Toumi, ce nom répandu au Maghreb, beaucoup d'Algériens le portent. Au strict sens étymologique, il renvoie au nom arabe de jumeau. Mais dans le monde de l'art et de la littérature algériens, il évoque de prime abord Samir Toumi, Algérois de Bologhine, polytechnicien et compositeur de mots d'amour et de mélancolie pour sa ville à laquelle il a dédié Le Cri, ode de lumières et de douleurs. Oh il y a aussi l'autre Samir Toumi, le chanteur reproducteur de titres de chaabi et d'andalou, mais pour le chroniqueur, Toumi, c'est surtout la Casbah d'Alger et plus singulièrement, Mustapha, le fils de Bir Djebbah, la «fontaine de l'apiculteur», l'artiste et homme de culture qui n'a pas de jumeau. Mais pourquoi donc évoquer Mustapha Toumi, ici et maintenant, alors que l'actualité artistique et littéraire du moment n'offrait pas l'occasion de le rappeler au souvenir des mélomanes et des amoureux de la poésie populaire algéroise ? Mais toutes les raisons sont bonnes pour évoquer, à tout moment de la vie, le barde de la Casbah et son look de gourou hindou. Et l'élément déclencheur du souvenir fut un élan de nostalgie algéroise qui mena le chroniqueur dans un ancien café chantant d'Alger. A l'intérieur, la voix extatique de Hadj Mhammed El Anka ajoutait un peu plus d'envoûtement à la magie du lieu. Ecouter alors Sobhan Allah Ya Ltif, poème-testament autant qu'expression poétique de l'identité qassbaouie de Mustapha Toumi et de El Anka lui-même, fut alors douce mais forte incitation à chroniquer sur le gourou Toumi. Justement, gourou, qui signifie en sanskrit le «précepteur», le «guide spirituel», le «maître», désigne, en Inde, un enseignant reconnu de la religion, la spiritualité, la danse, la musique, la poésie ou de tout autre domaine de connaissance. Mustapha Toumi, c'est donc l'homme de la polychromie, la polymorphie et la polyphonie. Parolier, inspiré par les muses de Bir Djebbah et Sidi Ramdane, il a écrit pour les plus grands : Mohamed Lamari, Saloua, Nadia, Warda El Djazaria et Myriam Makeba, entre autres. Mais c'est surtout pour El Hadj Mhamed El Anka et à sa demande, qu'il libéra son génie poétique, en signant le monumental Sobhan Alla Ya Eltif. C'était en 1970 dans un Alger de douceur de vivre où les terrasses de la Casbah et des immeubles haussmanniens servaient de skéné et de proscénium à l'expression du chaabi. Et lorsqu'on parle du chaabi, on évoque nécessairement le melhun, la poésie complexe et subtile des grands maîtres du Maroc et de l'Ouest algériens que sont notamment les marocains Abdelaziz El Moghraoui, Moulay Kaddour El Aalami, Mohamed Benslimane El Fassi ou les Algériens Lakehal Benkhlouf, Mostefa Ben Brahim, Mohamed Bna Msayeb et Cheikh Mohamed Ben Smaïl. Sobhan Allah Ya Ltif, est l'œuvre «toumienne» par excellence, qui charme tant les esprits par sa richesse métaphorique. Poème complété par une autre chanson Ki lyoum kizman, qui se voulait une réponse à ses contempteurs qui lui déniaient la paternité de Sobhan Allah ya Ltif, l'attribuant par jalousie perfide à Mostefa Benbrahim. Mais seulement poète Mustapha Toumi ? Erudit, homme de théâtre, versificateur perpétuellement accroché à ses rimes, il fut aussi un prosateur souvent dans sa bonne veine, comme en témoigne Alger n'est plus Alger, un sublime texte de 1967 sur sa ville natale. L'art et la culture, Mustapha Toumi y est venu précocement. Adolescent, il arpentait déjà les planches et fréquentaient les studios radiophoniques et les colonnes de la presse (Alger-Républicain) pour y jouer des pièces de théâtre, en arabe, en kabyle et en français, et publier des poèmes. Et ce furent aussi des rencontres de stimulation et d'émulation : Abder Isker, Mustapha Kateb, Habib Réda, Mohamed Touri, Djelloul Bachedjerah, Mustapha Badie, Mohammed Hilmi, Nouria et Keltoum. Mais comment ne pas avoir alors la fibre artistique avec un père coiffeur et ancien officier baroudeur dans la fameuse division blindée Leclerc (1939-1945), qui avait dans son «Mouloudia Salon» algérois, rue du Vieux Palais, une guitare ? Puis vinrent les années du militantisme nationaliste, sous la bannière du PPA-MTLD et ensuite au sein du FLN-ALN. Après un bref passage à l'ORTF à Paris, il rejoint Tunis, avec l'idée de créer une radio pour la Révolution algérienne en marche. Mais Saâd Dahlab, et Abdelhafid Boussouf l'envoyèrent à Nador au Maroc où existait déjà une structure radiophonique, et où officiaient déjà Abdelmadjid Meziane et Aïssa Messaoudi. Et après eux, Mohamed Merzoug, Abdelhamid Temmar et Daho Ould Kablia ministres de l'Algérie indépendante plus tard. Après l'Indépendance, ce furent les années du journalisme dans Alger-Républicain et Alger Ce Soir où il compagnonna avec Mohamed Boudia, Serge Michel et Malek Haddad. Puis ce furent les mois de la clandestinité politique dans l'ORP, l'Organisation révolutionnaire et patriotique, avec les Mohamed Harbi, Hocine Zahouane, Abdelhamid Benzine, Sadek Hadjeres et Youcef Fathallah. Bien après, et un temps conseiller technique de Mohamed Seddik Benyahia, ministre de l'Information et de la Culture, il revient à sa passion pour les vers pour écrire une anthologie poétique et notamment la sublime chanson Africa pour Myriam Makéba et Guevara pour Mohamed Lamari. Et, au cinéma, le scénario, les dialogues et la musique du film Echebka de Ghaouti Bendéddouche, avec l'émouvante complainte Rayha ouine. L'artiste, le poète, le parolier, le musicien, le compositeur, était aussi féru de connaissances scientifiques, lui qui décida alors de reprendre des études universitaires de psychologie clinique et flirtait aussi avec la parapsychologie et la perception extra sensorielle, tout en contribuant à la création du supplément culturel d'El Moudjahid. Ainsi décliné, c'est à dire sommairement, le parcours œcuménique mais étonnamment fécond de ce fils de Bir Djebbah, vous pousse à dire, un brin admiratif : «Sobhan Alla Ya ltif» ! N. K.