Il n'est pas très loin, le temps où les femmes, surtout les plus jeunes ou moins vieilles d'entre elles, pouvaient se permettre sans souci d'aller batifoler dans les eaux (plus propres que celles de maintenant) d'une mer qui renvoyait alors sans pingrerie le bleu du ciel. Tiens, et d'abord de quel droit iraient-elles prendre leurs aises dans un endroit infesté de mâles guettés par le rut ! Les pères fouettards se signalaient déjà et ils vitupéraient fort. Non, la grande bleue, c'était d'abord pour les mecs qui, reconnaissants, consentaient à emmener avec eux leur vieille maman au titre d'une profitable «Ziara» de Sidna Lebhar. Allez du côté de la Kabylie maritime, de Cap Djinet à Ziama Mansoura et demandez-leur sous quel nom sanctifié on y désigne encore la mer. De fortes chances de tomber sur des «ringards» encore en vie qui vous diraient : «Sidna Lebhar». Souvenir d'adolescence des années 60, arrêt sur des images rémanentes de moments de doux bonheur que nous offrait la «dictature» au pouvoir. Sur une paradisiaque plage de galets presque noirs à Mlata avant Azeffoun, il n'était pas rare de voir, dans un coin discret sur la grève, une femme habillée offrir son dos à sept vaguelettes de Sidna Lebhar. Imploration du génie de la procréation ou demande purifiée par l'eau de mer au Dieu unique ? Le rituel forçait le respect et il ne venait à l'idée de personne d'en rire. Qui eût pu imaginer que viendrait plus tard le temps du «Burkini» et ses bigoteries d'un autre âge ? Burkini…Barkaouana ! Le Conseil d'Etat français a dit hier après-midi que c'est Burki-oui. Voilà qui, loin de clore le débat, va le faire repartir de plus belle. Dans le bras de fer entre les Frères musulmans et les Bobos de France et l'Etat, les premiers ont provisoirement gagné. Provisoirement, car l'autre camp, à l'approche des élections, ne va pas manquer de redoubler de férocité et de faire comme le Conseil d'Etat leur a suggéré en creux, c'est-à-dire mobiliser pour une loi en bonne et due forme et oublier l'épisode des arrêtés municipaux d'une trentaine de maires français qui ont personnalisé l'acte de réglementer. Et c'est bien ce qu'il leur est reproché en premier lieu. On apprend aussi, à cette occasion, que la laïcité française ne s'applique pas sur l'espace public. Autant dire que cette loi, en dehors des établissements scolaires, n'existe pas. Ce n'est pas de la nostalgie, ou à peine, mais il était meilleur le temps où les femmes se baignaient sans la tunique conçue ad hoc qui les fait ressembler au Bibendum de Michelin par mer agitée. Ou mettaient en relief leur callipygie de statuette africaine d'ébène quand elle est d'huile. Puisse Sidna Lebhar hâter l'apaisement, rendre la mer à sa vocation et la repeupler de bon poisson maltraité par les déversements pollués qu'elle subit dans une indifférence criminelle. Le reste, Burkini, Bikini ou Barkaouna, tant que ce ne sont pas des uniformes ni des étendards, n'a qu'une importance relative. Dans tous les cas, Dieu reconnaîtra les siens.