagné militairement et politiquement dans le nord-ouest du Constantinois, et plus particulièrement à El Milia» (source, Ammar Guellil, l'Epopée de l'Algérie nouvelle, Dar El Baath, 1991). Derrière le constat se profilaient aussi des félicitations à Messaoud Bouali, adjoint direct de Lakhdar Bentobal et commandant des opérations qui se sont déroulées à El Milia selon un mode opératoire différent de celui utilisé dans les autres régions. Dans la zone d'El Milia, qui s'étend d'Aïn Kechra à Erdjana, Messaoud Bouali a tout simplement inversé l'ordre d'attaque : au lieu que ce soit la population qui avance vers les objectifs désignés, canalisée et encadrée qu'elle fut par les moudjahidine et les moussabiline, ou que ces derniers soient dissimulés en son sein comme c'était le cas ailleurs, il ordonne que ses hommes en armes se mettent en avant des habitants désarmés. Résultat, les opérations successives dans le secteur d'El Milia durant les 20, 21, 22 août, ont atteint les objectifs avec des pertes insignifiantes (embuscade sur la route de Constantine qui a abouti à la mort du juge Reno, embuscades à Hazouane et Zeggar, occupation pendant trois jours du village d'Arago (Bordj Ali Halia). Au lieu de houspiller Messaoud Bouali pour avoir contrevenu aux ordres du commandement, Zighoud le félicita et le remercia en lui offrant un exemplaire du saint Coran. «Le 20 août restera, malgré le nombre de victimes et de martyrs, le jour qui marqua l'essor de la Révolution et lui donna un sens moderne, pour l'avoir sorti du stade de rébellion spontanée et limitée en la généralisant à tout le pays. Il marqua en fait le véritable départ de la Révolution algérienne. Tous les Algériens portaient cette date comme un symbole de résistance face à l'ennemi, sans vraiment trop regarder le prix à verser.» Enseignement de cette journée stratégique, tiré des années après l'Indépendance par Salah Boudjema, compagnon de Zighoud Youssef et responsable de la Zone V de la Wilaya II historique. N. K.