C'est clair, la réconciliation nationale n'est pas une marotte bouteflikienne. Non plus une politique de rustines sécuritaires et judiciaires. C'est une philosophie. Un credo. Une exigence de bon sens politique. C'est évident, on fait la paix avec son ennemi. Il aura fallu donc deux mandatures présidentielles pour en fixer les lignes. Et il faudra une troisième, beaucoup plus de temps même, pour administrer la preuve que la réconciliation ne visait pas seulement à assécher le marigot terroriste. La réconciliation, entreprise consensuelle, inaugurée sous la sage direction de Liamine Zeroual, questionne au sujet des islamistes. Peut-on diriger le pays sans eux ? Contre eux ou avec eux ? Et si, avec eux, jusqu'où ? Et sous quelles formes ? Longtemps, par petites touches successives et à coups de messages, parfois subliminaux, le président Bouteflika s'est évertué à montrer que la réconciliation n'est pas une pierre philosophale. L'homme, c'est certain, n'est pas un apôtre illuminé. C'est un politique qui fait de la politique. Et qui, surtout, en éprouve les limites en tentant de les réduire. En effet, bien avant 1999, il avait compris que l'Algérie était ingouvernable sans les islamistes. A plus forte raison contre eux. Il a aussi perçu que le pays, avec eux, pouvait être dirigé dans l'apaisement. C'est-à-dire que le meilleur islamiste est un fondamentaliste qui fait de la politique. Un politique qu'on intègre dans un jeu maîtrisé. C'est pour cette raison qu'il n'a pas soutenu en 1995 le compromis de Sant' Egidio. A l'image du régime qui l'avait rejeté en bloc, il avait compris qu'il s'agissait d'une tentative de partage du pouvoir. A cette date, le rapport de force n'était pas si défavorable au FIS. Le parti dissous disposait encore d'un pouvoir de nuisance réel à travers l'AIS, son aile armée. Et, avant même de penser à une intégration contrôlée de certains islamistes dans le jeu, il fallait ramener à résipiscence les gens d'armes du FIS. Ce qui sera fait avec l'habillage politique de l'arrangement sécuritaire de 1997. La logique réconciliatrice bouteflikienne consistait à refuser ainsi tout compromis préjudiciable avec le FIS. Ne rien négocier, ne rien céder, ne rien partager. Associer, impliquer. Intégrer pour mieux désintégrer. Vieille technique du boa constricteur. Une fois les politiques islamistes intégrés dans le jeu, au centre comme à la périphérie, restait la question de savoir jusqu'où il faudrait aller dans le processus. Et sous quelle forme. L'Alliance présidentielle, coalition du pouvoir mais sans pouvoir réel, en sera le cadre privilégié. Elle est à ce jour un support de participation, d'intégration et de normalisation de la filiale algérienne des Frères musulmans. Les autres islamistes légalistes sont, eux, intégrés au jeu parlementaire ou chargés de missions diverses par le pouvoir réel. Avant tout, le bouteflikisme réconciliateur ne consiste-t-il pas à promouvoir un islamisme gestionnaire ? Un islamisme intégré pour mieux aider à gérer la redistribution et le mécontentement sociaux. On est loin de l'islamisme turc. N. K.