Les élections israéliennes portent en elles quelques significations nouvelles. Le choix de la droite, de la guerre et de la poursuite de la colonisation ne posait pas vraiment problème. Droite ou gauche israéliennes menaient la même politique de confiscations successives des terres accompagnées de promesses de fausses négociations. Un peu plus de terres ou un peu de négociations les distinguait sur la forme. Le résultat sur le terrain était invariablement le même. Le processus de paix enterrait invariablement les accords déjà signés et la droite au pouvoir récusait les accords signés par la gauche. La gauche au pouvoir demandait à revoir les promesses de la droite. Avec cette distribution des rôles qui consistait, pour la gauche, à faire miroiter un accord final avant de poser une dernière condition inacceptable pour les Palestiniens. Israël n'avait plus de partenaire pour la paix. L'alternance au pouvoir signifiait toujours la remise des compteurs à zéro. Cette dernière élection ne promet pas autre chose. Netanyahu s'est bien déclaré opposé à tout Etat palestinien. Avigdor Lieberman compte se débarrasser des Palestiniens de la Cisjordanie aussi bien que des Arabes israéliens. Tzipi Livni avait déjà annoncé que la création d'un Etat palestinien accomplirait leurs aspirations nationales, c'est-à-dire leur expulsion vers ce nouvel Etat. Le nettoyage ethnique en œuvre depuis 1948 connaîtrait une accélération sans précédent comme si les différents courants politiques israéliens se sentaient proches d'une solution finale. Celle de la spoliation de toute la terre palestinienne ou presque. Les propos racistes de Lieberman ne représentent rien de nouveau. Ben Gourion, Golda Meir, Sharon en ont proféré d'aussi graves par le passé ; inutile de revenir sur le bestiaire sioniste qui classe les Palestiniens entre cafards et sauterelles à écraser sans pitié. Le fait nouveau est que la presse occidentale a relevé ces propos en les traitant de racistes. Attitude plus lucide de ces médias. Pas du tout ou pas encore. Il se trouve simplement que Lieberman contrariait les buts immédiats de l'Union européenne et des Américains qui tentaient de désamorcer l'attraction des peuples arabes pour le radicalisme. Il ne s'agissait pas pour ces deux puissances de trouver une solution au problème palestinien mais de trouver une solution à l'influence et à l'aura des leaders radicaux comme Hassan Nasrallah ou Khaled Mechaal. Lieberman a fait ces déclarations au lendemain de la guerre d'extermination menée à Ghaza qui a bouleversé les consciences dans le monde entier. Netanyahu et Lieberman venaient de confirmer que cet épisode génocidaire ne relevait pas d'une erreur massive ou d'un aveuglement mais découlait de la logique de la colonisation israélienne. Ces consciences bouleversées redécouvraient cette vérité et cette réalité que toute colonisation était extermination, surtout les colonisations de peuplement. Réussie pour les Indiens d'Amérique aux Etats-Unis et au Canada, moins réussie dans quelques régions de l'Amérique latine ou en Australie. Jamais auparavant ne s'étaient opposés les intérêts ou les buts généraux des puissances occidentales tenues d'avoir une «politique pour la région» rendue encore plus urgente par la crise économique et les intérêts particuliers de leur colonie. C'est le remake de toutes les colonies confrontées à des résistances et à des mouvements de libération. Les puissances coloniales doivent à un moment ou un autre faire la balance entre leurs intérêts et ceux des quelques milliers de colons. La médiatisation des crimes israéliens a ajouté à l'acuité de cette première faille. Les opinions occidentales ne sont plus prêtes à avaler la couleuvre de la démocratie israélienne menacée par les terroristes du Hamas. Cela rend d'autant plus difficile les acrobaties des gouvernements occidentaux plus rapides à s'indigner d'un pétard palestinien que de la mort de centaines d'enfants ghazaouis. Ces mêmes gouvernements ne se sont d'ailleurs pas indignés des bombardements israéliens après le