En France, l'économie du partage s'est rapidement fait des ennemis parmi les défenseurs des droits du travail : certes, les particuliers qui mettent leur temps, leurs talents ou leurs biens à disposition via des plateformes de partage sont libres de travailler quand et autant qu'ils le souhaitent. Mais ils le font en tant qu'indépendant. En France, l'économie du partage s'est rapidement fait des ennemis parmi les défenseurs des droits du travail : certes, les particuliers qui mettent leur temps, leurs talents ou leurs biens à disposition via des plateformes de partage sont libres de travailler quand et autant qu'ils le souhaitent. Mais ils le font en tant qu'indépendant. Autrement dit, si cela devient leur activité principale, ils n'ont ni sécurité de l'emploi ni salaire minimum, et ne parlons pas des cotisations retraites. L'entreprise qui leur donne du travail via la plateforme de partage refuse de les considérer comme salariés. C'est précisément ce qui dérange les défenseurs des droits du travail. Mais en Chine, où les pratiques de partage ont généré environ... 275 milliards d'euros en 2015, le problème ne se pose pas. Salarié ou indépendant, c'est presque du pareil au même Tout d'abord, l'essentiel de la sécurité sociale en Chine ne passe pas par les entreprises. Seuls les employés des compagnies d'Etat et certains cadres du privé bénéficient d'aides sociales supplémentaires via leur employeur. Pour la retraite, la moitié des cotisations seulement sont ponctionnées par les entreprises. Enfin, en cas d'abus de la part d'un employeur, le salarié n'a quasiment aucune chance d'être indemnisé : le droit du travail a beau exister en Chine, il est rarement respecté. Dans ce contexte, les avantages sociaux liés au statut de salarié ne sont pas particulièrement enviables par rapport au statut d'indépendant. En d'autres termes, un chauffeur d'Uber voyant son compte désactivé du jour au lendemain sera presque aussi démuni que le salarié d'une entreprise de taxi, même s'il existe une législation censée le protéger. «Tout ce que veulent les chauffeurs d'Uber et de Didi Chuxing (le principal concurrent d'Uber en Chine) c'est du cash», résume Isaac Mao, chercheur sur les pratiques de partage. Qu'il s'agisse de travailleurs indépendants ou de salariés, «la principale préoccupation des Chinois est leur paye, qui devrait leur être versée régulièrement et à hauteur du travail fourni», complète Aiqing Zheng, professeure de droit à l'université Renmin de Pékin, pour Métis. Aucun risque de précarisation Dans ce contexte, la précarisation de l'emploi n'est pas non plus une menace. Une part significative des travailleurs migrants vit déjà dans une situation instable. Pour eux, les plateformes d'échange de temps libre et de services entre particuliers représentent surtout une opportunité de plus pour joindre les deux bouts. Ce type d'activité n'est pas forcément bien rémunéré - l'entreprise Renwutu, directement inspirée de la plateforme américaine Taskrabbit se vante d'offrir des services pour un prix inférieur de 30% à celui du marché. Mais le modèle fonctionne puisque 58.com, l'équivalent du Bon Coin, permet la réalisation de 900 offres de services par jour dans une vingtaine de villes chinoises. Fierté d'être «slashmen» Cela fait longtemps que les Chinois ont appris à multiplier les casquettes. Dans les années 1980 et 1990, les licenciements massifs liés à la privatisation de l'économie ont poussé une partie de la population à créer ses propres entreprises et multiplier les emplois pour saisir des opportunités plus rémunératrices. Aujourd'hui, jongler entre deux activités devient une fierté. C'est ce qu'explique Susan, à la fois employée par la plateforme d'échange de connaissances Zaihang comme responsable presse et membre de cette plateforme en tant qu'experte en communication. Elle se présente comme «slashman», ou «personne à multiple carrière», «tout comme tous les membres des plateformes d'échange qui poursuivent une activité rémunératrice à côté.» Pour elle, cette tendance à multiplier les activités professionnelles va se poursuivre, c'est même «le futur du travail». Opportunité de croissance Le Premier ministre chinois est du même avis. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, Li Keqiang mise sur le micro-entrepreneuriat à grande échelle pour relancer la croissance économique. Pour lui, l'économie du partage tombe à pic. En permettant de rentabiliser financièrement des biens ou des services sous-utilisés, les pratiques de partage offrent de nombreuses opportunités rémunératrices aux entrepreneurs. Le gouvernement espère d'ailleurs voir certaines de leurs jeunes pousses prospérer, à l'image de Didi Chuxing : d'ici à 2026, une dizaine d'entreprises de l'économie du partage devrait égaler le géant du transport privé avec chauffeur capitalisé à un milliard de dollars, d'après le Centre d'Information d'Etat et la Société de l'Internet Chinois. Au-delà des gains en termes de croissance, Li Keqiang voit aussi dans l'économie du partage un générateur de justice sociale et de redistribution des revenus. Les pratiques de partage combinées à l'entrepreneuriat de masse représentent «un pas innovant dans le modèle de redistribution des richesses», assurait-il au World Economic Forum, en 2015. Avenir radieux ? Ainsi, les pratiques de partage apparaissent bien moins menaçantes pour le monde du travail en Chine qu'en France. Les acteurs chinois de cette économie auraient même tout l'avenir devant eux. Pourtant, s'il s'annonce très favorable à l'économie du partage, le gouvernement entend bien réguler les secteurs bouleversés par ces nouvelles pratiques comme il l'a fait déjà pour le prêt financier de pair à pair en 2015 ou celui du covoiturage en 2014. Enfin, au bureau des impôts de Pékin, on reconnaît que la taxation des revenus issus de l'économie du partage ne devrait pas tarder à être soulevée. Mais là encore, dans un pays où la fraude aux impôts est largement répandue, ce ne sont pas les pratiques de partage qui vont faire la différence. J. B. Reuters