Energies renouvelables, réseaux intelligents, digitalisation, nouveaux pouvoirs des consommateurs et des collectivités, nouveaux entrants, modèles économiques obsolètes... Quatre acteurs - producteur, consommateur, ONG et experte - exposent les enjeux que représente la transition énergétique pour le secteur Plus de dix ans passés à mettre en place des systèmes d'information en tant que consultante à la sortie de son école de commerce (Grenoble), «un métier stimulant mais manquant de sens», ont permis à Anne Bringault de consolider ses compétences en gestion et finance. Des atouts appréciés lorsqu'elle a postulé pour prendre la tête en France de l'ONG Les Amis de la Terre, une fonction qu'elle a exercée six ans. «Je me suis familiarisée avec les sujets écologiques à l'occasion du Grenelle de l'Environnement», se rappelle-t-elle. Après un passage chez Enercoop (société coopérative fournisseur d'énergie verte) en tant que bénévole chargée d'élaborer un outil pour aider les clients à diminuer leur consommation, elle est recrutée en 2011 par le Cler (Réseau pour la transition énergétique) et le RAC (Réseau action climat) pour coordonner l'action des ONG, notamment dans le cadre du Conseil national de la transition écologique (Cnte). La consommation s'adaptera à la production Sur le constat, son analyse rejoint celle des autres acteurs. «On va d'un système très centralisé, où dominent les énergies fossiles et le nucléaire, vers un système décentralisé essentiellement constitué d'énergies renouvelables (EnR), observe-t-elle. Un système dans lequel la consommation s'adaptera à la production, et non pas l'inverse.» Autre évolution : «Les rôles respectifs des collectivités, des entreprises, des coopératives et de l'Etat vont se répartir différemment, souligne-t-elle. Les acteurs territoriaux vont avoir un rôle plus important pour animer ces changements.» Plusieurs facteurs contribuent à donner un rôle majeur aux acteurs de proximité. «La baisse de la consommation constituant l'un des principaux piliers de la transition, cela donne un poids particulier aux questions de l'isolation des logements ou de la mobilité, qui ne peuvent être traitées que sur une base de proximité», souligne Anne Bringault. Pas question de sortir des réseaux Les collectivités locales vont donc devoir s'emparer des EnR, plus locales par construction. D'ailleurs, elles sont de plus en plus nombreuses à avoir décidé de s'engager vers un objectif de 100% de renouvelables, essentiellement pour des raisons économiques. «Elles réalisent que cela leur revient d'ores et déjà moins cher, que cela crée des emplois et qu'une partie de la valeur ajoutée est réalisée sur place», rappelle-t-elle. Sur tous les continents, des collectivités s'engagent. Les solutions varient selon les régions mais tous les projets ont en commun d'organiser la ré-appropriation de ces enjeux par tous les acteurs. Nouvelles formes de solidarité «Dans certains pays peu développés, observe-t-elle, l'électrification démarre d'entrée avec des structures décentralisées, car il n'est pas nécessaire d'investir inutilement.» Dans les pays matures en revanche, Anne Bringault est très claire : «Il n'est pas question de sortir des réseaux ni de fonctionner en autarcie. Au contraire, l'objectif de 100% renouvelables s'accompagne de nouvelles formes de solidarités : entre collectivités locales, territoires, régions, entre villes, entre territoires urbains et territoires ruraux, et même, entre habitants.» La réflexion doit désormais se mener à une échelle plus locale. «Mais cela signifie que, plutôt que de se couper des réseaux, il faut les utiliser différemment.» En termes de méthode, Anne Bringault estime que l'horizon 2050 (utilisé par certaines collectivités pour afficher leur objectif de 100% renouvelables) est de suffisamment long terme pour permettre un compromis entre enjeux climatiques et réalisme, et pour anticiper les implications au niveau des infrastructures. C'est l'échéance choisie par la ville de Francfort pour diviser par deux sa consommation énergétique, ce qui lui permet d'identifier quel est le périmètre de territoires ruraux à impliquer pour la production de biogaz, d'éolien et de solaire, et de se projeter sur les relations de partenariat nécessaires. La ville a élaboré un vrai plan d'action précisant combien d'énergie doit être produite, de quelle façon, etc. De façon générale, les villes partagent leurs compétences techniques avec les territoires ruraux qui apportent de l'espace et des ressources naturelles. «Mais la plupart des villes ne se projettent pas aussi loin, regrette Anne Bringault. En France, elles ont déjà du mal à atteindre l'objectif de 20% d'énergies renouvelables fixé pour 2020.» Le vieux modèle fait de la résistance Autre frein pointé du doigt : «Les acteurs dominants du modèle actuels ont tendance à résister, notamment en se fixant des objectifs trop modestes en matière de renouvelables.» Pour lever ces blocages, ce que demandent les ONG, c'est «au minimum que la fourniture d'énergie et les services d'efficacité énergétique ne figurent pas dans le même contrat», rappelle-t-elle. «Mais à l'échelon national, les politiques, qui gèrent du temps court rythmé par les élections, ont du mal à donner un cap clair, déplore-t-elle. Ils entretiennent une certaine proximité avec les dirigeants de ces entreprises encore positionnées sur l'ancien modèle, et n'ont pas envie d'ouvrir un front d'opposition avec des filières qui restent aujourd'hui dominantes...» Les élus locaux, en revanche, moins soumis aux grandes entreprises centralisées, peuvent mener des actions de proximité et proposer des solutions populaires en matière de mobilité, d'énergies renouvelables, de qualité de l'air, etc. «Ainsi, l'éclairage public est la mesure la plus simple à mettre en place et celle qui présente le retour sur investissement le plus rapide», constate Anne Bringault... Se projeter à plus long terme Mais aujourd'hui, les villes et les métropoles ne travaillent pas assez avec les collectivités locales alentours. «Il faut créer des lieux de dialogue pour y remédier, estime-t-elle. Outre cette relation entre villes et territoires ruraux, l'enjeu est de faire en sorte que les collectivités se projettent à plus long terme. Anne Bringault se félicite que le RAC ait contribué à faire figurer un engagement à 100% d'énergies renouvelables dans la déclaration finale des maires du monde entier lors du Sommet organisé en décembre par la Ville de Paris lors de la COP21. Résister à la tentation du repli sur soi Les régions ont un rôle de coordination et d'animation à jouer, comme cela se fait, en France, autour du bois dans la région Auvergne/Rhône-Alpes, mais il est néanmoins nécessaire que l'Etat donne un cap. «Malheureusement, on pêche en France sur l'évaluation des politiques publiques et on souffre de l'absence d'indicateurs clairs, regrette Anne Bringault. Ce qui conduit à des actions «one-shot» plutôt qu'à un véritable pilotage. C'est particulièrement flagrant en matière de transports.» Mais ce que craint surtout Anne Bringault, c'est que les conséquences du changement climatique (montée des eaux, multiplication des réfugiés climatiques, etc.) ne poussent au repli sur soi, alors précisément que de nouvelles formes de solidarité sont plus que jamais nécessaires. D. P. In latribune.fr