S'il y a bien quelqu'un qui doit se retourner dans sa tombe c'est Ibn Rochd représenté dans cette fresque (Voir icone ci-dessus) de Raffaello Sanzio. Penseur majeur de la philosophie musulmane et commentateur d'Aristote, Ibn Rochd de Cordoue, plus connu en Occident sous son nom latinisé d'Averroès, est un philosophe rationaliste, théologien, juriste et médecin musulman andalou de langue arabe du XIIe siècle. Aujourd'hui, il doit se retourner dans sa tombe, parce que le philosophe précurseur de la modernité dans l'enseignement a pour dernière demeure Marrakech où il est enterré. Il se trouve précisément que les professeurs de philosophie du royaume sont mobilisés contre une révision de manuels scolaires qui visait pourtant à enseigner un «islam tolérant». Celui de Cordoue. Ghalia Kadiri (contributrice Le Monde Afrique) revient, dans l'édition du 28 décembre dernier, sur le choc qu'ont éprouvé les professeurs de philosophie marocains en découvrant les nouveaux manuels d'éducation islamique «Au chapitre «Philosophie et foi» de «Manar at-tarbia al islamiya», un ouvrage d'enseignement religieux destiné aux élèves de première, la philosophie est définie comme «une production de la pensée humaine contraire à l'islam» et «l'essence de la dégénérescence». Le choc a été d'autant plus important que ce manuel scolaire a été réédité fin octobre 2016 dans le cadre d'une réforme de l'enseignement islamique visant à promouvoir «un islam tolérant». «Le résultat de cette révision est médiocre, estime Mounir Bensalah, militant du Mouvement démocratique Anfass. C'est encore plus décadent qu'avant». «Nous sommes revenus dix siècles en arrière» Réunis au sein de l'Association marocaine des enseignants de philosophie (AMEP), des professeurs ont organisé des sit-in du 21 au 23 décembre dans plusieurs lycées à travers le royaume pour dénoncer des contenus «diffamatoires», qui nuisent à leur matière, obligatoire au Maroc et enseignée dès la seconde. «Les leçons inculquées dans ce livre vont tuer la liberté de pensée», avertit Aidda Lakhrif, professeur de philosophie dans un lycée d'Assa-Zag (sud) et membre de l'AMEP. «Nous avons cru que la haine de l'Etat envers la philosophie était révolue. Mais nous sommes revenus dix siècles en arrière», regrette l'enseignant. Le manuel scolaire s'appuie sur les propos d'une grande figure du salafisme du XIIIe siècle, Ibnou As-Salah Ach Chahrazouri, qui aurait décrit la philosophie à l'époque comme «le summum de la démence et de la dépravation», provoquant «l'angoisse et l'errance, l'hérésie et la mécréance». Faker Korchane, journaliste spécialisé dans les questions religieuses, dénonce ce choix : «Aujourd'hui, dans l'islam sunnite, l'idée d'imitation se développe de plus en plus. Les élèves sont incités à suivre à la lettre des textes très anciens, sans réflexion critique. On crée ainsi des automates qui risquent de développer par la suite un terreau fertile à une pensée exclusiviste et militante.» D'autres passages enseignent aux élèves marocains à faire la distinction entre les sciences religieuses et les sciences profanes, parmi lesquelles les mathématiques, la physique ou les sciences de la vie et de la terre. Un schéma très proche des concepts utilisés dans le courant wahhabite. «Affirmer que les sciences humaines sont contraires à la religion encourage l'obscurantisme, met en garde M. Korchane. Ce passage fait croire aux élèves qu'ils ne peuvent pas être à la fois rationnels et religieux. C'est très dangereux, car cela peut amener à une lecture rigoriste de l'islam, avec tous les risques que ça engendre.»