cessez-le-feu et des morts palestiniens ni de la confiscation de 170 hectares pour l'extension d'une colonie en Cisjordanie. A mon avis, les Israéliens ont senti venir ce moment. Si les grandes puissances découplent leurs intérêts de ceux des colons, elles vont à terme exiger d'Israël qu'il se plie à leurs besoins, à leurs projections. Mais l'instrument Israël qu'elles ont créé pour dominer le monde arabe a développé son autonomie, une existence propre, des besoins propres et des intérêts propres. Pour la première fois, ce pays a envoyé au Parlement des députés «capables» de résister aux pressions amicales des puissances qui l'ont créé, l'arment et le financent depuis 1948. De la lecture des dépêches, des analyses et des réactions à chaud de l'électorat se dégage l'impression dominante qu'on veut insérer Israël dans des projections qui ne sont les siennes. L'électeur a voté pour un gouvernement de guerre pour achever le «travail» à Ghaza, au Liban, en Syrie et contre l'Iran. Au besoin contre l'avis des Américains, visiblement engagés dans une nouvelle approche des questions stratégiques du Proche et de l'Extrême-Orient. L'effondrement des Travaillistes traduit ce sentiment israélien qu'il ne reste plus de temps à perdre en mises en scène, en négociations qui traînent en longueur, en faux-semblants. Il faut aller vite, spolier le plus de terre possible, réprimer le plus durement possible. Frankenstein échappe à ses créateurs. Dans la balance de ce temps ressenti comme très court, aucune hypothèse guerrière ne peut être exclue. Il faut mettre Américains et Européens devant des faits accomplis, le maximum de faits accomplis. Une agression contre le Liban, contre la Syrie, voire contre l'Iran doit être sur la table. L'équation est simplissime et les Israéliens la connaissent parfaitement. La création d'un Etat palestinien et le tracé de frontières signifient à terme la fin du sionisme qui ne s'est nourri et n'a pu mobiliser une partie des juifs et une grande partie de l'aide qui lui vient des milieux intégristes chrétiens que sur la base de la promesse biblique du Grand Israël, condition du retour du Messie. A quoi bon Israël si ce n'est l'Israël de la Bible ? De ce point de vue, le sionisme est en passe de devenir le pire ennemi de l'Etat israélien actuel. En le poussant à s'agrandir sans cesse conformément à la vision religieuse qui est à sa base, il heurte les plans dressés en secret ou ouvertement pour la région. Israël ne peut rester non plus sur une image de défaite. Car Israël a connu une grave défaite à Ghaza. Pas spécialement sur le plan militaire. Cela ne veut rien dire face à des groupes de résistants. Aucune armée n'a fait face à la machine de guerre sioniste. Mais les buts proclamés de détruire le Hamas n'ont pas été atteints. Pis, Israël négocie avec ce même Hamas, lui reconnaissant encore une présence significative. Israël a perdu quelque chose d'infiniment précieux : son image d'Etat démocratique encerclé de barbares. Cette image savamment construite de longue date s'est effondrée. Le patient travail des militants pro-palestiniens l'avait patiemment minée sans jamais réussir à la faire vaciller. Israël ne peut rester sur cette image de défaite morale et politique. Il n'a pas récupéré la réputation dissuasive de son armée, réputation perdue face aux militants du Hezbollah. Cette réputation est si importante pour ce pays que ses dirigeants ont tout fait pour réduire leur défaite sur le terrain libanais à des erreurs de conduite de la guerre. Quelle guerre et contre quelle armée ? Il leur était inconcevable de reconnaître la valeur de l'adversaire, la valeur de l'«autre», la valeur de ces «cafards» et de ces «sauterelles» d'Arabes. L'idée que le temps leur est compté rendra les dirigeants israéliens capables de toutes les aventures. Ou alors il faudrait qu'ils admettent une «raison» stratégique qui leur est supérieure et acceptent de ne plus être les maîtres des enjeux qui sous-tendent les politiques européennes et américaines au Moyen-Orient. Redevenir un sous-traitant comme