Des membres des délégations internationales à la COP22 jouaient avec un globe terrestre géant, le 18 novembre 2016 à Marrakech, au Maroc. Les négociations, tournées vers la mise en œuvre de l'Accord de Paris, adopté l'an passé, se sont achevées vendredi soir. Après la célébration de la 21e Conférence des parties sur le climat (COP21), sous l'égide de l'ONU à Paris, son accord adopté en décembre et ses grandes envolées lyriques, la COP22, qui s'est achevée ce vendredi soir à Marrakech, ne pouvait qu'avoir un rôle ingrat. «Paris devait concevoir la machine, et Marrakech, se retrousser les manches et mettre les mains dans le cambouis», définit Cassie Flynn, conseillère du changement climatique au Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Technique parce que la mise en œuvre de l'Accord de Paris (qui vise à contenir la hausse des températures mondiales sous les 2 degrés par rapport à l'ère préindustrielle), peu lisible et sans relief, elle a en plus dû faire le dos rond après l'élection de Donald Trump. L'ombre portée du milliardaire climatosceptique, qui avait menacé «d'annuler» le deal scellé au Bourget, il y a un an, n'a laissé personne indifférent. «Il est indéniable que l'élection américaine a eu des répercussions dans les salles de négociation», reconnaît Paula Caballera, directrice du Programme climat au think tank américain World Resources Institute (WRI). «L'Accord de Paris est irréversible» Teresa Ribera, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), salue tout de même la «réaction de maturité» des pays, qui ont continué à négocier et «à avancer» sur certains sujets. «Après l'élection de Bush, en 2000 (là aussi en pleine COP; quelques mois plus tard, il avait fait sortir les Etats-Unis du Protocole de Kyoto, mettant un coup d'arrêt à l'action climatique, ndlr), tout le monde était obsédé, on ne parlait que de ça», raconte Ribera, ancienne secrétaire d'Etat au Changement climatique du gouvernement espagnol. «Aucun pays ne s'est écarté de ses engagements dans l'action climatique depuis l'élection, se rassure Paula Caballera, du WRI. Au contraire, depuis, l'Australie, le Japon, le Pakistan, l'Italie et d'autres ont ratifié l'Accord de Paris.» L'élément de langage de la semaine a, sans conteste, été «irréversibilité». «L'Accord de Paris est irréversible», ont martelé, dans le désordre et dans toutes les langues, François Hollande, le secrétaire d'Etat américain John Kerry, la ministre de l'Environnement Ségolène Royal, son homologue marocaine, le président de la COP22 Salaheddine Mezouar… Certes, l'accord est entré en vigueur début novembre, mais sans mécanismes de sanction, il repose essentiellement sur le bon vouloir des Etats à respecter leurs engagements en termes de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. Et sur un subtil équilibre entre pays, du Nord ou du Sud, qui se tiennent par la barbichette dans ces négociations. Une sortie des Etats-Unis, première puissance économique mondiale, deuxième émetteur de GES, et bailleur de fonds de premier ordre, de l'Accord de Paris, voire de la Convention des Nations unies sur le climat (Ccnucc), déstabiliserait fortement l'édifice. «C'est plus une COP de la temporisation que de l'action, qualifie Jean-Marc Nollet, député écologiste et membre de la délégation belge à Marrakech. Les principaux sujets, comme l'agriculture, sont renvoyés à plus tard. Mais l'important, c'est de voir que l'Accord de Paris reste le référentiel. Ce n'est pas une année de perdue, on a pu voir que des choses se concrétisent dans les plans nationaux.» «On sonne la fin de la récré en 2018» Les délégués se sont mis d'accord sur 2018 comme date de finalisation des règles de mise en œuvre de l'Accord de Paris, enjeu principal de cette COP22. «On sonne la fin de la récré en 2018, avec en plus un premier bilan des actions», a détaillé Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique pour la France et «championne du climat» des Nations unies. Le texte, entré en vigueur début novembre de façon anticipée, est en effet un cadre global qui doit être traduit dans les faits. «La feuille de route est assez claire pour les deux prochaines années», décrit le négociateur malien Seyni Nafo, chef de file des pays africains dans la négociation. Certains groupes de pays, comme les PMA (Pays les moins avancés, soit 48 nations), poussaient pour une adoption de ces règles un an plus tôt, en 2017. Mais c'est donc la COP24 qui sonnera l'heure de vérité de l'Accord de Paris. A cette occasion également, les Etats devront présenter des plans climat nationaux, et être plus ambitieux dans leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour l'instant insuffisants. Le texte vise un monde «bien en deçà de 2°C», voire 1,5°C d'augmentation par rapport à l'ère préindustrielle. Sans les contributions, le statu quo nous mènerait à +5°C. Avec les efforts sur la table, les 189 contributions, on serait autour de +3°C, plus selon certaines estimations. «Il faut transformer les contributions des Etats en politiques publiques, en plans d'investissement», martèle Seyni Nafo. Le financement, nerf de la guerre contre le changement climatique Autre sujet central, le financement, nerf de la guerre climatique, et surtout celui de l'adaptation des pays en développement. Au nom de la justice climatique, les pays développés, pollueurs historiques, se sont engagés en 2009, à Copenhague, à verser 100 milliards de dollars par an d'ici 2020 aux pays en développement, pour les aider à faire face aux impacts. Cette question clé a beaucoup animé les débats cette semaine. A part quelques engagements (81 millions de dollars de nouvelles contributions au Fonds pour l'adaptation promis par l'Allemagne, l'Italie, la Suède et la Belgique), on est encore loin du compte. Outre augmenter les sommes sur la table, les pays du Sud veulent, comme il est écrit noir sur blanc dans l'Accord de Paris, une égalité dans la répartition entre financements pour l'adaptation, et financements pour l'atténuation, c'est-à-dire la baisse des émissions de gaz à effet de serre (les premiers allant plutôt aux pays les moins développés, très peu émetteurs et très vulnérables). Aujourd'hui, seulement 16% des financements climat sont consacrés à l'adaptation. «La plupart des pays développés sont arrivés à Marrakech les mains vides, sans annonces concrètes ni financements, déplore Lucile Dufour, responsable des politiques internationales au RAC, le Réseau Action Climat. Qui regrette également que les gouvernements s'en remettent aux acteurs non-étatiques, entreprises, collectivités et société civile. C'est, entre autres, ce sujet qui a fait traîner les discussions, vendredi soir, retardant la clôture de la COP22. Evoquant une «nouvelle ère terrifiante à cause du changement climatique», le Premier ministre des Fidji, Frank Bainimarama, a critiqué l'insuffisance de financements consacrés à l'adaptation, «véritable déséquilibre et injustice flagrante». L'an prochain, les îles Fidji prendront la présidence de la COP23. Faute d'infrastructures et de moyens suffisants, elle se déroulera à Bonn, en Allemagne, siège du secrétariat de la Ccnucc. I. H. In libération.fr