Mahboub Bati, alias Safar Bati. De son vrai nom Mohamed El-Mahboub Safar Bati, né le 17 novembre 1919 à Médéa et décédé le 21 février 2000 à Alger. Plutôt que la date de sa mort, c'est celle de sa naissance que la Direction de la culture de la wilaya de Médéa a choisie pour lui rendre un hommage posthume en 2016. Honneur au fantastique mélomane, musicien, mélodiste et serial-compositeur qui a révolutionné la musique et la chanson algérienne. Un artiste protéiforme, polychrome et polyphonique, qui a découvert et lancé de nombreux talents durant un demi-siècle de vie au service du tarab algérien. Mahboub Bati est surtout un novateur et un avant-gardiste dans le domaine du chaâbi. Autodidacte dans sa vie d'homme, son engouement pour la musique l'orienta assez vite vers un musicien juif de sa ville natale qui lui apprit le solfège. Formation artistique accomplie plus tard au sein de la troupe théâtrale de Mahieddine Bachtarzi et auprès des grands ténors du chaâbi et de l'andalou, précisément et dans l'ordre, El Hadj M'hamed El Anka, Hadj M'rizek, Khelifa Belkacem, Mohamed et Abderrazak Fekhardji. Sans oublier son passage à la radio. Mais c'est au lendemain de l'Indépendance que le compositeur, le grand chef d'orchestre est né à la création et à l'innovation qui casse les codes sacrées du chaâbi et du melhoun. Il le fit d'abord avec le chanteur kabyle de la Casbah d'Alger Abderrahmene Aziz dont la voix de miel chaud se prêtait bien à la mélodie. Et ce fut l'émouvante «à Nedjma». Vinrent ensuite les années entre 1966 et 1978, son âge d'or artistique, avec El Hachemi Guerouabi, Amar Ezzahi, Boudjemaâ El Ankiss, Amar El Achab, Seloua, Abdelkader Chaou, Nadia Benyoucef et Nora. Et ce furent les tubes de légendes que sont «El Bareh», «Goulou ya ness», «Rah el ghali rah», «Oh ya entiya», «Sali trach qalbi», «Dik échemâa », «Nest'hal el kiya» ou encore «Jah rabbi ya jirani» et tant d'autres. Cornemusier, saxophoniste, clarinettiste, luthiste, guitariste et même artisan luthier, Mahboub Bati, cet inventeur de sons, de tons et de rythmes, mixera avec bonheur variété occidentale et moderne, musique kabyle, chaâbi et malhoun. Il jouera avec cheikh Noureddine et composera même la chanson kabyle, avant de s'intéresser à la musique arabe, au maqam à proprement parler. Avec la composition, le déclic avait lieu en fait en… France ! Tout a commencé donc à l'Opéra de Paris, le 4 décembre 1954, lors d'un grand gala de solidarité au lendemain du séisme ravageur d'El Asnam. Et ce fut d'abord la rencontre avec Abderrahmane Aziz qui produira «Ya Nedjma» puis «Yaddek ala khaddek» reprises par Mohamed Lamari, le Gilbert Bécaud algérois. Et la suite sera lors Nora, Guerouabi Ezzahi et tous les autres déjà cités. Ces chanteurs verront leurs carrières mises carrément sur orbite grâce à l'effervescence créative de Mahboub Bati qui donnera une toute autre trajectoire à leur itinéraire, notamment les chanteurs de chaâbi comme Guerouabi, El Ankis et Ezzahi. On peut même dire qu'il les a inventés ! Pour Guerouabi, sa carrière a été lancée comme une fusée grâce à «El Bareh» qu'il avait pourtant dédaignée au départ, au motif que son ton nostalgique n'était pas fait pour un jeune dandy comme lui ! Mais ce succès foudroyant de Mahboub Bati avec des artistes moins classiques et traditionnalistes que leurs aînés dans le chaâbi eut toutefois son revers de la médaille : la chansonnette chaâbie impulsée par le génial mélodiste fut inévitablement perçue comme un sacrilège par les puristes et autres gardiens du temple du melhoun et de la çanâa. Débat tout de même classique entre conservateurs et réformistes. Même El Hadj M'hamed El Anka, en son temps d'étoile montante, avait bousculé lui aussi les choses : ses détracteurs l'avaient surnommé «el herras», c'est-à-dire le démolisseur de codes ! Ce qui n'a pas empêché le Cardinal d'entrer dans la légende comme une icône et une légende infinie du chaâbi. Ce qui n'empêche pas non plus Mahboub Bati d'être le musicien le plus inventif et le plus prolifique de toute l'histoire de la musique et de la chanson algériennes. Alors, El Anka pour l'éternité et Mahboub pour toujours ! N. K.