Abou al-Walìd ibn Rochd (Averroès pour l'occident) était, entre autres, un médecin et philosophe arabe du XIIe siècle né à Cordoue (1126-1198). Ibn Rochd a étudié, en plus de la jurisprudence musulmane que lui a enseignée son père qui était juge, la théologie, la philosophie, les mathématiques et la médecine. Rapidement autonome et indépendant, il s'intéresse aux disciplines profanes telles que la philosophie, la médecine, la physique et l'astronomie. Il devient grand cadi à Séville, écrit des livres de droit et devient médecin de l'émir Almohade à Marrakech en 1182. Mais l'autorité religieuse, sous la voie des Ouléma, ne tarde pas à lutter contre l'esprit philosophique censé détourner l'homme de la vraie connaissance, et à traiter le médecin en hérétique. En effet, Ibn Rochd est devenu célèbre notamment au travers de sa conception des vérités métaphysiques. Pour lui, elles pouvaient en effet s'exprimer de deux manières différentes et pas forcément contradictoires : par la philosophie (Aristote, néoplatoniciens) et par la religion. Cette façon de présenter deux catégories de vérité fut perçue de manière hostile par les religieux. Contraint de s'exiler en Andalousie en 1197, où il transmit sa philosophie à la population, il revint un an et demi plus tard au Maroc et mourut peu de temps après. Influencé par les textes d'Ibn Sina et d'Aristote, Ibn Rochd refusera insatiablement l'obscurantisme des fanatiques religieux. Il tentera surtout de démontrer l'accord de la foi et du savoir en élaborant une hiérarchie fonctionnelle des différents arguments. Et c'est sur le terrain juridique que le cadi de Séville va porter la première offensive contre les détracteurs de la philosophie. Le chef de file de ces derniers ayant vécu un siècle plus tôt et à l'autre extrémité du monde musulman, c'est à al-Ghazali qu'Ibn Rochd va pourtant répondre. L'ouvrage d'al-Ghazali, le Tahafut al-Falasifa (incohérence des philosophes) est comme une référence pour le mysticisme musulman. Dans le Tahafut al-Tahafut (incohérence de l'incohérence), l'ouvrage d'al-Ghazali est critiqué point par point, les propos sont sanctionnés par une fatwa qui les caractérise comme «blâmables», et la philosophie d'Aristote restaurée dans sa plus pure version. Ibn Rochd a toujours mis en avant le fait de comparer le monde où il vivait et la religion qu'il devait respecter pour être en accord avec l'importance de l'Islam durant son époque. Avec le Kitab fasl al-maqal (livre du discours décisif), il répond d'une manière totalement nouvelle à un très ancien problème que l'on retrouve dans le sous-titre de l'ouvrage : celui de la «connexion entre la Révélation et la philosophie». Ainsi, Ibn Rochd constate que le Coran s'adresse à tous les musulmans : aussi bien de faible que de haute culture. Le caractère universel de la Révélation ne saurait précisément être universel s'il ne s'adressait pas à eux selon leur niveau de culture. Il y a le sens premier, simple et imagé pour le commun des mortels et un discours plus soutenu ; il arrive qu'une contradiction apparaisse entre ces deux types d'énoncés et c'est précisément là que doit intervenir la philosophie : le philosophe, par le raisonnement, doit déceler le sens profond, caché du Texte. Ibn Rochd va pouvoir donner à la philosophie, dans une fatwa, son caractère «obligatoire», comme le veut la Loi musulmane. Ne pas éclairer le Texte par une réflexion philosophique serait nuire à la foi du fidèle. L'influence posthume d'Ibn Rochd en Islam fut quasi nulle, et c'est à des juifs et des chrétiens qu'on doit la conservation et la traduction de ses œuvres. George Sarton, le père de l'histoire des sciences aux Etats-Unis, écrit : «Averroès doit sa grandeur à l'énorme remue-ménage qu'il a provoqué dans l'esprit des hommes pendant des siècles. L'histoire de l'averroïsme s'étale sur une période de quatre siècles jusqu'à la fin du XVIe siècle, cette période mérite peut-être plus que toute autre d'être appelée le Moyen âge, car elle est la véritable transition entre les méthodes anciennes et modernes.»