le proposait Herzl à Lord Balfour, juste un poste avancé de l'Occident et non une puissance régionale actrice autonome du destin de toute la région. Cette hypothèse que les intérêts d'Israël sont entrés en contradiction avec ceux de l'Occident ne repose pas seulement sur l'examen des rapports israélo-arabes ou israélo-palestiniens. Un changement subreptice de vocabulaire et une proposition de dialogue avec l'Iran montrent que les Etats-Unis prennent une voie bien différente de celle de G. W. Bush. A la brutalité de l'ancienne administration semble succéder la subtilité stratégique de Zbigniew Brzezinski, le tombeur de l'URSS. La méthode semble être la même. Frapper l'adversaire dans sa poche en organisant la chute de ses revenus. Iran et Russie de Poutine n'en sortiront pas indemnes. Aux Iraniens, les USA peuvent proposer un dialogue sur fond de difficultés économiques qui les amènerait à partager un certain nombre de buts comme la stabilisation de l'Irak, un retrait américain sans guerre civile, une contribution à contenir Al Qaïda. Découpler l'Iran de la Russie et de la Chine. Découpler la Russie de l'Iran en allégeant les pressions militaires, en négociant au plus près le retrait du ridicule bouclier antimissile, en obtenant son aide pour la logistique des armées en Afghanistan. La Russie n'a déjà plus les moyens de sa politique. Prisonnière de l'oligarchie, elle n'a aucune solution à moyen terme de redevenir une puissance industrielle. Elle conserve des intérêts nationaux mais aucune possibilité de nuire à l'Europe et aux USA sans la Chine. La Russie n'est pas l'ennemi, voilà le message. Reste la Chine en toile de fond. La vraie question : la Chine ! Les premiers éléments visibles de la nouvelle approche américaine montrent l'abandon de la chimère de l'exportation de la «démocratie» à coups de canons. Zbigniew Brzezinski fait-il revenir les USA à leur vieille alliance avec les islamistes ? C'est plus que possible. Ses propos antérieurs montrent qu'il s'intéresse plus à la sécurité des routes énergétiques qu'à des niaiseries idéologiques. Peu lui importait que l'Afghanistan tombât dans des mains intégristes, par ailleurs amies de longue de date. L'intérêt était la revanche sur le Vietnam et la chute bien plus importante de l'URSS. Peu lui importera aujourd'hui de négocier un retour des talibans au pouvoir pourvu qu'ils lui assurent deux choses : des couloirs énergétiques sécurisés et une rupture avec Al Qaïda. Ses plus anciens amis et alliés comme les Saoudiens appliquent bien la charia et il peut laisser aux talibans l'extrême satisfaction religieuse de voiler les femmes ou de les lapider. Cette entente ancienne a déjà bien fonctionné. Il suffit juste de réussir le remariage. Les mauvaises mœurs sont un danger beaucoup plus urgent et important que toutes les dominations économiques et politiques étrangères. Mieux vaut mourir en bon musulman dominé qu'en mauvais musulman libre. Tout le secret de l'alliance des islamistes avec l'Amérique est là. L'Afghanistan en reste la preuve malgré Bush. Le centre d'intérêt des USA, c'est désormais l'Extrême-Orient. Ils doivent s'y consacrer en réglant la question centrale du Proche-Orient, la question palestinienne. Ils ont défini leur nouvel ennemi dans la région : le radicalisme. C'est un changement du tout au tout. En abandonnant la notion d'extrémisme, ils vont déclasser les islamistes comme adversaires. Les radicaux peuvent être des non religieux. Ils sont souvent plutôt non religieux. Ils vont de Chavez à Nasrallah. Leur caractéristique est d'avoir la nation et le sol national pour terrain de lutte. Pour contrer ce renouveau du nationalisme arabe, les USA sont prêts à jouer l'islam. L'islam contre le monde arabe, plus précisément contre les tendances patriotiques en ascension. Ni les USA ni l'Europe ne peuvent réaliser le plan en laissant un pion fou le déranger. Mais Israël est un pion suffisamment fou pour le faire. Il essayera de toutes ses forces. Les élections de ce février en sont une preuve suffisante. Elles sont un mandat. M. B.