L'automobile est une industrie phare qui a amplifié les bases de l'industrialisation, assuré le plein-emploi et contribué de manière décisive à la prospérité des pays ayant misé massivement sur elle comme à titre d'exemple les Etats-Unis, la France, l'Allemagne ou encore le Japon et les pays émergeants d'Asie. L'Algérie a tenté, depuis l'indépendance et à plusieurs reprises, de promouvoir l'industrie automobile, mais sans succès. Pourtant, le pays n'est pas dépourvu d'atouts dans ce domaine : une position géostratégique favorable, au carrefour de l'Europe, de l'Afrique et du Moyen-Orient, des ressources naturelles et humaines appréciables et un marché en croissance continue. L'Algérie aurait tout à gagner si elle réussit ce challenge. Pour revenir à son histoire avec l'automobile, il y a lieu de commencer par la présence, avant l'indépendance, d'une chaîne de montage de voitures du constructeur Renault, implantée dans la banlieue Est d'Alger. Cet atelier de montage, de capacité modeste, fabriquait avec les pièces importées de France, les modèles du constructeur de l'époque (la R16 et la R4 entre autres). A l'indépendance, la firme Renault a été contrainte de fermer après sa nationalisation. Et l'Etat qui venait de retrouver sa souveraineté, a décidé par le biais du ministère de l'Industrie et de l'Energie de confier à la Sonacome, la société nationale des industries mécaniques, le monopole de l'importation de véhicules. L'ère de l'importation En parallèle, l'Etat, nouveau et sans expérience, s'est tourné vers ce qui était appelé à l'époque «l'industrie industrialisante» et il a intégré dans des projets de développement ceux de l'industrie automobile. Il était question de la création d'un complexe de véhicules industriels à Rouïba et d'un autre à Tiaret. Le premier a vu le jour, même s'il a connu une concrétisation laborieuse et coûteuse. Le second par contre n'a jamais été concrétisé. A l'époque, les appels de l'Etat aux constructeurs automobile n'ont pas trouvé échos car ces derniers refusaient de répondre favorablement aux conditions émises, à savoir le transfert de technologies contre des parts du marché algérien. Les quelques firmes étrangères qui ont accepté ces règles ont permis la réalisation de certains projets comme une usine de camions, de moteurs, de tracteurs agricoles…, mais la réalisation d'une usine intégrée de voitures particulières n'avait point vue le jour. Face à cet échec, l'Etat a continué d'importer des véhicules. Auprès de la défunte Sonacome, les citoyens pouvaient acquérir en monnaie locale des véhicules moyennant une attente de plusieurs années. Cependant, l'acquéreur ne pouvait choisir ni la marque ni le type, encore moins la couleur du véhicule. Les plus heureux ont été gratifiés par l'arrivée des légendaires véhicules asiatiques assemblés sur des bateaux. Le prix des Honda Civic et Wagon oscillait entre 55 000 DA et 60 000 DA. Les citoyens avaient acquis des marques italienne, Fiat Ritmo, ou yougoslave, Zastava. C'était la boîte à Pandore, en quelque sorte. Le monopole de l'entreprise nationale chargée de l'importation, a eu pour effet l'accumulation des demandes, créant ainsi des situations ingérables ouvrant la voie aux passe-droits et à la frustration. L'entreprise étatique achetait et distribuait les véhicules selon un ordre de priorité, où le simple citoyen se retrouvait en bas de l'échelle, après les fonctionnaires et les chauffeurs de taxi. Ce type d'organisation, digne des économies dirigées, à défaut d'arranger les choses, a fini par les compliquer davantage. Puis, au début de la crise économique, en 1983, l'Etat algérien a renoncé à ce procédé et permettait, grâce à une Autorisation d'importation de véhicule (AIV), à tout citoyen algérien d'importer un véhicule moyennant une taxe substantielle allant de 50% à 300% de la valeur du véhicule, à condition que le véhicule ait moins de 3 ans d'âge. Seuls en étaient dispensés les anciens moudjahidine, les veuves de Martyrs et les émigrés qui rentraient définitivement au pays (déménagement). Cette mesure a été révisée dans le sens de la suppression de ce droit aux veuves des Martyrs. L'importation de véhicules de moins de trois années, elle non plus, n'a pas fait long feu. Les potentiels acquéreurs de véhicules automobiles s'étaient rabattus sur le marché de l'occasion au marché de Tidjelabine. Et ce n'est que lorsque le pays a amorcé sa mutation vers l'économie de marché que les concessionnaires automobiles ont été autorisés à s'installer. Une relation directe s'est alors instaurée entre concessionnaires et clients. Dans la précipitation, des agréments ont été accordés à des concessionnaires et à des filiales de grandes marques. Le marché de l'automobile a connu alors une anarchie indescriptible. Le pays s'est transformé en réceptacle d'objets roulants non identifiés. En plus des voitures chinoises, qui, de l'aveu des malheureux propriétaires, se sont transformées en véritable «corbillards roulants», les filiales des grandes marques se sont mises de la partie en inventant le concept de véhicules adaptés aux pays émergents, qui ne répondent ni aux spécifications techniques ni aux normes des pays d'origines. Durant cette période, il n'y avait ni service après-vente ni pièce de rechange d'origine. Il fallait recourir au marché noir. Réorganisation du marché L'Etat était face l'obligation de mettre de l'ordre dans ce marché dont le contrôle lui échappait totalement. D'où la promulgation d'un décret exécutif qui fixe un certain nombre de règles à suivre, de façon à sauvegarder les intérêts du consommateur et ceux des concessionnaires. Des garanties sont