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Pétrole : l'Arabie saoudite a perdu une bataille, mais pas la guerre
Une crise dans la péninsule arabique ferait sentir son onde de choc au-delà des marchés pétroliers
Publié dans La Tribune le 06 - 10 - 2016

Dans la guerre du pétrole que se livrent Américains et Saoudiens depuis deux ans, les premiers viennent de remporter une bataille. L'Arabie saoudite a finalement dû assouplir sa position au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) lors de la réunion d'Alger, le 28 septembre, en promettant une baisse de sa production pour soutenir des prix désespérément collés sous les 50 dollars le baril.
Dans la guerre du pétrole que se livrent Américains et Saoudiens depuis deux ans, les premiers viennent de remporter une bataille. L'Arabie saoudite a finalement dû assouplir sa position au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) lors de la réunion d'Alger, le 28 septembre, en promettant une baisse de sa production pour soutenir des prix désespérément collés sous les 50 dollars le baril.
Est-ce la fin de la politique des vannes ouvertes décidée par Riyad, fin 2014, pour enrayer la montée en puissance des pétroles de schiste américains ? L'accord de principe devra être décliné pays par pays avant la réunion semestrielle du cartel, le 30 novembre, à Vienne. Mais pour la première fois depuis la crise financière de 2008, il s'entend sur une baisse de sa production.
Forte de ses coûts d'extraction très bas, la compagnie Saudi Aramco, bras armé du royaume wahhabite, avait un objectif prioritaire fin 2014 : arrêter le flot d'huiles de schiste américaines qui commençait à noyer le marché, tout en contenant la Russie et l'Iran avides de nouvelles parts de marché. A Riyad, on constatait, incrédule, que les Etats-Unis avaient accru leur production de 1 million de barils par jour, chaque année depuis 2011. Un boom d'une ampleur et d'une rapidité inédite dans l'histoire pétrolière.
Un régime fragilisé
Les Saoudiens ont cru remporter une première victoire avec le repli de la production américaine d'environ un million de barils entre 2015 et 2016. Depuis 2014, une centaine de petites compagnies s'étaient déclarées en faillite, même si certaines continuaient à pomper du brut. Or Anadarko, EOG Resources, Apache, Continental Resources et d'autres ont bien résisté. Elles ont assaini leur bilan à la hache (160 000 licenciements) et baissé leur seuil de rentabilité à moins de 50 dollars le baril. Aujourd'hui, elles installent de nouvelles plates-formes de forage. Les oilmen ne sont pas morts, loin s'en faut !
Et le succès temporaire de l'Arabie saoudite a été une victoire à la Pyrrhus, acquise à un prix exorbitant. Sa stratégie des vannes ouvertes – imposée à certains membres de l'Opep moins puissants – a fait dévisser le cours du baril, tombé de 114 dollars en juin 2014 à 27 dollars en janvier 2016 avant de remonter autour de 45 dollars. Une saignée pour les finances publiques du royaume (et des autres producteurs). S'il a finalement plié en acceptant que l'ennemi historique iranien augmente légèrement sa production alors qu'il réduit la sienne, c'est qu'il y a le feu à la maison Saoud.
En 2015, Riyad a affiché un budget en déficit (98 milliards de dollars), qui se prolongera cette année. Le roi Salmane vient de décider une baisse du salaire des fonctionnaires. Cette mesure d'austérité, avec la réduction de subventions, risque de saper le fragile consensus sur lequel repose le régime. Le Fonds monétaire international n'est pas optimiste sur les perspectives économiques. Les analystes du Moyen-Orient commencent à craindre une déstabilisation du pays, qui reste le premier exportateur mondial d'or noir. Une crise politique, sociale ou dynastique dans la péninsule arabique ferait sentir son onde de choc bien au-delà des marchés pétroliers.
Les Saoudiens avaient-ils d'autre choix que de défendre leurs parts de marché ? Ils gardent un cuisant souvenir des années 1980, quand le contre-choc pétrolier avait suivi la révolution iranienne de 1979. En soutenant les cours par une réduction drastique de leur production, ils n'étaient pas parvenus à enrayer la chute des prix (moins de 10 dollars en juillet 1987), laissant partir en fumée les trois quarts de leurs revenus. «Nous ne paierons plus jamais pour les autres», se sont-ils juré en 2014.
«Tigre sans dents»
C'est l'Opep et l'Arabie saoudite qui n'ont pas pu jouer les régulateurs du marché face à la pression américaine. A Alger, sans doute ont-elles cherché à ne pas perdre une nouvelle fois la face après l'échec de la réunion de Doha (Qatar) en avril. Mais il n'est pas certain que Riyad respectera son engagement face au peu d'entrain des principaux producteurs du cartel (Irak et Iran) et de la Russie. Moscou s'est félicité de la «décision très positive» d'Alger… pour prévenir aussitôt qu'il ne réduira pas sa production, qui a atteint 11,2 millions de barils par jour fin septembre, un record depuis la fin de l'URSS.
Roi américain du pétrole de schiste à la tête de Continental Resources, Harold Hamm qualifiait l'Opep de «tigre sans dents» dès 2014. Ce n'est pas faux si, avec deux ans de recul, on constate la résilience et la flexibilité dont les pétroliers du Texas ou du Dakota ont su faire preuve dans la guerre des prix déclarée par les Saoudiens. Il est vrai que les années 1980 et 1990 sont loin. L'Amérique ne leur achète plus que 6% de sa consommation. Le partenariat stratégique «pétrole contre sécurité» scellé entre Washington et Riyad en 1945 sur le croiseur USS-Quincy, entre le président Roosevelt et le roi Ibn Saoud, était plus vital qu'aujourd'hui.
Mais M. Hamm va un peu vite en besogne. Les relations américano-saoudiennes se sont certes dégradées après l'accord sur le nucléaire iranien de juillet 2015 et le rééquilibrage de la politique de Barack Obama vers l'Asie-Pacifique. Et elles viennent de subir un nouveau choc avec le vote au Congrès d'une loi autorisant les victimes des attentats du 11 septembre 2001 à poursuivre l'Arabie saoudite en justice. C'est oublier que le royaume wahhabite, longtemps facteur d'équilibre sur le marché pétrolier (et au-delà), peut redevenir la «Banque centrale» de l'or noir. Et que le «pacte du Quincy» a encore sa raison d'être. Les oilmen ne sont pas morts, les cheikhs non plus.
J-M. B.
In lemonde.fr


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