La guerre du pétrole des années 1970 ne reviendra pas. Mais après des années d'accalmie, les tensions entre l'Organisation des pays exportateurs (Opep) et les consommateurs défendus par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) risquent de ressurgir en 2014. Au cœur du conflit en germe, ces questions : y a-t-il aujourd'hui trop d'or noir sur le marché ? L'Opep ne va-t-elle pas devoir resserrer les vannes dans les prochains mois pour maintenir le baril au-dessus de 100 dollars ? C'est visiblement ce que redoute l'AIE, créée après le premier choc pétrolier de 1973 pour veiller au bon approvisionnement du marché. La demande reste soutenue, souligne l'agence dans son rapport mensuel publié vendredi 14 février. Et elle a relevé, pour le troisième mois consécutif, sa prévision de consommation mondiale pour 2014. «Des prévisionnistes et des observateurs du marché ont averti depuis des mois d'une surabondance de pétrole et d'une prochaine chute des prix, s'inquiète-t-elle. Au contraire, les prix se sont entêtés à rester élevés», signe de la persistance de tensions sur l'offre, ajoutent ses experts. Il a même fallu «puiser profondément dans les stocks pour faire face à une demande étonnamment forte», note l'AIE, qui indique que, fin 2013, les réserves commerciales des pays développés étaient au plus bas depuis six ans. Il faudra pomper autant de brut, voire plus, pour «reconstituer des stocks exceptionnellement bas». Cette situation s'explique, selon l'AIE, par un rebond de la demande des pays riches de l'Organisation de coopération et de développement économiques (Ocde), notamment des Etats-Unis, et par les pertes de production en Irak et surtout en Libye. En 2014, le monde devrait ainsi brûler 92,6 millions de barils par jour, soit 1,4 million de plus qu'en 2013. Qu'y aura-t-il en face ? La production quotidienne des pays non-Opep – Etats-Unis en tête – va progresser de 2 millions de barils, près de deux fois la hausse de la consommation attendue, ce qui pourrait entraîner une forte baisse des prix du baril. Les regards se tournent désormais vers l'Opep, dont la prochaine réunion ministérielle n'est pas prévue avant le 11 juin, à Vienne. Doit-elle réduire sa production pour éviter la surproduction et soutenir les cours ? «Dans ce contexte, elle devra certainement l'ajuster à la baisse au moins jusqu'en 2015», note Guy Maisonnier, économiste à l'Institut français du pétrole énergies nouvelles (Ifpen) dans son Panorama 2014. Et qui fera le sacrifice, puisque l'Opep n'impose plus de quota pays par pays. «Dans ce contexte, répond M. Maisonnier, compte tenu des enjeux internes et régionaux, l'ajustement à la baisse de la production de l'Arabie saoudite paraît la stratégie la plus crédible, en ligne avec sa position historique de producteur d'appoint.» De nombreux experts pensent que Riyad peut baisser sa production quotidienne à 9 millions, voire 8 millions de barils pour faire de la place aux autres. Cela évitera de fortes tensions avec l'Irak et l'Iran, les deux puissances pétrolières de cet arc chiite qui inquiète tant le royaume wahhabite. Car Bagdad et Téhéran répètent qu'ils pomperont autant de pétrole que possible, faisant fi de la solidarité théoriquement de mise à l'Opep. Même si rien ne dit qu'ils pourront produire plus en 2014. L'Iran ne reviendra pas sur le marché avant d'avoir scrupuleusement respecté ses engagements sur le nucléaire, au mieux au second semestre et à des niveaux de production moindres qu'auparavant. L'Irak reste empêtré dans des difficultés techniques et sécuritaires qui plombent sa production. À eux deux, ils pourraient ajouter 1,3 million de barils à la production de l'Opep. Au total, la marge de l'organisation (production non consommée) pourrait atteindre 5,7 millions de barils en 2014 dans le meilleur des cas. Mais, plus que la production, ce sont les prix qui sont scrutés par plusieurs pays de l'Opep. Quand les Saoudiens ont besoin d'un baril à 80 dollars pour équilibrer leur budget, les Irakiens doivent le vendre plus de 110 dollars et les Iraniens 150 dollars. D'autres membres du cartel ont aussi un besoin vital de pétrodollars, comme l'Algérie et la Libye. L'influent ministre saoudien du pétrole, Ali Al-Nouaïmi, affirme que son pays ne s'inquiète pas de l'envolée de la production d'huiles de schiste, qui a pourtant permis aux Américains de produire, en octobre 2013, plus de brut qu'ils n'en ont importé. Mais l'émergence de ce concurrent aura tôt ou tard un effet sur la production de l'Opep (notamment saoudienne) et sur le prix d'équilibre du marché. J-M. B *in lemonde.fr