offertes au client, à l'instar de l'homologation technique des véhicules mis sur le marché, de la garantie du service après-vente et de la fixation à 10% du prix du véhicule de l'avance fournie par le consommateur algérien. Vers la fin des années 1980, de laborieuses négociations avec le constructeur italien Fiat ont débouché sur un accord pour la construction d'une usine de véhicules particuliers à Tiaret sans les exigences d'une intégration immédiate de la fabrication. Mais le projet n'a jamais vu le jour et la première voiture algérienne «Fatia» ne roulera jamais sur la route. Ce projet sera, pour rappel, enterré officiellement en juillet 2007. Trois ans auparavant, El Hachemi Djaâboub, alors ministre de l'Industrie, annonçait fièrement que «la première fournée de véhicules de tourisme fabriqués en Algérie sortira des usines Fatia avant fin 2004». La mort lente du projet Fatia a débuté en 1994. Selon les médias de l'époque, dès 1993, l'usine était prête et la production devait démarrer quelques mois après. Les pièces devaient toutefois être acheminées du port de Mostaganem vers Tiaret. Les Italiens avaient, devant la menace terroriste qui multipliait ses attaques contre les intérêts étrangers, demandé une escorte des forces de sécurité pour les convois transportant les équipements de Fatia. A cette demande, le gouvernement a hésité pendant plusieurs semaines, avant de faire savoir aux Italiens que la réponse est négative. Selon la même source, les Italiens, après plusieurs mois de négociations infructueuses avec le gouvernement, ont décidé, en 1994, d'abandonner le projet. Fatia agonisait alors durant de longues années avant d'être achevée et enterrée définitivement en 2007. Pour le citoyen, l'attente a aussi été longue et l'épilogue a été fâcheux. Le rêve s'est avéré une simple illusion. L'abandon de ce projet a profité aux constructeurs étrangers, notamment français et asiatiques. Les Algériens ont continué à importer massivement des véhicules depuis la France, avant que des concessionnaires étrangers ne s'implantent sur place pour y vendre leurs produits sans investir un centime ni dans la production ni dans le transfert de technologies. Une nouvelle décennie va suivre sans qu'aucune usine de fabrication de véhicules n'ait vu le jour. Pis, le volume des importations de véhicules qui était de l'ordre de 20 milliards de dollars par an au début des années 2000, a dépassé 50 milliards en 2012. L'importation de voitures de tourisme, négligeable au début de la décennie, a dépassé 500 000 véhicules en 2012, avec un coût d'importation estimé à 5 milliards de dollars et la présence sur le marché algérien de la plupart des constructeurs mondiaux. Durant cette décennie, l'Algérie était financièrement bien lotie en raison de l'augmentation substantielle des prix de l'or noir. Elle a donc mis en veilleuse sa politique en matière d'investissement dans l'industrie automobile et n'a imposé aucune contrainte, ni devoir aux importateurs de véhicules neufs, en matière d'investissement productif et de création d'emplois. Au contraire, le gouvernement a même accordé aux concessionnaires automobiles qui l'ont exigée, l'interdiction de l'importation de véhicules d'occasion de moins de trois ans, sous prétexte que ce type de véhicule est peu sûr et polluant. Cette mesure a eu comme conséquence immédiate un redressement des prix de 20 à 30% des véhicules neufs. Il y a quelques années et avec le début de la crise économique mondiale due à la chute des prix du pétrole, l'Algérie a décidé de revoir sa politique d'importation de véhicules. Une première instruction est donnée pour en finir avec l'importation de véhicules qui ne répondent pas aux critères de sécurité. Mais pas seulement. Les concessionnaires indélicats risquaient aussi la radiation. Le gouvernement décide également d'interdire aux concessionnaires d'importer pour le compte d'autres concessionnaires en dehors de leur propre réseau de distribution, ou de consentir des crédits d'achat à leurs clients. L'Etat décide ensuite de soumettre l'importation de véhicule à un système de quotas avant d'annoncer à tous les concessionnaires l'obligation d'installer une activité industrielle ou de service dans un délai de trois ans. Le délai fixé pour cette obligation prendra fin le 31 décembre prochain. L'intransigeance du gouvernement a donné ses fruits puisqu'aujourd'hui plusieurs projets ont été lancés. La Symbol oranaise roule sur les routes depuis quelques années déjà. Des projets pour la réalisation d'usines de montages avec les constructeurs Hyundai, Volkswagen ou encore la marque iranienne Saipa qui a conclu un contrat avec le Groupe Tahkout (Cima Motors). Ce dernier qui a déjà produit le premier Tucson en Algérie, a également annoncé le lancement de la première usine algérienne de production des moteurs, pièces de rechange, câbles électriques et accessoires automobiles en partenariat avec la société chinoise DFSK. D'autres usines devraient également voir le jour puisque les concessionnaires continuent leurs négociations afin d'honorer l'obligation du gouvernement et éviter ainsi de disparaitre. Il s'agit entre autres de négociations avec les constructeurs Peugeot, Scania et Fiat. L'implantation d'usines de montage en Algérie préfigure, certes, d'un bon avenir pour l'industrie automobile, encore embryonnaire. Cela va créer de l'emploi et permettre de faire croître le secteur de la sous-traitance et de développer un tissu industriel de fabrication de pièces de rechange. Mieux encore, l'Etat aspire à générer des devises avec les exportations de l'automobile vers l'étranger, notamment l'Afrique. H. Y.