Mustapha Toumi, artiste algérien aux multiples talents, poète, homme de théâtre, peintre, compositeur, parolier de la chanson culte, interprétée pas le maître el-Hadj M'hamed El Anka, «Sobhan Allah YaEltif», est décédé dans la nuit de mardi au mercredi à l'hôpital Mustapha-Pacha des suites d'une longue maladie, ont annoncé ses proches à l'APS. L'information a été annoncée dès les première heures de la matinée d'hier, sur les ondes des différentes chaînes de la Radio nationale, qui sont revenues sur le riche parcours de cet homme hors du commun, qui a marque l'histoire de la culture algérienne d'une empreinte indélébile. Originaire de Bordj Menaïel, né le 14 juillet 1937 à Bir Djebbah, le mythique quartier de la Casbah, véritable vivier de grands artistes algériens, Mustapha Toumi, s'intéresse dès l'enfance, dans les dédales de l'antique citadelle, à l'art et la poésie, source d'éveil et d'épanouissement. Il se met à l'écriture de la poésie dès l'âge de 14 ans, qui sera d'ailleurs publiée sur le journal patriotique Alger républicain. Au début des années cinquante, il fait ses premiers pas sur les planches dans la pièce El Kahena où il donne la réplique à deux monstres sacrés du quatrième art algérien, en l'occurrence Mustapha Kateb et Mahieddine Bachtarzi. A la même époque, il aiguise sa plume de dramaturge pour écrire sa première pièce El Kerkabouche, jouée à l'occasion de circoncisions d'enfants nécessiteux. Cette première pièce sera suivie d'une dizaine d'autres qui s'articuleront principalement autour des préoccupations sociales des Algériens. Un sujet qui restera cher au cœur à la verve de Mustapha Toumi, tout au long de sa vie, convaincu que l'art avec ses différentes expressions est le meilleur vecteur pour porter les revendications, provoquer l'éveil du peuple et révolutionner les mentalités. Fort de son esprit libre et indépendant, c'est tout naturellement qu'il rejoint les rangs de l'Armée de libération nationale dès l'âge de 17 ans, notamment en intégrant «La voix de l'Algérie libre et combattante», la radio clandestine du Front, et devient responsable de l'Eclair en 1960, revue du service des transmissions de l'ALN créée à Oujda. Après l'indépendance, il sera désigné durant quelques temps à la tête de la direction des affaires culturelles, au ministère de l'Information de l'époque. Il a également brillamment relevé le défi d'être le chef d'orchestre de l'organisation du festival culturel Panafricain en 1969. En tant qu'artiste il marquera cette mythique manifestation en écrivant à Myriam Makeba la célèbre chanson Ifriqya, l'hymne de ce festival. En tant que parolier, Mustapha Toumi est passé à la postérité en écrivant pour le grand nom de la chanson Chaâbi, M'hamed El Anka, le chef d'œuvre populaire Sobhan Allah Yaltif, qui décrit avec amertume la déchéance d'une société qui a perdu ses repères, dont les valeurs vraies ont été ravagées par l'arrivisme qui a marqué plusieurs générations d'Algériens et qui reste d'une brulante actualité. Dans cette chanson il avait notamment écris «Je n'ai pas appris l'art à l'école, je ne suis pas un lettré; Mais c'est à l'école de la faim et de la misère que j'ai forgé mon art; Mon pain c'est du bon pain fait avec de la farine, qui n'est pas emprunté et tout le monde le sait, tout le monde peut en témoigner». Il a aussi été le parolier des plus grands succès de Mohamed Lamari, ainsi que d'autres chansons de Ouarda El-Djazaïria, Saloua et d'autres grands noms de la chanson algérienne. Une des plus grandes causes qu'il a toujours défendue c'est le patrimoine musical et poétique populaire. A cet effet, dès les premières années de l'indépendance il s'est attelé à l'organisation du 1er festival dédié a cet art à part entière. Conscient de l'importance de ce riche patrimoine identitaire oral, et propos de son penchant pour la poésie populaire, Mustapha Toumi avait déclaré : «Le lieu où je suis né et ai grandi, c'est-à-dire à la Casbah, s'est avéré favorable à mon apprentissage de la culture populaire. Mon environnement social fait de différents langages comme l'arabe dialectal et le kabyle, m'a habitué très jeune à la poésie populaire.» Autodidacte à la base, Mustapha Toumi a tenu à reprendre le banc de l'université pour reprendre des études en psychologie clinique, explorant aussi le domaine de la parapsychologie et les phénomènes de la perception extra sensorielle. En parallèle à ses études il avait contribué à créer le supplément culturel d'El Moudjahid qui est devenu une référence dans la vie culturelle algérienne de l'époque. Il a également collaboré à plusieurs journaux et revues. Lors d'un hommage qui lui avait été rendu au Théâtre national algérien, Nasreddine Baghdadi, membre de l'association culturelle Djazaïr El-Assima, initiatrice de cette manifestation, avait souligné à propos de l'aspect pluridisciplinaire de Mustapha Toumi: «Très jeune, il a manifesté des prédispositions pour la recherche et la création, C'est un homme qui a touché à tous les domaines de l'art et de la culture, ce qui fait de lui un homme de lettres et un intellectuel accompli..» C'est dans cet esprit, qu'il s'est également attelé à des recherches plus scientifiques, en menant des recherches en linguistique comparée, notamment afin de relever les correspondances entre les langues sémitiques et les langues indo-européennes. Mustapha Toumi avait également une passion pour la peinture, à ce sujet Imane, sa fille cadette, a confié hier à l'APS : «Mon père peignait des toiles qu'il conservait jalousement à la maison et n'avait jamais pensé à les vendre. Il ne les a jamais exposées.» Elle a également ajouté qu'il s'apprêtait même à publier un ouvrage sur l'histoire et les origines de la langue amazigh avant que la mort ne l'emporte, un projet qui lui tenait à cœur depuis de longues années et sur lequel il travaillait ardument. Alors que plusieurs hommages lui ont été rendus ces dernières années, à Alger, Tizi Ouzou et d'autres wilayas, un ultime hommage lui sera rendu, aujourd'hui dans la matinée, au Palais de la culture, par ses pairs et amis qui l'accompagneront a sa dernière demeure, au cimetière d'El Kettar, où il sera inhumé. Mustapha Toumi qui avait écrit pour le phénix du Châabi : «Le lion même mort reste un lion», sa longue barbe blanche négligée, sa paire de lunettes toujours vissée sur le nez où pétillaient sans cesse des yeux étincelants de passion, ses rugissements pour défendre le patrimoine national et le peuple algérien laisseront un vide incommensurable. Adieu l'artiste